La petite commune d'Oberbruck, dans le Haut-Rhin, a décidé de se lancer lundi dans la télémédecine. Malgré de multiples démarches, ce village de 400 habitants n'a pas réussi à attirer de médecin généraliste. La mairie a donc investi 50.000 euros pour se doter d'un cabinet médical à distance. Une première en France. Est-ce la solution face aux déserts médicaux ? La réponse à cette question divise.
La télémédecine générale, mode d'emploi. Concrètement, les patients d'Oberbruck devront se rendre dans une salle, dans laquelle se trouvent une caméra et un écran. Derrière l'écran, un médecin examine alors le patient grâce à la caméra, avec laquelle il peut zoomer sur telle ou telle partie du corps. Il est assisté d'une infirmière sur place, qui examine le patient sur les ordres du médecin. Le médecin peut ensuite envoyer une ordonnance, imprimable sur place. Depuis octobre 2010, un tel dispositif est autorisé en France, rendu légal par la loi "Hôpital, patients, santé, territoires".
Le pour : faute de mieux, "c'est une solution". "On n'a pas le choix, on fera avec !", explique, sceptique mais soulagé, un patient de la commune au micro de France Bleu Alsace, qui révèle l'information lundi. Dans le village, tout le monde aurait préféré un médecin généraliste en chair et en os. Mais faute de mieux, la télémédecine est accueillie comme une "solution" à la pénurie.
"Je ne sais pas si c'est la solution en tout cas, c'est une solution", explique Vanik Berberian, président de l’association des maires ruraux de France, interrogé par Franceinfo. "Quand vous allez voir votre médecin, c'est pour des choses plus ou moins importantes, plus ou moins graves. C'est vrai qu'une consultation à distance, surtout qu'il y a la médiation d'une infirmière, cela peut aider. Si ça peut permettre de désengorger les salles d'attente ou éviter que le médecin passe des heures sur la route avec sa voiture pour aller voir ses patients, c'est plutôt une bonne solution", poursuit l'élu.
Pour l'heure, la consultation d'un généraliste par télémédecine est facturée au même prix qu'une consultation normale, à savoir 23 euros. Mais si elle est tout à fait légale, cette pratique n'est pas remboursée par la Sécurité sociale. "Il faut que les règlements s'adaptent à la situation. La télémédecine, c'est quelque chose qu'il faut développer", demande donc Vanik Berberian.
Cela ne peut pas pallier le manque de médecin. C'est illusoire
Le contre : "ça ne remplace pas les médecins". Mais la question d'un remboursement d'une telle pratique n'apparaît pas dans les négociations actuellement en cours de finalisation entre les médecins et l'Assurance maladie. Pour l'heure, seuls trois actes de télémédecines sont remboursés par la Sécurité sociale : deux actes d’orthoptie et un d'ophtalmologie, servant à dépister la rétinopathie diabétique, une maladie des yeux. Pour le reste, les médecins freinent des quatre fers.
"Ce dispositif ne peut pas pallier le manque de médecin. C'est illusoire de raisonner comme ça", estime Claude Leicher, président du syndicat de généraliste MG France, contacté par Europe 1. "Si quelqu'un a mal au mollet, comment pourra-t-on dire, sans toucher le patient, si c'est une phlébite ou un claquage ? Il faut des années de pratique, une infirmière ne sera pas forcément compétente. On pourra éventuellement apprécier la gravité d'une pathologie, mais il sera rarement possible d'établir un diagnostic", poursuit le professionnel.
Selon MG France, ce type de dispositif met la charrue avant les bœufs. "Le problème aujourd'hui, c'est que pour 2.500 généralistes qui partent à la retraite, seuls 1.200 nouveaux s'installent. Même s'ils veulent s'installer dans des déserts médicaux, ils ne peuvent pas se couper en deux", martèle Claude Leicher, qui en appelle, avant de mettre en place la télémédecine, à un changement des pratiques des médecins, avec l'appui de l'Etat : "Nous proposons de créer un fonds d'intervention d'urgence (pour les déserts médicaux). Cela permettrait, par exemple, aux médecins d'embaucher des assistantes médicales. Si le médecin entre dans la salle de consultation et que le patient est déjà déshabillé par une assistante, qu'il a déjà toutes les informations sur le patient, il peut aller plus vite. Et ensuite, il pourra s'occuper d'autres patients, par la télémédecine, ou en se déplaçant".
La télémédecine avance… à petits pas. La télémédecine devrait, tout de même, gagner du terrain dans les prochaines années en France. Le programme Étapes, impulsé par le gouvernement en 2014 et qui doit durer jusqu'en 2018, expérimente plusieurs dispositifs dans neuf régions : Alsace, Basse-Normandie, Bourgogne, Centre, Haute-Normandie, Languedoc-Roussillon, Martinique, Pays-de-Loire et Picardie. Objectif : "déterminer le modèle tarifaire et adéquat et analyser l’impact de la télémédecine sur le système de soins", indique le ministère de la Santé.
Au-delà du programme Etapes, l'article 36 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2014 laisse ouverte la porte à diverses expérimentations sur tout le territoire, avec le rendu d'un rapport de la Haute autorité de santé, avant septembre 2016.
En clair, il s'agit de déterminer combien coûterait à la "Sécu" une généralisation des remboursements la télémédecine. Le hic ? Ces programme ne prévoient, pour l'heure, que des tests pour le traitement des "plaies chroniques ou complexes", pour le traitement des Affections longues durées (ALD) ou encore la télé-expertise dans les établissements médicaux-sociaux. Pour la médecine générale, il faudra attendre encore un peu. Même si, assure-t-on du côté des autorités sanitaires françaises, rien n'est exclu aujourd'hui, l'article 36 de la loi de 2014 laissant un large spectre possible d'expérimentations.