"Votre parole est totalement contredite par celle des accusés. C’est, comment dire... parole contre parole." Le président bafouille. Prévient qu’il devra poser des questions "qui peuvent être gênantes". Prévue la veille, l’audition de l’une des victimes présumées de Georges Tron et son ancienne adjointe, Brigitte Gruel, commence enfin. Les longs cheveux blonds de la plaignante, attachés en queue de cheval, ressortent de sa tenue, entièrement noire. Elle a, pour l’instant, seulement été invitée à décliner son identité : "Virginie Ettel. Sans emploi. Je suis divorcée depuis 2013. J’habite dans le sud de la France." Son rappel achevé, le président lui donne à nouveau la parole et demande ce qu’elle attend du procès. "Qu’on entende ma parole. Parce qu’on a beaucoup parlé de réflexologie. Et je n’ai pas porté plainte pour des faits de réflexologie, mais bien pour agression sexuelle."
"Je suis allée le voir avec mon CV". Le ton est serein, la cour suspendue à son propos. Mais le président récupère la main, lisant de longs passages de la plainte de Virginie Ettel : "on va reprendre, point par point". D’emblée, l’audition se transforme en interrogatoire. "Vous dénoncez deux séries de faits, commis selon vous en novembre 2009 et en janvier 2010, alors que vous étiez employée de la mairie de Draveil." La quadragénaire hoche la tête et retrace donc son récit au gré des questions.
Virginie Ettel et Georges Tron se rencontrent en 2008. "Je suis allée le voir avec mon CV, pour qu’il puisse m’orienter vers des postes de vendeuse, ou dans l’immobilier", se souvient-elle. "Au début, on n’a pas parlé plus que ça (..) Et puis, il m’a expliqué que la mairie allait être séparée en deux, que son cabinet serait au château de Villiers et qu’il aurait besoin d’une hôtesse d’accueil. J’étais contente d’avoir un poste avec des horaires fixes par rapport à mes enfants."
" Il y a une différence entre la réflexologie et le fait de maintenir le pied comme il le faisait "
La mère de famille est embauchée à la mi-septembre. "Entre cette date et les faits que nous avons à examiner, est-ce qu’il s’est passé des choses, notamment sur la réflexologie ?", demande le président. "Oui, à diverses occasions", en voiture ou avant le marché de Ris-Orangis. "Mais je tiens à dire qu’il y a une différence entre la réflexologie, que j’ai appris à comprendre, et le fait de maintenir le pied comme il le faisait." A l’époque, le maire de Draveil la tutoie. Elle le vouvoie, mais l’appelle "Georges".
"Mais qui me touche le pied ?" Sur le banc des accusés, l’édile ne bronche pas. Virginie Ettel en vient au premier viol, commis d’après elle à l’issue d’un déjeuner réunissant Georges Tron, Brigitte Gruel et deux représentants d’une association de pêche, le 19 novembre 2009. "A table, le maire s’est arrangé pour avoir mes jambes sur les siennes en me les attrapant. J’essayais de faire abstraction pour être la plus naturelle possible devant les convives. Et puis tout à coup, je vois Monsieur Tron qui coupe son fromage avec ses deux mains et je me dis : ‘mais qui me touche le pied ?’ Il y avait Brigitte à côté, ça ne pouvait être qu’elle."
Les pêcheurs s’en vont. "Brigitte Gruel ferme la porte à clé et commence à me masser les épaules. Puis elle dégrafe mon chemisier et me touche la poitrine." Remarque du président : "Ah. Les épaules, les pieds, tout ça, ça n’est pas un organe sexuel. La poitrine, oui. Vous émettez une opposition verbale, ou vous vous laissez déshabiller sans rien dire ?" La plaignante s’exprime plus difficilement : "j’étais concentrée sur le battement de mon cœur dans mes oreilles. J’étais incapable de réagir. Madame Gruel a baissé mon soutien-gorge, mais j’avais toujours ma jupe."
" Il m'a demandé de fermer les yeux, et les refermait quand je les rouvrait "
"Bon. Et vous aviez, excusez-moi, des bas ? Des collants ? Une culotte ? Un string ?", bombarde le président. "Des bas, parce que j’avais subi une opération esthétique qui m’interdisait de porter quelque chose de fermé sur le ventre", murmure la plaignante. Elle en revient à Georges Tron : "Il m’a demandé de fermer les yeux, et les refermait quand je les rouvrait." Elle mime le geste d’une main. "Il m’a caressé le sexe à travers ma culotte. Il l’a poussée sur le côté, il a écarté mes lèvres." Elle fond en larmes et le président termine, le nez dans ses feuilles : "il a mis son doigt à l’intérieur de votre vagin."
"Je n’étais pas participative". Le magistrat se racle la gorge, et attaque, sur le même ton maladroit. "Qu’est-ce qui vous empêche, à un moment d’ouvrir les yeux ?" La plaignante répond : "Une contrainte psychologique. Physiquement, rien". Le juge poursuit : "En sortant, Brigitte Gruel vous demande si ça va, vous dites oui. Elle vous offre pourtant une occasion de dire que vous n’étiez pas du tout d’accord…" La plaignante cherche le regard de son avocat : "Ils ont bien vu que je n’étais pas participative. Comment peut-on faire ça à quelqu’un qui ne bouge pas ? Qui est inerte ? J’étais comme un pantin."
On poursuit. Aux enquêteurs, Virginie Ettel a dit être immédiatement rentrée chez elle pour se laver "utilisant même une brosse à ongles", avant de se coucher. "Vous passez sous silence un moment quand même relativement important…", avance le président. Ce soir-là, la plaignante a fait une tentative de suicide, comme en atteste un rapport des pompiers. "Oui, je sais. Je n’ai pas fait le rapprochement au début, c’était compliqué chronologiquement…"
" Il utilise mon genou gauche comme appui, insiste pour que je retire mon manteau "
Le rythme s’accélère encore. On évoque Olivier G., chirurgien esthétique qui a reconnu avoir été l’amant de Virginie Ettel, alors qu’elle le nie farouchement. Puis le deuxième viol allégué, le 4 janvier 2010, au domicile de Brigitte Gruel : "Georges Tron me demande de me mettre à côté de lui, pour voir son agenda. Il utilise mon genou gauche comme appui, insiste pour que je retire mon manteau (…) Il enlève mes chaussures, frotte mes pieds pour me réchauffer, souffle dessus." Son opération est cette fois cicatrisée, elle porte un collant. "J’ai quand même été caressée à travers."
"J’ai encore du mal à le regarder". L’incompréhension se fait violente. "Votre contrat se finit, vous postulez à nouveau à la mairie de Draveil. On pourrait se dire : ‘elle pourrait chercher un boulot ailleurs’", lance le président. Et le magistrat de rappeler que la plaignante racontait à qui voulait l’entendre qu’elle souffrait d’un cancer de l’utérus à la fin du mois de janvier 2010. "Pour moi, c’était la seule arme possible. Je savais que ça allait venir aux oreilles de Georges Tron, il avait très très peur des maladies", justifie-t-elle. Le président embraye, de sa voix grave : "Mais est-ce qu’il ne fallait pas mieux l’affronter une bonne fois pour toutes, dire ‘je veux que ça s’arrête ?’ " La plaignante baisse les yeux : "Mais c’était impossible. J’ai encore du mal à le regarder aujourd’hui."
" Je pensais qu'on ne me croirait pas, à cause de cette absence de réaction que j'avais du mal à comprendre moi-même "
Me Vincent Ollivier, l’avocat de la plaignante, saisit la balle au bond. "600.000 femmes sont violées chaque année. Si les victimes suivent les débats, elles seront confortées dans leur décision de laisser les choses sous le boisseau." Le conseil déroule les notions de sidération et d’emprise, "parfaitement documentées aujourd’hui", et qui "permettent d’expliquer pourquoi une victime se trouve dans l’incapacité de réagir face à son agresseur." Lancée par les représentants de l’Association contre les violences faites aux femmes au Travail (AVFT), partie civile à l’audience, Virginie Ettel abonde : "Je pensais qu’on ne me croirait pas, à cause de cette absence de réaction que j’avais du mal à comprendre moi-même."
La plaignante est entendue depuis cinq heures lorsqu’Eric Dupond-Moretti prend la parole. "On n’est pas ici pour faire du militantisme", pose le ténor du barreau. "On est ici pour savoir si cet homme et cette femme sont coupables. On est ici pour étudier le dossier sur le fond." Sur le fond, "Acquittator" liste sans difficulté les évolutions dans le discours de la victime présumée. Agite une lettre dans laquelle elle dit à l’accusé : "j’ai adoré travailler avec vous". Mais Virginie Ettel ne répond déjà plus que brièvement. "Je peux comprendre que mes incohérences me portent préjudice, j’ai oublié des détails. Je n’ai pas d’excuse."