Aux assises, les deux accusés n’ont en commun que le banc sur lequel ils se trouvent. La soixantaine flamboyante, Georges Tron entre tout sourire, silhouette fine, chevelure poivre et sel, tirant désormais sur le blanc. Veste de costume sombre, pantalon de velours bordeaux, chemise à fin carreaux et cravate prune, l’édile continue de jauger l’assistance une fois assis, visiblement sûr de lui. Pour deviner Brigitte Gruel, le public est, au contraire, contraint de tendre le cou. Entrée dans la salle capuche sur la tête et le visage dissimulé par son avocat, l’ancienne adjointe à la Culture ne retire ses larges lunettes de soleil qu’après plusieurs minutes. "Mère au foyer", répond-elle d’une voix chevrotante lorsqu’on lui demande de décliner sa profession. "Élu local", répond son co-accusé, le menton haut. Tous deux encourent vingt ans de prison pour viols et agressions sexuelles en réunion.
"Passion pour la chose publique". "On veut connaître le Georges Tron privé, vos grandes étapes de vie. Mais aussi, je dirais, le Georges Tron public. Les liens entre les deux, et enfin votre passion pour la réflexologie", entame le président, aux questions bien peu incisives. Parfaitement à l’aise, l’accusé retrace un parcours "choisi", d’une scolarité "pas exceptionnelle, avec un tropisme littéraire assez marqué" à sa "passion pour la chose publique", en passant par des études de droit. Passé par le Conseil de Paris et le cabinet d’Edouard Balladur, il est élu député pour la première fois en 1993. Puis maire, et député à nouveau, etc. "Je n’ai, en fait, connu qu’une seule défaite électorale. C’était aux législatives de 2012, en plein cœur de l’affaire."
"L’affaire" éclate le 24 mai 2011, une dizaine de jours après l’arrestation spectaculaire de Dominique Strauss-Kahn. "Ma matinée se passe très bien", se souvient Georges Tron. "Et là, j’ai un message d’une journaliste, qui me demande de la rappeler. Je m’exécute et elle m’apprend ce qu’il se passe." S’en suivent "quatre jours de pression médiatique très forte" et une démission de son poste de secrétaire d’Etat à la Fonction publique. "Je l’ai fait par solidarité. Quand on fait partie d’une équipe, il faut la préserver."
"Des médecines alternatives". Georges Tron se tient droit, esquivant les questions à grand renfort de rhétorique : "permettez-moi de vous répondre de la manière suivante… " Le président tente d’aborder les fameuses séances de réflexologie plantaire qui auraient servi, selon les deux plaignantes, de préalable à des agressions sexuelles. Le maire retrace volontiers la naissance de son intérêt pour la discipline. "J’y suis venu à partir d’une grave entorse, suite à un accident de ski, dans les années 1980. Immobilisé, j’ai découvert l’ensemble des médecines alternatives, en grande partie d’inspiration asiatique." Et de raconter ses lectures, ses échanges, la co-fondation de l’Association pour l’alternative en médecine.
Mais du déroulé des fameuses séances de réflexologie, la cour n’obtient aucun détail. "J’ai décidé que mon investissement se traduirait de façon concrète", répond évasivement l’accusé. "Est-ce que vous proposez le sujet de la réflexologie à des personnes qui viennent vous voir pour ça, ou est-ce qu’il vous arrive… de les orienter vers ce thème ?", bafouille le président. "Il s’agit de simples conversations", balaie l’édile. "Je suis très ferme là-dessus : quiconque décide de ne pas entrer dans ces conversations peut le refuser."
"Un outil pour me nuire". Le magistrat revient à la charge : "mais la question du consentement se pose tout de même… ""Du consentement ? C’est la question de l’existence des faits eux-mêmes qui se pose !", intervient le conseil de l’accusé, Me Dupond-Moretti. Georges Tron laisse passer les invectives et reprend la main. "C’est le cœur des attaques qui ont été portées contre moi, mais ça n’a strictement posé aucun problème, d’aucune nature, ni privée, ni publique, jusqu’à ce 24 mai 2011. Alors que mon association avait pignon sur rue…"
" La réflexologie est devenue un outil pour me nuire "
Comment, alors, expliquer les plaintes ? La question n’a pas encore été posée, mais le maire de Draveil l’anticipe, dessinant, au milieu de son interrogatoire de personnalité, la thèse du complot. "Jusqu’en 2009, les élections se passaient bien dans ma ville, dans un climat normal. Et puis, il y a eu l’apparition sur la scène politique de la famille Le Pen." Philippe Ollivier, demi-frère de l’actuelle présidente du Front national, s’est en effet présenté face à lui cette année-là, rappelle le président. "Dès le début, à la façon dont ils ont nourri le débat local, on a su que les choses allaient changer", lâche l’accusé. "La réflexologie est devenue un outil pour me nuire."
Une porosité entre vie privée et publique. L’audience, très tendue, a déjà pris du retard. Le président souffle et passe le relais à Éric Dupond-Moretti. "On vous a limité à un ministre passionné de réflexologie, vous n’êtes pas que cela", tonne le conseil. L’avocat fait égrener à son client les prénoms et dates de naissance de ses trois filles et de son petit-fils. L’interroge sur sa femme, qu’il reconnaît avoir trompé "une unique fois en 35 ans". "Je n’ai aucune fierté à l’avouer ici, c’était un choix personnel que j’assume", dit l’ancien secrétaire d’Etat, la tête toujours haute.
Par le biais des proches, on en revient à la réflexologie, pratiquée, de l’aveu même de l’accusé "dans le cadre familial". N’y avait-il pas une porosité entre ces usages privés et la vie publique de Georges Tron ? "Probablement que si", souffle le maire. "Naïvement, je n’ai pas pensé que ça pouvait être détourné et devenir dangereux."