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SAISON 2020 - 2021

Il y a cinquante ans aujourd’hui, les Français et le monde apprenaient le décès du général de Gaulle, survenu le 9 novembre 1970 à 19h30, à La Boisserie, sa maison de Colombey-les-Deux-Eglises. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous révèle quelques secrets sur la personnalité et le caractère d’un homme d’Etat incontournable, mais qui défendait farouchement sa vie privée…

Le général de Gaulle s'est éteint il y a exactement cinquante ans, le 9 novembre 1970. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur une disparition qui a bouleversé le monde. 

Une dernière partie de cartes 

Comme chaque soir, il s’est installé à la table de bridge pour regarder la télévision, en coupant ses cartes. Il ne peut pas suivre le programme sans s’occuper les mains. Comme chaque soir, il joue à la réussite. Soudain, il pousse un cri : "Oh ! J’ai mal ! Là, dans le dos !"

Il s’effondre sur la table. Yvonne laisse tomber son tricot et se précipite. Son mari porte la main à sa poitrine, s’affaisse, ses lunettes gisent par terre. Elle lui prends le pouls, il est très faible. Elle appelle alors la cuisinière, Honorine, et le chauffeur, Francis. Avec leur aide, elle parvient à allonger le général sur le tapis. On glisse un coussin sous sa tête, on va chercher un matelas dans une chambre d’enfant. Il gémit. On appelle le médecin et le prêtre. Le premier fait une piqûre de morphine, le second administre les derniers sacrements. Il est 19h35. Le Docteur Lacheny fait signe à Mme de Gaulle : c’est fini, son époux a succombé à une rupture d’anévrisme. Dans treize jours, il aurait eu 80 ans. Yvonne ne s’effondre pas, ses yeux sont secs. Elle s’agenouille et murmure : "Il a tant souffert au cours de ces dernières années. C’était un roc."

On habille Charles de Gaulle de son uniforme de général avec le seul insigne en émail de la Croix de Lorraine. On l’installe dans la salon. Non, pas de drap pour le recouvrir mais le drapeau tricolore, celui qu’on garde dans la commode pour le 14 juillet. Arrive le maire de Colombey. Yvonne lui demande la plus grande discrétion, en attendant l’arrivée de la famille.

La presse de l’époque étant loin de la galaxie médiatique actuelle et de l’information immédiate, beaucoup de gens n’apprendront la nouvelle que tôt le lendemain matin, par les éditions spéciales des journaux, avec ce titre à la une "De Gaulle est mort". Son ancien Premier ministre, devenu son successeur à l’Elysée le 16 juin 1969, Georges Pompidou, déclare : "La France est veuve".

Ce mois de novembre est aussi celui de l’anniversaire de Charles de Gaulle : il est né le 22, en 1890. Aujourd’hui, entre ces deux dates, celle de sa naissance et celle de son décès, je vous rappelle la vie et le destin exceptionnels d’un homme qui, dans les tourments du XXe siècle, s’est battu pour incarner la France et lui rendre sa liberté.

Une émotion internationale 

A Washington, où c’est encore le début d’après-midi quand on apprend la nouvelle, le président des Etats-Unis, Richard Nixon, qui était venu en visite officielle à Paris un an et demi auparavant, déclare, rendant justice au talent de visionnaire du disparu : "La clarté de sa vision lui permettait de distinguer les grands mouvements de l'Histoire au moment où les autres n’apercevaient que les évènements du jour."

Dans les vingt-quatre heures, le général reçoit d’innombrables hommages posthumes, internationaux et français. Pour le Times de Londres, "Il fut le porte-parole, la conscience et la personnification de la France". Selon le Daily Telegraph : "Davantage que celle du XVIIIe siècle, de Gaulle incarnait la France de Bossuet, de Vigny et de Péguy". Quant au Daily Express, ce journal estime "qu’il n’y avait pas eu de précédent depuis Napoléon". A Moscou, selon les Izvestia , "Il apporta une immense contribution au développement des relations d’amitié et de coopération entre l’URSS et la France". 

En Allemagne Fédérale, la Frankfurter Allgemeine Zeitung affirme "qu’il avait stabilisé la paix et l’amitié entre pays voisins, ce qui fut une chose essentielle". A Belgrade, le journal Borba rappelle que "à l’époque de la myopie américaine, il fut le premier à rendre à l'Europe les espaces de l’Atlantique à l’Oural". A Pékin, le président Mao Tsé-Toung rend "un sincère hommage à la mémoire du général de Gaulle qui fut un combattant intrépide contre l’agression fasciste et pour la défense de l’indépendance nationale de la France". 

A Paris, François Mitterrand, alors député de la  Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste, déclare : "On ne peut pas aimer la France plus qu’il ne l’a aimée".  Raymond Tournoux, journaliste et biographe du général, écrit : "Amant de la France, il a l'Etat dans la peau et vit dans la peau de l’Etat. Tyrannique familièrement, il n’est pas despotique sur le plan politique".

De Gaulle avait écrit de sa main qu’il ne voulait pas d’obsèques nationales, mais que ses funérailles soient célébrées à Colombey-les-Deux-Eglises. Ses dernières volontés sont publiées sur demande du président Pompidou, afin d’éviter une mauvaise interprétation de l’absence d’obsèques solennelles. 

Ces dispositions seront à la fois respectées et transgressées.  A Colombey, ni fanfare ni sonnerie. On ne fera pas appel aux pompes funèbres du village. Yvonne de Gaulle a voulu que le corps de son mari, dans un simple cercueil de chêne de 2 mètre 12 et sans plaque, fabriqué dans la nuit par le menuisier local, soit transporté de La Boisserie jusqu’à l’église par un blindé de reconnaissance, sur lequel est étendu un drapeau tricolore. 

Ce 12 novembre, dans l’église, Mme de Gaulle a refusé la présence de personnalités politiques. Elle a voulu rappeler que son mari était, avant tout, un militaire et un combattant. A 15h00, Mgr Atton se présente. L’archevêque de Langres avait recommandé de voter non au référendum. Sa présence indispose la veuve du général, mais elle ne peut l’éconduire. Arrivent aussi l’abbé Jaugey, le curé de Colombey, et le père François de Gaulle, un neveu du général, père blanc en Afrique. Les trois ecclésisastiques vont concélèbrer l’office. Deux drapeaux frangés d’or flanquent l’autel décoré de rameaux d’oliviers. 

Douze jeunes gens du village ont porté le cercueil depuis le parvis. Une double haie de saint-cyriens rend les honneurs, sabre au clair, casoar et gants blancs. Contre le mur de l'église, on remarque huit énormes gerbes de roses, de lys, de chrysanthèmes et de dahlias. Elles ont été envoyées par Mao Tse Toung. 

Toute la population de Colombey est présente. La famille du général est au complet : Yvonne de Gaulle, le capitaine de vaisseau Philippe de Gaulle et son épouse, Elisabeth de Gaulle et son mari le général Alain de Boissieu, Mme Agnès Cailliau, soeur du général, et les nombreux petits-enfants et petits-neveux. "Il aura eu des funérailles de chevalier" dira André Malraux, en guise d’épitaphe. 

Au cimetière, le rituel a été aussi bref qu’à l’église. Seuls les proches ont eu accès à la tombe. Elle porte déjà une inscription : Anne de Gaulle, 1928-1948. C’est la fille du couple, trisomique, que ses parents entourèrent d’une immense tendresse toute sa vie. Après l’inhumation du cercueil de son mari à côté de celui d’Anne, Yvonne de Gaulle s’éclipse. Elle est pressée. Personne ne la suit, elle veut être seule. La veuve du héros de la France Libre et ancien président de la République va détruire des souvenirs intimes. Il n’y aura pas de reliques. 

Dans l’incinérateur du jardin, elle brûle le costume gris qu’il portait son dernier jour, les autres vêtements dans la penderie, le contenu de l’armoire, même le matelas sur lequel on a étendu son mari dans le salon pendant son malaise fatal,  et son lit, ainsi que son oreiller et son pyjama disparaissent. Divers souvenirs de la guerre, gardés dans une malle, seront tout de même sauvés par Philippe de Gaulle et Alain de Boissieu. Dans le jardin, la fumée de l’incinérateur est si abondante que les voisins s’inquiètent : y aurait-il le feu à La Boisserie ? Non. Yvonne de Gaulle souhaite juste garder ses plus précieux souvenirs dans son coeur. Personne ne pourra désormais violer ce qu’avait été l’intimité du couple.

Le lendemain, les enfants étant partis, elle se fait inscrire sur la liste d’attente d’une maison de retraite parisienne, tenue par des religieuses, près de l'École Militaire. Elle attendra que se libère une petite chambre de 2 mètres sur 4, avec sanitaire dans le couloir.  Elle refusera toute invitation, toute cérémonie sauf une, sur insistance de son fils Philippe. Elle acceptera qu’une croix de Lorraine en granit rose et gris haute de 43 mètres 50 soit hissée sur la colline dominant Colombey, "ce cher et vieux pays" qu’adorait le général. Elle s’éteint à Paris presque exactement 9 ans après son mari, le 8 novembre 1979. Mais on peut penser que sa véritable vie s’était arrêtée lorsqu’il s’en est allé…

A Notre-Dame : le monde aux obsèques du général

Le 12 novembre 1970, exceptionnellement décrété jour férié, une messe de requiem est célébrée à Notre-Dame de Paris, sur demande du président Pompidou. La population parisienne n’aurait pas compris qu’il n’y ait pas un hommage à de Gaulle dans la capitale, cette ville dont il avait fêté la libération. 

Par l’importance et le nombre des personnalités présentes dans la cathédrale, la cérémonie, prévue à 11 heures, prend un caractère planétaire. Outre le président Pompidou et tout le gouvernement, il y a quatre-vingt hautes personnalités mondiales : empereurs, rois, princes, présidents, ministres, anciens hauts responsables, représentants de familles souveraines, ambassadeurs, un défilé de chefs d’Etats et de gouvernements, des délégations du monde entier. Beaucoup d’hommes sont en uniforme : Muhammad Reza Pahlavi, shah d’Iran, Hailé Sélassié, empereur d’Ethiopie, Baudouin, roi des Belges, le prince Rainier de Monaco, le grand-duc Jean de Luxembourg. Le prince de Galles représente la reine Elizabeth II. On sait que le père d’Elizabeth, George VI, n’avait cessé de demander à Churchill d’être moins caustique avec de Gaulle et le général avait rappelé cette prévenance du roi lors de sa visite d'Etat à Londres du 5 au 8 avril 1960. 

Sont aussi présents à Notre-Dame la reine Juliana des Pays-Bas, Mme Indira Gandhi, Présidente de l’Inde, le Président des Etats-Unis Richard Nixon, Nicolas Podgorny, président du Conseil de l’URSS et Alexis Kossyguine, chef de l’Etat Soviétique. Toutes et tous sont venus honorer le dernier des "grands" survivants de la Deuxième Guerre mondiale et, sans aucun doute, celui dont la destinée fut la plus audacieuse et spectaculaire. 

A cette occasion, les tensions est-ouest s’apaisent temporairement ce matin d’automne, sous les puissantes voûtes de Notre-Dame, témoins de siècles d’histoire et d’art. La personnalité du défunt semble retenir les contentieux politiques, économiques, intellectuels et humains entre les Etats. Les polémiques sont suspendues par la mort. Des hauts-parleurs diffusent l’appel du 18 juin, ce message courageux qui a fait entrer de Gaulle dans l'Histoire par une porte inattendue, celle de la Résistance.

 

Ressources bibliographiques : 

Denis Tillinac, Dictionnaire Amoureux du Général (Plon, 2020)

Patrice Gueniffey et Lorraine de Meaux (direction), Les couples illustres de l’histoire de France (Perrin,2017)

De Gaulle et Nous, Hors série de Paris-Match, rédaction en chef Patrick Mahé, septembre-octobre 2020.

François Kersaudy, de Gaulle Churchill : la mésentente cordiale (Perrin, 2001)

 

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production, diffusion et édition : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Graphisme : Karelle Villais