SÉRIE SPÉCIALE - L’historienne Virginie Girod poursuit son récit sur l’histoire du Titanic, dans une série inédite en 4 parties. Le 14 avril 1912, un peu avant minuit, dans l’Atlantique nord, l’équipage du Titanic est en alerte maximale : après un terrible choc avec un iceberg, les six premiers compartiments étanches prennent l’eau. L’architecte du paquebot Thomas Andrews estime disposer d’une heure pour évacuer le bâtiment… Les passagers de 3e classe sont les premiers à se rendre compte que quelque chose d’anormal vient de se produire. Puis peu à peu, c’est tout le bateau ensommeillé qui bascule dans l’horreur. Canot par canot, qui supervise l’évacuation ? Et avec quelles priorités ? Dans cet épisode du podcast "Au cœur de l’Histoire" produit par Europe 1 Studio, Virginie Girod retrace les heures glaciales qui ont précédé la disparition du Titanic, la pire catastrophe maritime du 20e siècle.
"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio.
Ecriture et présentation : Virginie Girod
- Production : Adèle Humbert
- Direction artistique : Adèle Humbert et Julien Tharaud
- Réalisation : Clément Ibrahim
- Musique originale : Julien Tharaud
- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis
- Communication : Kelly Decroix
- Diffusion et rédaction : Eloise Bertil
- Visuel : Sidonie Mangin
Retrouvez tous les épisodes de notre série sur le Titanic :
Episode 1 - Episode 2 - Episode 3 - Episode 4
Nous sommes le 14 avril 1912, un peu avant minuit, dans l'Atlantique Nord. L’architecte du Titanic Thomas Andrews a surgi sur la passerelle. Blême, il annonce au capitaine Smith que les six premiers compartiments étanches du Titanic prennent l'eau. Avec quatre compartiments inondés, le bateau aurait pu attendre les secours et peut-être même atteindre New York, mais avec six compartiments noyés, il va couler. Le poids de l'eau à l'avant va faire plonger l’étrave et soulever la poupe. L’eau va donc gagner les compartiments suivants en passant au-dessus des cloisons étanches qui s'arrêtent, selon les endroits, au pont D ou au pont E. Le navire va sombrer par l'avant et on ne peut rien y faire.
L’architecte Thomas Andrews estime disposer d'une heure pour évacuer le bateau, mais il n'y a pas assez de canots pour toutes les âmes à bord. La législation n’oblige pas les paquebots à avoir assez de canots de sauvetage pour tous les passagers et Thomas Andrews ne voulait pas surcharger les ponts supérieurs avec trop d'embarcations jugées inutiles.
Il est impossible de savoir si le premier lieutenant Murdoch se rend compte de l'erreur de navigation qu'il a commise. Il a pourtant appliqué les consignes de la White Star Line à la lettre, mais s'il avait pris l'iceberg de pleine face, il aurait abîmé un ou deux compartiments étanches et s'il n'avait pas ordonné une marche arrière, le bateau aurait viré plus vite et aurait peut-être évité le pire. Mais maintenant le pire est là et il doit l'assumer.
Une rumeur qui circule mal
Dans sa suite, Bruce Ismay, le président de la White Star Line, a compris qu'il se passait quelque chose. Le capitaine Smith tâche d’être rassurant mais il comprend que son rêve de record transatlantique sombre avec son paquebot. Il passe un costume par-dessus son pyjama et gagne le pont A. Dans les cabines, de nombreux passagers et membres d'équipage ont été réveillés par le bruit de la coque déchirée. Certains ont cru que le Titanic perdait une hélice ou une ancre. Personne ne s'inquiète vraiment mais tout le monde a remarqué un détail étrange : le bateau ne vibre plus, les machines sont éteintes.
Les passagers de troisième classe, plus proche des fonds, réalisent que quelque chose d'anormal se produit. Les passagers dont les cabines se situent à l'avant se sont habillés et ont fait leurs bagages, ils gagnent tous les salons situés à l'arrière, tout le monde finit par les imiter. Installés dans le hall d'accueil de troisième classe, ils ont l'air d'attendre le débarquement.
Sur les ponts de la deuxième classe, la rumeur de l'abordage avec un iceberg se répand comme une traînée de poudre, personne ne veut rester au lit. Les passagers de première, plus sceptiques que les passagers des ponts inférieurs, conservent leur calme. D’une part, ils sont convaincus que le Titanic ne peut pas couler et d'autre part, s'il coulait, le personnel de bord viendra les chercher pour évacuer.
Habituées à ne prendre aucune initiative, les femmes restent au lit pendant que les hommes vont voir sur les ponts s'ils peuvent se rendre utiles. Le Titanic est certes insubmersible mais il faut bien réparer la varie. Il est presque minuit et demi et certains passagers remarquent que le sol du Titanic penche étrangement vers l'avant, d'autres aperçoivent des marins rouler des bâches qui couvrent les canots de sauvetage. Les passagers les plus avisés comprennent enfin qu'une évacuation se prépare et ils s'organisent. Aucune sirène ne sonne, aucun exercice d'évacuation n'a été fait dans les jours précédents, le capitaine Smith est en pleine improvisation.
L’ordre est d'abord donné à tous les hommes de l'équipage, marins, personnels de cabine ou cuisiniers de mettre leur gilet de sauvetage et de venir aider à préparer les canots, mais les consignes circulent mal. Une heure après l'arrêt des moteurs, une partie de l'équipage ignore encore ce qu'il se passe. Les passagers de troisième classe, étonnamment lucides, s'empressent de revêtir leur gilet de sauvetage. En revanche, sur les ponts supérieurs, beaucoup de passagers refusent encore de croire que le Titanic est en train de couler.
Des canots à moitié remplis
Vers minuit et demi, les personnels de cabine frappent aux portes des cabines de deuxième classe pour ordonner aux passagers de s'habiller et de mettre leur gilet de sauvetage. En première classe, les personnels de cabine réveillent doucement les passagers et l'architecte Thomas Andrews parcourt lui-même les ponts des premières pour prier les milliardaires de monter sur le pont A. Ceux-ci prennent place dans les salons, où l'orchestre joue pour les distraire. L’un des officiers aide une passagère à ajuster son gilet de sauvetage et lui promet que tout sera réglé avant l'heure du petit déjeuner.
Cela fait maintenant vingt minutes que les opérateurs radio ont l'ordre d'envoyer un CQD pour « Come quick, danger » en morse. Jack Phillips et Harold Bride plaisantent en envoyant ce message, ils ne réalisent pas encore que le naufrage est inéluctable. Et pour cause, le capitaine Smith n'a pas été clair sur l'urgence de la situation.
À tribord, le premier lieutenant Murdoch supervise la mise à l'eau des canots mais comme le Titanic penche de plus en plus, il faut maintenant faire une grande enjambée depuis le pont pour sauter dans le canot suspendu au-dessus de l'eau noire. Murdoch appelle calmement un groupe de passagers de première classe, personne ne veut monter dans le canot, ça semble être de la pure folie de quitter le Titanic pour cette coquille de noix. Quelques couples se décident à embarquer. Murdoch appelle de nouveaux volontaires, personne, il ordonne la mise à l'eau du canot numéro 7. Il n'y a que trente personnes à bord alors qu'il pourrait en contenir soixante-cinq.
Près du canot numéro 5, Bruce Ismay, le président de la White Star Line, perd patience et exhorte les marins à évacuer le bateau plus vite. Perturbé, un marin rend compte de l’ordre d’Ismay au capitaine Smith, qui lui indique de suivre les ordres du propriétaire du Titanic. Enfin, Ismay et les marins font monter des passagers de première dans le canot. Encore une fois, personne ne barre le passage aux hommes.
Ismay appelle à la ronde les dames pour embarquer. Une femme de chambre se présente timidement, surprise par sa propre audace, Ismay l’attrape par le bras et l'aide à prendre place. Le canot numéro 5 est mis à l'eau avec quarante personnes pour soixante-cinq places.
L'expérience de Charles Lightoller
Dans la cabine radio, Jack Phillips et Harold Bride ont réussi à joindre le Carpatia et l'Olympic mais les deux navires sont à plusieurs heures du Titanic. Bride propose d'envoyer maintenant des SOS, le nouveau signal de détresse marin. Sa simplicité en morse, trois courts, trois longs, trois courts, a vocation à remplacer le CQD. SOS pour « Save our souls », sauvez nos âmes.
Le deuxième lieutenant Charles Lightoller, un marin expérimenté qui sillonne le globe depuis ses 13 ans, vient aider à la manœuvre de sauvetage à bâbord, car l'évacuation n'a pas encore commencé de ce côté du Titanic. Lightoller essaye de presser la manœuvre. Dépité par l'incompétence de ses supérieurs, il prend les choses en main. En quelques minutes, il remplit aux trois quarts le canot numéro 6 avec une majorité de femmes. Parmi elles, il y a Molly Brown, la nouvelle riche que les aristocrates méprisent. Sa vie d'aventurière dans le Colorado lui a permis de vite comprendre les événements et de garder la tête froide. Depuis le début du naufrage, elle se montre calme et efficace et tente même de rassurer d'autres passagères. Lightoller ne remplit pas complètement le canot, non par négligence, mais par prudence, il craint que l'esquif ne plie en haute mer. Frederick Fleet, le marin qui le premier a vu l'iceberg, fait partie de l'équipage de ce canot. Mis à l'eau, l’esquif s'éloigne pour éviter l'aspiration du Titanic quand il coulera complètement.
À minuit quarante-cinq, le capitaine Smith croit apercevoir le feu de mât d'un bateau au loin, il ordonne qu'on lance des fusées de détresse. Ironie du sort, il n'y a que des fusées blanches, alors que les fusées de détresse doivent être rouges. Il s'agit manifestement d'une erreur de l'artificier, les fusées blanches ne servent qu'à faire la fête.
Le sauvetage des passagers de première classe
Devant le canot numéro 8, on aide la passagère de première classe Ida Strauss à quitter le Titanic, mais elle se ravise. Elle refuse de partir sans son époux, Isidore Strauss, le fondateur des grands magasins américains Macy’s. Ils ont vécu une vie ensemble, s'il doit mourir, elle mourra avec lui. Alors les passagers poussent Isidore à embarquer avec sa femme, mais il refuse à son tour, pas question d'avoir un passe-droit par rapport aux autres hommes. Le vieux couple amoureux se met en retrait pour attendre. Ils savent déjà que leur destin est scellé.
Trois autres canots à moitié vide sont encore mis à l'eau. Le couple Cosmo Duff Gordon, le milliardaire et son épouse créatrice de mode, embarquent dans le canot numéro 1 avec leurs proches, comme s'ils partaient en promenade. Le permissif lieutenant Murdoch leur offre littéralement une barque privée. À bord, il y a cinq membres de cette famille et sept marins. Alors que ceux-ci rament pour s'éloigner du Titanic, ils lèvent la tête et s'arrêtent soudain, sidérés par le spectacle qu'ils contemplent : les lettres TITANIC peintes sur l’étrave sont à moitié sous l'eau. Les marins réalisent qu'ils ne sont que douze à bord, dont deux femmes, et que leurs canots pouvaient accueillir quarante personnes.
En troisième classe, le parcours du combattant commence. Les marins autorisent les femmes et les enfants à suivre un itinéraire complexe à travers les deuxième et les première classes pour accéder au pont A et évacuer. Comme elle parle anglais et espagnol, la femme de chambre de première classe Violet Jessop est envoyée en renfort pour transmettre des informations aux passagers non anglophones. Grâce à l'équipage, quelques femmes de troisième et de deuxième classe parviennent ainsi à se frayer un chemin vers un canot de sauvetage. Les hommes sont priés d'attendre. Les plus téméraires explorent le bateau dans tous les sens pour trouver un passage vers les ponts supérieurs.
À 1h20 du matin, le riche banquier Hudson Allison, qui voyage en première avec sa femme, ses deux enfants et sa gouvernante, réalise enfin que quelque chose de grave se produit. Jusque-là, les Allison avaient préféré rester au lit et ne pas réveiller leurs enfants. Alors que le père part aux nouvelles, Alice Cleaver, la nurse, essaye d’habiller tant bien que mal sa patronne qui fait une crise de nerfs. Alice elle-même est terrifiée. Quand un steward leur ordonne de monter sur le pont, elle réalise qu'elle ne peut pas gérer une mère de famille totalement dépendante et deux enfants en bas âge. Alors elle agit sur un coup de tête, enroule le bébé encore endormi dans une couverture et monte avec lui vers les canots, abandonnant madame Allison et sa petite fille à leur sort. La gouvernante, portée par son instinct de survie, embarque avec le bébé dans le canot numéro 11.
Le spectacle du naufrage
À bâbord, le deuxième lieutenant Charles Lightoller ne laisse plus embarquer que les femmes et les enfants. Il a brièvement quitté son poste pour prendre des armes et les distribuer aux officiers. Il sait que le chaos est tout proche : il n'y a presque plus de canots, les marins en charge du canot numéro 14 repoussent désormais avec une rame un groupe d'hommes étrangers de troisième classe qui veut monter dans le canot déjà plein. L’officier Harold Lowe, un subalterne de Lightoller, quitte la passerelle pour aider à superviser la mise à l'eau de ce bateau.
Pour contrôler l’émeute sur le point d'éclater, il sort son arme pour amener le calme. Soixante-huit personnes ont pris place à bord du canot 14, essentiellement des femmes et des enfants. Sur ordre d'un de ses supérieurs, l’officier Harold Lowe monte dans le canot plein comme un œuf, avec pour ordre de prendre le commandement de la flottille des canots de sauvetage. Alors que le bateau est sur le point de toucher l'eau, plusieurs hommes s'apprêtent à sauter à l'intérieur. Lowe tire un coup en l'air. Une surcharge à bord du canot risquerait d'être fatale à tout le monde. Alors que Lowe range son arme, il manque de basculer : les amarres se sont emmêlées et le canot ne descend plus que d'un seul côté. Le jeune lieutenant sort un couteau et coupe les câbles, le canot chute brutalement dans l'eau accompagné par les hurlements de ses passagers.
Il est 1h40 du matin. Les passagers des quatorze canots qui s'éloignent du Titanic sont hypnotisés par le spectacle du naufrage du paquebot de rêve, dont l'énorme poupe sort de l'eau. Il brille encore de mille feux : l'électricité fonctionne toujours grâce à l'abnégation des techniciens qui ont décidé de rester à bord, car ils savent qu'il faut de la lumière pour évacuer les passagers.
Depuis le pont supérieur, le capitaine Smith, muni d'un mégaphone demande aux canots à moitié vide de revenir et d'embarquer d'autres passagers. Le canot numéro 6 est assez proche pour revenir, mais les marins aux commandes ordonnent de ramer plus fort pour ne pas être aspirés par le Titanic quand il coulera. La nouvelle riche Molly Brown, bien que défavorable à cet ordre, prend une seconde paire de rames et pagaie avec l'aide d'une femme de chambre. Le canot s'éloigne du paquebot en perdition. À 1h45 du matin, il ne reste que deux canots et quatre radeaux pliables pour 1700 personnes.
L’architecte Thomas Andrews ne sait plus quoi faire pour pousser les femmes terrifiées à monter dans les canots. On raconte que l'orchestre, affublé de gilets de sauvetage, aurait joué un chant religieux « Plus près de toi mon Dieu ».
Le milliardaire Benjamin Guggenheim, l'un des passagers de première classe, a décidé de mourir en gentleman, il fume des cigares en grande tenue dans les salons. La femme de chambre polyglotte, Violet Jessop, est invitée à quitter son poste pour embarquer sur le canot 16 et aider les passagers à bord. On lui confie un bébé dont elle devra retrouver la mère dès que possible.
Au poste de radio, Jack Phillips et Harold Bride continuent leurs appels de détresse. Le Carpatia, le navire le plus proche du Titanic, sera là dans quatre heures alors que le bateau ne tiendra pas plus de vingt minutes.
À bâbord, le deuxième lieutenant Charles Lightoller continue à faire embarquer des femmes sur le canot numéro 4. Le milliardaire John Jacob Astor demande s'il peut accompagner sa très jeune épouse Madeleine : elle est enceinte. Le marin est inflexible. Malgré son interdiction, des soutiers désespérés se laissent glisser le long des amarres quelques secondes avant la mise à l'eau.
Il est 1h50 du matin, il ne reste plus que quatre canots pliables arrimés au-dessus du quartier des officiers pour quitter le Titanic. L’eau est déjà en train de s'engouffrer dans les salons de première classe du pont B. Bruce Ismay, le président de la White Star Line, regarde l’eau noire avaler son paquebot. Le gaillard d'avant a déjà disparu sous les flots glacés. Des hommes viennent de déplier le radeau C, un groupe de femmes et d'enfants embarquent. Le cœur de Bruce Ismay cogne dans sa poitrine. Il a fait tout ce qu'il a pu pour aider à évacuer le Titanic, il se laisse une seconde pour faire son choix : mourir avec lui ou grimper dans le radeau C. Périr avec honneur ou vivre en lâche.
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