"Le temps des collusions entre le monde médical et l’industrie pharmaceutique n’est plus soutenable. Nul n’a sa liberté dès l’instant où il est juge et partie", déclarait, en avril dernier, Jean-Luc Dubois, le président de la Conférence des doyens de faculté de médecine, lors d’une journée d’étude organisée dans les locaux de la revue Prescrire par l’association Formindep. Pourtant, à en croire une étude de cette association, les universités ont encore du chemin à faire dans la lutte contre les conflits d’intérêt.
Seules neuf facs obtiennent… plus d’un point sur 26 ! Formindep milite pour plus de transparence dans le monde médical. Son objectif : inciter les universités à protéger leurs étudiants de l’influence des laboratoires pharmaceutiques, et leur apprendre à résister à leur pression marketing. L’association vient de publier, dans la revue scientifique en ligne Plos one, un classement des universités françaises en matière d’indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique. Résultats : seules neuf facultés de médecine (sur 37) obtiennent… plus d’un point sur 26 ! Lyon arrive en tête avec cinq points, suivi d’Angers avec quatre points. Aix-Marseille, Lyon Sud, Paris Descartes, Paris Diderot, Rennes 1, Strasbourg et Toulouse Purpan suivent, avec le modeste score d’un point chacun. Les autres obtiennent un zéro pointé.
Pour parvenir à ce classement, l’association a évalué les facultés de médecine en fonction de plusieurs critères, allant du nombre de cadeaux reçus par les étudiants en provenance des laboratoires pharmaceutiques, aux types de financement reçus par les facultés elles-mêmes, en passant par les relations entre les enseignants et l’industrie. Le comité scientifique de l’étude (deux médecins, trois étudiants et deux chercheurs) a enquêté via un questionnaire envoyé aux doyens des universités (seuls trois ont répondu) mais aussi en interrogeant des enseignants et des élèves et en épluchant le site internet des universités, le tout pendant huit mois.
"Le classement indique s’il existe ou non dans l’université une politique pour encadrer les cadeaux offerts aux étudiants par les firmes pharmaceutiques ou leurs invitations à déjeuner, l’organisation d’événements par les industriels sur le campus, les déclarations des liens d’intérêts par les enseignants au début de leurs cours", énumère Paul Scheffer, doctorant en Sciences de l’éducation et administrateur de Formindep, dans une tribune sur The Conversation. Et de poursuivre : "Notre étude montre que seules 9 facultés sur 37, en France, ont pris des initiatives pour se prémunir contre les conflits d’intérêts. Les 28 autres, n’ayant adopté à ce jour aucune mesure en ce sens, n’obtiennent aucun point."
Aux Etats-Unis, le déclic a eu lieu en 2007. Pour Formindep, il ne faut pas non plus dramatiser. L’étude s’inspire d’une étude similaire menée chaque année aux Etats-Unis, depuis 2007, par l’Association américaine des étudiants en médecine. En 2007, la quasi-totalité des facultés américaines avaient reçu un "F", la pire note délivrée par l’association étudiante. Or, aujourd’hui, les deux tiers des facultés outre-Atlantique ont une note de "A" ou de "B", preuve qu’elles ont réagi positivement à la création de ce classement.
Du côté des universitaires, on assure qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer. "Nous avons tout intérêt à avoir des liens avec l’industrie, à condition de mettre en place des garde-fous et d’être transparents, ce qui est le cas aussi bien pour les contrats de recherche que pour les opérations de mécénat", assure Frédéric Dardel, le président de l’université Paris-Descartes, cité par Le Monde. "Au niveau des facs, l’interaction avec les industries est très faible", poursuit Jean-Luc Dubois-Randé, président de la conférence des doyens en médecine, qui se dit toutefois favorable à plus de transparence et à la mise en place d’une "charte morale".
Un cours dédié à la "sensibilisation" aux conflits d’intérêt doit par ailleurs être mis en place à la rentrée prochaine, pour tous les étudiants de troisième cycle. En attendant, la Haute autorité de santé (HAS) met à disposition un "manuel pratique" pour comprendre le lobbying pharmaceutique, consultable ici. La principale association d’étudiants en médecine, l’ANEMF, a aussi imprimé et distribué aux étudiants 8.000 livrets intitulés « Pourquoi garder son indépendance face aux labos pharmaceutiques ?
Les labos qui draguent les étudiants, un phénomène d’ampleur ?
Fin 2012, une étude menée par des chercheurs de l’Inserm dans le Sud de la France (à Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille, Nice et Grenoble) révélait que 59% des internes en médecine avaient déjà reçu un cadeau de la part d’un laboratoire d’une valeur inférieur à 50 euros, et 12% d’une valeur supérieure à 50 euros. 85% des internes participants à l’étude ont par ailleurs déjà été invités au restaurant par un commercial représentant une marque, et 28% l’ont même été plus de six fois.
42% des internes en médecine trouvaient "acceptable" d’être financés par l’industrie pharmaceutique. Pour 82% d’entre eux, l’affaire du Mediator n’avait pas changé leur vision sur le sujet. Seuls 12%, en revanche, considéraient que l’information transmise par les industriels était "de qualité", 36% refusant de se prononcer sur cette question et 52% trouvant l’information de mauvaise qualité.