En parallèle du contrat de mariage officiel, Henri II fait signer des actes secrets à sa belle-fille, la très jeune Marie Stuart, reine d’Ecosse. Un accord qui place son pays natal dans une bien dangereuse posture… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte le mariage éclair, et très tactique, de deux adolescents royaux.
Au milieu du 16e siècle, après une luxueuse cérémonie de mariage, le jeune roi François II et son épouse, la reine d’Ecosse Marie Stuart, doivent faire face à la montée du protestantisme en France. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars retrace l’histoire d’une union politique mêlant la France, l’Ecosse et l’Angleterre.
L'épisode est disponible en audio sur YouTube.
Retrouvez la première partie de l'épisode, si vous l'avez manquée.
Sur le plan affectif, il est évident que le mariage du dauphin de France et de la jeune reine d’Ecosse est un succès. L’ambassadeur de Venise le note :
" C’est une fort jolie petite fille. Le dauphin a beaucoup de goût pour elle. Il arrive que, se faisant tous les deux des caresses, ils aiment à se retirer à part dans un coin de la salle pour qu’on ne puisse entendre leurs petits secrets. "
Un contrat de mariage et des actes secrets
En 1557, Marie de Guise revient à Paris pour négocier le contrat de mariage de sa fille. Elle pose ses conditions : le dauphin et la reine règneront conjointement sur l’Ecosse et le moment venu, à la mort d’ Henri II, sur la France. Leur fils aîné leur succèdera sur les trônes des deux pays. S’ils n’avaient pas d’enfants, le trône d’Ecosse reviendrait au chef du clan Hamilton, le comte d’Arran, déjà titré duc de Châtellerault.
Le contrat de mariage est signé le 12 avril 1558 dans la grande galerie du Louvre. Tout est en ordre mais cela ne suffit pas à Henri II. Il va, secrètement, faire signer par sa future belle-fille trois actes assez étranges. Premier acte : si Marie mourait sans enfant, elle lèguerait l’Ecosse à la France. Deuxième acte : si le Parlement d’Ecosse s’opposait à cette disposition, son vote serait considéré comme nul. Troisième acte : les revenus du Trésor écossais seraient donnés au roi de France pour le rembourser des frais engagés dans la défense de l’Ecosse.
Ces trois actes sont en totale contradiction avec le contrat de mariage officiel. Marie a 16 ans. Est-elle consciente de ce qu’elle signe ? Peut-être pas complètement mais de toute façon, peut-elle faire autre chose qu’obéir à son futur beau-père ? Cette dure leçon de politique infligée par Henri II, et la pratique de la dissimulation comme une chose naturelle va peser dans l’esprit de la jeune fille. Cela ne l’aidera certainement pas à l’avenir... Mais pour l’heure, ces petits arrangements familiaux étant réglés, le mariage peut se dérouler fastueusement, comme je vous l’ai raconté dans la première partie de cet épisode.
Les tristes conséquences de la paix de Cateau-Cambrésis
Cette même année 1558, Marie Tudor meurt à Londres le 17 novembre. La fille d’Henri VIII et de la très catholique Catherine d’Aragon avait passé son règne à tenter d’imposer si violemment le catholicisme à son pays qu’on l’avait surnommée “Bloody Mary”, “Marie la sanglante”. Pour tout arranger, si l’on peut dire, elle avait épousé le toujours très catholique Philippe II d’Espagne. Heureusement, le couple n’avait pas eu d’enfant… La succession au trône d’Angleterre est ouverte.
Elle sera vite réglée par le testament d’Henri VIII : il avait placé sa fille Elizabeth derrière sa demi-sœur ainée dans l’ordre de succession. C’était un étrange revirement puisque le roi, après avoir fait décapiter sa seconde épouse Anne Boleyn, avait déclaré Elizabeth, la fille qu’il avait eue avec elle, bâtarde ! Mais le testament l’emportait sur la bâtardise potentielle. Elizabeth Ière monte sur le trône d’Angleterre. Elle a 25 ans. Son premier geste est de faire annuler son statut de bâtardise puis de faire rétablir le protestantisme comme religion d’Etat par le Parlement, ce qui la rend immédiatement populaire.
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Au moment où Elizabeth Ière monte sur le trône, la France et l’Angleterre sont en guerre depuis plus d’un an. Henri II décide alors de reconnaître sa belle-fille Marie Stuart comme reine d’Angleterre puisqu’elle est la petite-fille de la sœur d'Henri VIII. Evidemment, Elizabeth proteste. Il est possible qu’à cet instant, Henri II ait distillé un poison dans le cœur de la jeune reine qui lui fera détester sa cousine Marie Stuart, à laquelle, jusqu’à présent, elle n’avait jamais eu affaire.
La paix de Cateau-Cambrésis, en 1559, met à fin à la guerre qui impliquait notamment la France contre l’Angleterre et l’Espagne. Plutôt d’une façon déraisonnable, Henri II ne veut pas discuter du sort de Calais avec Elizabeth mais avec la seule reine légitime qu’il reconnaisse, sa bru Marie Stuart. En fait, personne ne prend en compte les déclarations du roi, sauf Elizabeth, furieuse de cette humiliation. Quant à Philippe II, il s’empresse de faire sa cour à la souveraine d’Angleterre et lui demande même de l’épouser ! Veuf de Marie Tudor, c’est assez logique, si ce n’est qu’Elizabeth est protestante ! Évidemment, elle refuse mais le traité de Cateau-Cambrésis prévoyait, pour confirmer la paix revenue entre la France et l’Espagne, deux mariages : Philippe II, éconduit par Elizabeth va en épouser une autre, Elisabeth de Valois, fille d’Henri II tandis que Marguerite, la soeur du roi, se mariera à Emmanuel-Philibert, duc de Savoie, allié des Espagnols.
La lente agonie d'Henri II
La date des mariages est fixée à juillet 1559. Après celui de son fils, le roi veut encore donner des fêtes somptueuses pour ceux de sa fille et de sa sœur. Outre les cérémonies religieuses, les banquets et les bals, Henri II souhaite donner le spectacle d’un tournoi médiéval sur un champ clos aménagé rue Saint-Antoine, à Paris. Les deux premiers jours, les joutes se déroulent pour le plaisir de tous. Dans la tribune royale, apparaissent la reine Catherine, Diane de Poitiers et la dauphine Marie Stuart. Elles sont entourées des dames de la Cour. Toutes sont vêtues de toilettes somptueuses qui enchantent les yeux des spectateurs. Le roi participe évidemment aux joutes. Il a 40 ans. Il est en pleine santé et semble infatigable.
Le troisième jour, le vendredi 30 juin, Henri demande ses armes malgré les réticences de Catherine de Médicis, très superstitieuse. La nuit précédente, elle avait fait un cauchemar, où elle voyait son mari blessé, la tête ensanglantée. Le roi passe outre. A 2 heures de l’après-midi, dans la grande chaleur, il entre en lice portant les couleurs de Diane, le blanc et le noir. Il se mesure au duc de Nemours puis au duc de Guise. Il remporte chaque fois l’avantage. Le troisième et dernier adversaire qui se présente est le jeune comte de Montgomery. Ce sera le combat de trop.
La lance de Montgomery éclate le casque du monarque, sans doute mal ajusté, et pénètre dans son œil jusqu’au cerveau. Henri II va vivre une horrible agonie de onze jours. Il meurt le 10 juillet, au milieu de sa famille éplorée. Le dauphin devient roi sous le nom de François II, et Marie Stuart devient reine de France. Elle n’a aucune expérience politique mais elle est la nièce des deux plus puissants seigneurs du royaume. Par elle, ils vont mettre la main sur le gouvernement. Le règne de François II sera le règne des Guise.
Le très règne éclair de François II et de Marie Stuart
Le mariage des jeunes souverains est heureux. François est fou de son épouse. On dit même qu’il use sa santé déjà chancelante à vouloir le lui prouver sans cesse… Politiquement, le jeune roi, sous l’influence des Guise, continue la rêverie de son père : loin de se réconcilier avec Elizabeth Ière, il va faire confirmer que Marie Stuart, reine de France et d’Ecosse, est bien aussi reine d’Angleterre et d’Irlande. Voilà qui ne va pas l’aider pour l’avenir ! Le jeune souverain ferait mieux d’ouvrir les yeux sur ce qui se passe dans son royaume où le clan protestant prospère au point de devenir une opposition politique à la monarchie catholique…
Six mois plus tard, c’est la conjuration d’Amboise. Des conjurés huguenots, rameutés par un gentilhomme protestant, La Renaudie, veulent rencontrer le monarque à Blois pour lui demander la liberté de leur culte. En réalité, ils veulent l’enlever. Le complot est déjoué. La Cour se réfugie à Amboise, plus facile à défendre. Les conjurés persistent. Ils sont vaincus par les troupes royales. Il y a énormément de morts. Certains sont suspendus aux remparts et au balcon du château, d’autres sont jetés dans la Loire. Quant aux prisonniers, ils sont décapités en présence de la Cour. François II et Marie assistent, impassibles, à cet horrible spectacle. Tous deux sont à la limite de l’évanouissement.
L’année suivante, en 1560, Marie Stuart perd sa mère. La régente Marie de Guise, épuisée par des années de luttes et de trahisons, s’éteint au château d’Edimbourg. Le traité d’Edimbourg, signé par des commissaires français, anglais et le Parlement écossais, exige le départ des troupes françaises et anglaises d’Ecosse. François II et Marie doivent aussi renoncer définitivement à toute prétention sur le trône d’Angleterre.
Mais François II est malade. Une malformation des sinus l’empêche depuis toujours de respirer normalement. Il a mauvaise mine, son teint pâle est marbré de rouge. En novembre 1560, il prend froid en chassant dans la forêt d’Orléans. Son oreille gauche est enflée et suppure. C’est le début d’une terrible agonie. Il meurt le 5 décembre 1560, peu avant ses 17 ans. Marie pleure son époux qu’elle aimait tendrement. Elle l’exprime dans un poème :
En mon triste et doux chant
D’un ton fort lamentable
Je jette un œil tranchant,
De perte incomparable,
Et en soupirs cuisants
Passe mes meilleurs ans…
C’est son frère Charles IX qui succède à François II. Il n’a que 10 ans et sa mère Catherine assure la régence. Marie Stuart a 18 ans, elle est veuve mais toujours reine d’Ecosse. Son demi-frère, Jacques Stuart, vient la voir en janvier 1561 pour lui dire que les catholiques écossais ont besoin d’elle. Elle n’attendait que cela. Elle décide de rentrer en Ecosse. Elle s’embarque à Calais le 15 août 1561, en disant : "Adieu France, adieu France, je pense ne vous voir jamais plus." Elle a raison.
Ressources bibliographiques :
Michel Duchein, Marie Stuart, la femme et le mythe (Fayard, 1987)
Ivan Cloulas, Henri II (Fayard, 1985)
Jean des Cars, Des couples tragiques de l’histoire (Perrin, 2020)