Catherine II et Pierre III : l’union de deux haines (partie 2)

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SAISON 2020 - 2021

Lorsqu’il devient tsar de Russie en 1761, Pierre III n'a qu'une idée en tête : se débarrasser de sa femme Catherine. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte comment l’impératrice consort va renverser la situation et devenir impératrice "tout court" à la place de son ignoble mari, sous le nom de Catherine II.

Le 22 septembre 1762 Catherine II est couronnée impératrice de toutes les Russies. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars raconte comment l'épouse de Pierre III a su se hisser au sommet par la ruse, grâce à un coup d'Etat.

Avec l’affaire du maréchal Apraxine, malgré le pardon de l’impératrice Elisabeth, Catherine avait fait la dure expérience de la trahison en politique. Elle se trouve encore plus isolée puisque le départ de l’ambassadeur d’Angleterre entraîne aussi celui de son amant, Poniatowski, en mai 1758. 

Heureusement, l’année 1760 lui sera plus favorable. Elle rencontre un homme qui va jouer un rôle important dans sa vie. Lors de la Guerre de Sept Ans, le comte Schwering, l’aide-de-camp de Frédéric II, a été fait prisonnier par les Russes et conduit à Saint-Pétersbourg par un brillant officier qui s’est illustré dans les diverses batailles remportées par l’armée russe. Il s’appelle Grigori Orlov. Il est beau, il est courageux et Catherine succombe immédiatement à son charme. Il remplace Poniatowski dans son cœur… et se révèle beaucoup plus utile. Grigori Orlov et ses quatre frères sont très populaires dans l’armée et Catherine sait qu’elle aura besoin que cette armée la soutienne.

Grigory est donc son nouvel amant à la mort d’Elisabeth lorsque son mari devient tsar, au début de l’année 1762. Or,  Catherine est enceinte d’Orlov et Pierre la traite de plus en plus mal. Pour son anniversaire le 21 février 1762, il ordonne à sa femme de remettre à sa maîtresse, Elisabeth Vorontsov, les insignes de l’Ordre de Sainte Catherine, réservés aux tsarines et aux épouses des héritiers du trône. Une terrible humiliation et un mauvais présage pour Catherine qui a compris que son mari n’a qu’une idée : se débarrasser d’elle. Le ventre comprimé par un corset, elle décore sa rivale et regagne ses appartements qu’elle ne quitte plus guère, car elle ne veut surtout pas montrer sa grossesse…

L’étonnant accouchement clandestin de Catherine

Elle prépare un étonnant stratagème avec son valet Chkourine. Comme le tsar est grand amateur d’incendies, quand Catherine sera prête à accoucher, le valet ira mettre le feu à sa propre maison et s’arrangera pour que l’incendie se propage à tout le quartier. Pierre III ne résistera pas au plaisir d’assister à un pareil spectacle, digne de Néron. Il quittera le palais et elle pourra accoucher sans crainte d’être démasquée. 

C’est ce qui se passe dans la nuit du 22 au 23 avril 1762. Pierre et sa maîtresse Elisabeth Vorontsov se précipitent pour jouir du spectacle de l’incendie, accompagnés d’une foule de courtisans. Pendant ce temps, Catherine met au monde un fils. Le valet Chkourine emporte le nouveau-né enveloppé dans une couverture pour le confier à une parente. Plus tard, cet enfant illégitime deviendra le comte Bobrinsky et sera à l’origine d’une des plus importantes familles de Russie. 

Pour l’instant, Catherine est sauvée, elle a évité le scandale. Elle se remet très vite de ses couches. Mais pour elle, il est temps d’agir car Pierre III est de plus en plus agressif à son égard. Lors d’un dîner de quatre cents couverts, le 9 juin 1762, pour célébrer la paix avec la Prusse, le tsar traite publiquement son épouse d’imbécile car elle ne s’est pas levée lors du toast qu’il porte, et ce bien que les membres de la famille impériale doivent rester assis. Pire, il ajoute que les seuls membres de la famille impériale qu’il reconnaisse dans cette salle sont lui-même et ses deux oncles Holstein !

C’est un terrible affront. Catherine est en très grand danger. Dès lors, avec Orlov, elle prépare la déposition de ce tsar catastrophique. Bien sûr, pour monter un complot, il faut de l’argent. L’Angleterre, sollicitée, avance 100 000 roubles. Pierre III est obsédé par l’idée de se débarrasser de sa femme. Le sentiment est réciproque. Mais Catherine va le prendre de vitesse !

Le 23 juin 1762, Pierre III quitte Saint-Pétersbourg pour son palais d'Oranienbaum en compagnie de sa maîtresse. En même temps, il ordonne à son épouse de se rendre à Peterhof, un palais sur la baltique. Elle s’installe dans le pavillon appelé "Monplaisir". Le 28 juin, à 6 heures du matin, Alexis Orlov vient la réveiller. Elle raconte elle-même la suite :"Orlov me dit : "Madame, il est temps de vous préparer. Il est temps de vous proclamer Impératrice". Je n’hésitai pas, je m’habillai aussi vite que possible sans faire de toilette et je montai dans la voiture qu’il avait préparée… Nous arrivâmes à Saint-Pétersbourg à la caserne du régiment Izmaïlovski. Les soldats arrivèrent, s'embrassèrent, baisèrent mes pieds, mes mains et mes vêtements… Deux d’entre eux, accompagnés d’un pope avec une croix, commencèrent à prononcer leur serment de fidélité…"

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Catherine est bénie, réclamée comme souveraine et assiste à un Te Deum à Notre-Dame de Kazan. Sur les marches, elle se laisse acclamer par le peuple et n’hésite pas à se proclamer impératrice. En peu de temps, les régiments se regroupent. Il y a maintenant 14 000 hommes autour de celle que l’armée proclame aussi souveraine. Catherine constate une frénésie joyeuse, comme elle n’en avait jamais vue en sa faveur. 

Elle se rend alors au palais d’Hiver pour discuter de la suite des opérations. Il est décidé qu’elle se rendra à la tête de l’armée à Oranienbaum pour arrêter et déposer Pierre III. Mais auparavant, la tsarine fait appeler son fils légitime, Paul, 8 ans, apeuré par la foule. Elle apparaît donc à une fenêtre du palais en présentant le tsarévitch. C’est un gage de continuité. Jusqu’à présent, le coup d’Etat fomenté par Catherine et les Orlov n’a pas fait verser une goutte de sang. La Grande Catherine vient de se révéler au monde, nouvelle Lumière éclairant la Russie désemparée. 

Malgré les acclamations, les foules enthousiastes sur les quais, toutes les cloches des églises de Saint-Pétersbourg résonnant de bulbe en bulbe, Catherine n’oublie pas un instant qui elle est. Elle n’a pas une goutte de sang russe mais se présente comme l’héritière de Pierre le Grand. Seul le peuple peut la légitimer. En attendant, elle se rend dans la nuit, en uniforme de la Garde, à la tête d’un régiment, à Oranienbaum. Elle y obtient aussitôt que son mari Pierre III signe son abdication. Elle avait été rédigée au Palais d’Hiver, le matin même. 

Le star détrôné demande que sa maîtresse reste avec lui. Catherine refuse. Alors, il supplie qu’on lui laisse son caniche Mopsy, son serviteur noir Narcissus et son violon. La nouvelle impératrice accepte. Mais quel sort doit-on réserver à l’ancien souverain ?

Le tsar déchu va être conduit par Alexis Orlov au palais de Ropcha, à une douzaine de kilomètres de Peterhof. Le lendemain, dimanche 30 juin 1762, Catherine fait son entrée triomphale à Saint-Pétersbourg, coiffée d’un tricorne, l’épée à la main, en uniforme de colonel, portant culotte et pourpoint verts du régiment Préobrajensky. Montant un cheval blanc à selle rouge et or, la Grande Catherine entre dans la légende. Pendant plus de 40 heures, elle n’a ni bu, ni mangé, ni dormi. Le soir, elle se couche épuisée mais surtout satisfaite. Pierre III n’a plus aucun soutien… Il est temps à présent de s’en débarrasser.

La mort opportune de Pierre III

Toute la stratégie mise au point par Catherine et les Orlov a merveilleusement fonctionné. La suite est moins glorieuse et plus mystérieuse. Une semaine plus tard, dans des circonstances difficiles à établir, on apprend que le mari de l’impératrice, défaillant à tous égards, a succombé le 10 juillet. La cause officielle de son décès serait une crise de coliques hémorroïdales. En réalité, peut-être sur un ordre de Catherine, mais au minimum avec son assentiment, Alexis Orlov a participé à cette mise à mort. Il la décrit lui-même dans ses courriers : "Le tsar déchu est mort à la suite d’un étranglement ou d’un étouffement."

Plusieurs officiers ont été ses complices. Soudain, ce drame ternit la gloire toute récente de l’impératrice, une gloire encore fragile. Henri Troyat explique :"Cette mort qu’elle a souhaitée sans l’ordonner, cette mort qui l’arrange et l’embarrasse tout ensemble, est une affaire d’Etat, non une affaire de cœur… Catherine n’a pas de remords, elle n’a que des inquiétudes." Se fiant à son intuition, elle décide de se faire couronner le plus vite possible. Si Saint-Pétersbourg est la capitale politique de la Russie, Moscou en est restée la capitale religieuse. Et c’est à l’intérieur du Kremlin que les tsars sont toujours couronnés, dans la cathédrale de l’Assomption.

Le fastueux couronnement de Catherine II

Ce couronnement est fastueux. Quatre mille peaux d’hermine garnissent le manteau impérial. Les pierres précieuses parsèment à profusion la robe du sacre. Cent vingt tonnelets sont remplis de 100 000 roubles en monnaie d’argent : ils sont destinés à être jetés au peuple. Le dimanche 22 septembre, devant cinquante cinq hauts-dignitaires ecclésiastiques rangés en demi-cercle, Catherine seconde, Impératrice de toutes les Russies, fait glisser de ses épaules le manteau d’hermine et revêt le manteau pourpre. Puis, sur un coussin d’or, elle prend la lourde couronne, la pose elle-même sur sa tête avant de saisir dans sa main droite le sceptre puis le globe dans sa main gauche. Les festivités qui suivent sont exceptionnelles. Elles sont censées impressionner aussi bien le peuple russe que l’étranger. 

La Grande Catherine va régner trente-quatre ans. Lorsqu’elle prend le pouvoir en 1762, la Russie compte moins de trente millions d’habitants. A sa mort, en 1796, elle en compte 44 millions. Elle a étendu son espace à l’est et au sud. Dans le domaine artistique, l’impératrice a plus le sens du faste qu’un véritable goût. Sensible à l’esprit des Lumières, elle recevra Diderot. Le philosophe avait longtemps hésité à entreprendre ce long voyage en raison de la trouble réputation de la tsarine, soupçonnée d’avoir fait assassiner son époux. Lorsque, plus tard, en proie à de graves difficultés financières, il devra vendre sa  bibliothèque, elle la lui rachètera pour qu’il vive toujours au milieu de ses livres car, disait-elle, "un écrivain ne saurait vivre sans ses livres". 

Elle fut le premier chef de l’Etat russe à faire dresser par ses géographes une carte de l’Empire et ce sont eux qui déterminèrent la frontière entre l’Europe et l’Asie en observant le cours des fleuves dans les monts Oural, les uns coulant vers l’ouest, les autres vers l’est. L’académicienne et biographe de Catherine II Hélène Carrère d’Encausse  conclut : "L’histoire a longtemps considéré que le XVIIIe siècle russe fut "le siècle de Pierre le Grand". Cette interprétation méritait d’être révisée, et elle est déjà en passe de l’être. Tout autant que son grand prédécesseur, Catherine II, dont le règne fut presque aussi long, aura marqué ce siècle, témoin de la montée de la puissance de la Russie et de son enracinement en Europe. Le siècle de la grandeur russe scella, en définitive, le triomphe conjoint de Pierre le Grand et de Catherine."

Quel parcours étonnant que celui de cette petite princesse allemande que rien n’avait préparée à un tel destin ! Pour devenir totalement russe, elle avait demandé à ses chirurgiens, après une nuit d’insomnie : "Saignez-moi de ma dernière goutte de sang allemand pour que je n’aie plus que du sang russe dans les veines". Qu’importe son sang, l’Histoire l’a exaucée. 

Ressources bibliographiques : 

Henri Troyat de l’Académie française, Catherine la Grande (Flammarion, 1977)

Hélène Carrère d’Encausse de l’Académie française, Catherine II, un âge d’or pour la Russie (Fayard, 2002)

Jean des Cars, Des couples tragiques de l’Histoire (Perrin, 2020)

"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière 
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Karelle Villais

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