SERIE SPECIALE - Ecoutez la suite de l’histoire du Titanic racontée par l’historienne Virginie Girod, dans une série inédite en 4 parties. Trois jours après le départ de Southampton en Angleterre, une passagère de première classe surprend une conversation étrange entre le capitaine du paquebot John Smith et le président de White Star Line, Lord Bruce Ismay. Il est question d’un record de vitesse qu’il faudrait battre et de moteurs qu’il faudrait pousser à fond. Mais le lendemain, 14 avril 1912, plusieurs navires qui se trouvent également dans l’Atlantique Nord commencent à signaler par radio la présence d’icebergs… Accélérer dans cette zone, pour tenter de rejoindre plus vite New York, est-il bien raisonnable ? Dans cet épisode du podcast "Au cœur de l’Histoire" produit par Europe 1 Studio, Virginie Girod retrace les heures qui ont précédé le naufrage du Titanic, la pire catastrophe maritime du 20e siècle.
"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio.
Ecriture et présentation : Virginie Girod
- Production : Adèle Humbert
- Direction artistique : Adèle Humbert et Julien Tharaud
- Réalisation : Clément Ibrahim
- Musique originale : Julien Tharaud
- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis
- Communication : Kelly Decroix
- Diffusion et rédaction : Eloise Bertil
- Visuel : Sidonie Mangin
Retrouvez tous les épisodes de notre série sur le Titanic :
Episode 1 - Episode 2 - Episode 3 - Episode 4
Nous sommes le samedi 13 avril 1912. Dans le café des premières classes situées sur le pont D, la passagère Elizabeth Lines tend l'oreille pour écouter la conversation de Lord Ismay avec le capitaine Smith. Le président de la White Star Line souhaite pousser les machines à fond pour décrocher un nouveau record de vitesse transatlantique. À la surprise de la passagère, Smith écoute passivement son patron. Il n'a pas l'air enthousiasmé, pourtant l'idée d'un dernier succès avant la retraite devrait le tenter, à moins qu'il refuse de donner son opinion sincère au président de sa compagnie maritime. Elizabeth sursaute presque quand Ismay frappe du point sur la table on s'écriant qu'il battrait l'Olympic, le « sister ship » du Titanic inauguré l'année précédente, et qu'ils arriveraient à New York mardi soir au lieu de mercredi, c'est-à-dire en moins de huit jours.
Messages d'alerte et panne de radio
Alors que le soleil se lève en ce dimanche 14 avril, le temps est toujours aussi clément, l'air est froid et piquant mais l'atmosphère marine est sereine. Quelques passagers matinaux de première classe ont réservé le court de tennis pour commencer la journée avec un peu d'exercice. À la fin de la matinée, plusieurs offices religieux sont célébrés dans les salles à manger : un service anglican pour la première classe, en présence du capitaine Smith, un autre en deuxième classe sous la houlette de son second, puis un service catholique pour les deuxième et les troisième classes. À cette époque, les Irlandais, qui migrent massivement, respectent toujours l'autorité du pape et ne sont pas assez riches pour se payer des billets de première classe, ou la clientèle est majoritairement protestante ou anglicane.
Les deux agents en charge de la radio à bord n'ont pas quitté leur poste pour assister à l'office religieux. Jack Philips, 25 ans, et son assistant Harold Bride, 21 ans, ont pour consigne de privilégier, dans la mesure du possible, les messages personnels des passagers aux messages de navigation. Les navires utilisent leur radio pour communiquer entre eux sur la présence d'icebergs dans cette région de l'Atlantique Nord. C’est très fréquent au printemps et terriblement dangereux. Les navires se communiquent aussi des informations sur leur position et se viennent en aide en cas de besoin, comme l'exigent les règles de la marine.
Le service aux clients passe avant tout. Jack Philips est épuisé car la nuit dernière, son émetteur est tombé en panne. Il a passé des heures à le réparer et à 5 heures du matin, enfin, sa radio s'est remise à émettre. Dans l'intervalle, les messages des passagers se sont amoncelés sur son bureau : des histoires de rendez-vous d'affaires ou de dîner, rien d'urgent en réalité. Peu avant 13h, le Caronia un transatlantique de la Cunard Line, transmet au Titanic la présence d'icebergs un peu plus au nord. Le message est remis au capitaine Smith, qui le transfère au second lieutenant Charles Lightoller.
Toujours scrupuleux, celui-ci le punaise au mur de la chambre des cartes. À 13h40, un message en morse sonne dans les oreilles des opérateurs radio : le Baltic, un autre navire de la compagnie maritime White Star Line, donne au Titanic la position précise de deux icebergs qui dérivent en direction du paquebot de rêve. Il lui demande également de relayer une demande de remorquage pour un navire allemand en panne de charbon.
Harold Bride transmet le message radio au capitaine Smith, croisé sur le pont A, qui le fourre dans sa poche après y avoir jeté un œil. Le capitaine remercie l'opérateur et rejoint un groupe de passagers de première classe parmi lesquels se trouve Bruce Ismay. Discrètement, il lui tend le message du Baltic, comme une mise en garde silencieuse : chercher un record de vitesse dans une zone d'icebergs est dangereux. Bruce Ismay plie le message et quitte le groupe après des salutations cordiales.
Le crépuscule donne des allures de tableaux impressionnistes à l'horizon. Deux passagères de première classe, Emily Ryerson et Marian Thayer, prennent l'air sur le pont D. Marian cherche à divertir Emily, qui porte le deuil de son fils aîné. Les deux femmes se sont emmitouflées car l'air est polaire. Bruce Ismay, sans manteau, surgit sur le pont et les salue avec l'élégance d'un hôte attentionné. Il entame une conversation badine puis sort le message du Baltic de sa poche et raconte aux deux femmes que le bateau entre dans une zone d'icebergs. Son ton désinvolte les choque. Emily Ryerson parcourt des yeux le message que lui tend Ismay, et lui demande ce qu'il compte faire pour le bateau en panne. Rien. Ismay ne compte rien faire pour ce bateau, qui en trouvera bien un autre pour le remorquer. Il préfère donner l'ordre d'allumer de nouvelles chaudières pour filer vers New-York et montrer au monde entier ce que son paquebot a dans le ventre.
Un équipage au fait des icebergs
Nous sommes toujours le dimanche 14 avril, il est 19h10. Lord Bruce Ismay savoure un cigare avec délectation, les volutes bleues lui rappellent celles des cheminées du Titanic qui fument quelques dizaines de mètres au-dessus de lui. Le capitaine Smith pénètre dans la pièce. Il le cherchait afin de récupérer le message du Baltic pour l'afficher dans la salle des cartes. S’il a tardé à faire remonter le message aux officiers, il en a bien tenu compte : le capitaine a donné l'ordre de prendre un cap Sud-Ouest pour éviter les zones de glace avant de bifurquer plein ouest vers New York une fois le danger passé.
Le Titanic n'effectue pas une ligne droite pour rallier New-York depuis l'Angleterre ; son itinéraire forme un angle. En choisissant un chemin plus long parce qu'il navigue plus au sud que nécessaire, le Titanic devrait éviter les icebergs. Le changement de cap après avoir évité les zones de glace s'appelle « tourner le coin de la rue ».
Au même moment, les officiers du Titanic achèvent de savants calculs, ils se préparent à croiser des icebergs vers 23 heures. Au poste radio, Harold Bride rédige le compte-rendu de la journée pendant que Jack Philips dort après sa nuit blanche. Le récepteur radio est éteint pour le laisser refroidir et éviter d'autres pannes dans la soirée.
La nuit est tombée, le ciel est noir comme l'encre, des millions d'étoiles scintillent. Il n'y a pas un souffle d'air, les flots semblent immobiles. C’est rare et plutôt gênant : en mer, s'il n'y a pas de vagues, aucune frange d’écume blanche ne se formera à la base des icebergs, ce qui les rend moins visibles. Il fait presque zéro degré, plusieurs passagers ont l'impression de sentir l'odeur ténue et particulière de la glace dans l'air, une odeur légèrement piquante qui évoque les glaciers des montagnes.
L’équipe de quart se concentre sur la navigation. Sur les ponts inférieurs, les troisièmes classes ont improvisé une fête les deuxièmes chantent des cantiques et les premières se régalent de homard et de champagne.
"Iceberg droit devant"
Il est maintenant 21h30. Jack Philips a rallumé la radio. Maintenant qu'il capte le Cap Race au sud de Terre-Neuve, il peut envoyer en urgence les messages des passagers. Jack est concentré et fatigué. Soudain un message lui vrille les tympans, il annonce une banquise et des icebergs à proximité. Jack prend sur lui et remercie poliment son confrère, puis coupe la communication sans transmettre le message à la passerelle. À 22h, les lumières sont éteintes dans les salons de deuxième et de troisième classes, les passagers se retirent dans leur cabine. Quelques rares couche-tard bravent le froid sur le pont ou entament une partie de cartes dans un coin. En première, les passagers regagnent leur cabine après le concert, les hommes s'attardent au fumoir pour prolonger la soirée.
De leur côté, les marins Frederick Fleet et Reginald Lee prennent leur tour de garde dans le nid-de-pie. Depuis leur base accrochée au mât le plus proche de la proue, ils observent l'horizon mais ce soir tout est noir et indistinct. Frederick cherche frénétiquement les jumelles du nid-de-pie, en vain, une précédente vigie a dû les garder. Plutôt que de descendre à la passerelle en chercher une autre paire, le marin fixe l'horizon en se dandinant pour lutter contre le froid. La température est maintenant en dessous de zéro.
Au poste radio, Jack Philips est à nouveau dérangé. Cette fois, c'est le Californian qui lui envoie un message de navigation. Le bateau tout proche signale s’être arrêté au milieu d'une banquise. Excédé, Jacques répond en morse : « Silence, je travaille, je suis connecté sur le Cap Race ». L’opérateur radio du Californian, un peu étonné par cette réaction, éteint sa radio une heure plus tard et va se coucher.
Vers 23h30, Frederick Fleet commence à plisser les yeux, il a l'impression que l'air se voile. Il se concentre et croix distinguer une masse noire. Soudain, il comprend ce qu'il voit. Il se jette sur la cloche du nid-de-pie et sonne trois coups. À la passerelle, on comprend instantanément qu'il y a un obstacle droit devant, le téléphone sonne, le sixième lieutenant décroche, il entend Fleet lui hurler « Iceberg droit devant » !
Le choc du Titanic contre l'iceberg
Il fait passer l'information au premier lieutenant Murdoch. Le bateau avance à une vitesse de 22 nœuds et demi, soit 41 km/h. L'iceberg est si proche que Murdoch, depuis la timonerie, en voit maintenant les contours. Il se jette sur le télétransmetteur relié à la salle des machines et ordonne « Machine en arrière toute, et barre à tribord toute ». Cela impose d’arrêter les machines pour les faire repartir en arrière, une manœuvre trop longue quand le danger est si proche. L’immense paquebot ralentit à peine et vire très lentement sur bâbord, trop lentement. Dans le nid-de-pie, la vigie Frederick Fleet suit le monstre de glace des yeux. Le Titanic semble virer suffisamment, la proue esquive l'iceberg qui défile maintenant à tribord. Fleet retient son souffle.
Et puis, un bruit de déchirure métallique résonne douloureusement dans ses oreilles. L’iceberg frotte contre la coque, fait sauter les rivets, les clous qui tiennent les plaques de la coque, et enfonce la tôle en ouvrant des voies d'eau sous la ligne de flottaison. Des blocs de glace tombent sur le pont et les rares couche-tard, émerveillés, ont abandonné leur partie de cartes pour un foot avec un morceau de glace gros comme un ballon.
Depuis la timonerie, le premier lieutenant Murdoch ordonne un autre changement de cap. L’avant est touché, il espère pouvoir éloigner l'arrière du Titanic de l'iceberg et limiter les dégâts, mais il sait que c'est trop tard. Certain qu'il y a déjà des avaries, il frappe d'un coup de poing le bouton qui ferme les portes des cloisons étanches des ponts inférieurs. Il espère ainsi que tous les compartiments étanches ne seront pas inondés. Il peut en perdre quatre, seulement quatre, pas un de plus.
Sorti du lit par ce boucan d'enfer, le capitaine Smith se précipite à la passerelle. Une phrase du premier lieutenant Murdoch lui suffit pour prendre la mesure du drame. Smith envoie un officier inspecter les fonds du navire. En chemin, celui-ci croise un postier qui lui signale que la salle de tri postal est inondée. Quelques minutes plus tard, Thomas Andrews arrive à la passerelle, ses plans à la main. L’architecte du Titanic est livide, il sait déjà combien de compartiments sont inondés. Il prend une respiration et fait son rapport au capitaine Smith.
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