Belle, cupide, se permettant de tromper son royal amant… Gabrielle d'Estrée, la maitresse d'Henri IV, est le profil type de la favorite dont l'influence s'est étendue bien au-delà de la chambre à coucher. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte comment cette femme ambitieuse est passée à un cheveu de devenir reine de France.
Tandis que les guerres de religion font rage, l'influence de Gabrielle d'Estrées s'intensifie au point que le roi Henri IV envisage d'épouser sa jeune maitresse… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte le destin brisé de la favorite qui était en passe de devenir reine de France.
Un divorce et un attentat
Henri IV s’installe enfin au Louvre. Il donne à Gabrielle d’Estrées l’hôtel du Bouchage, non loin de là. Pendant quelques temps, le roi mène une vie tranquille à Paris, enchanté de profiter du petit César. Il est heureux mais aussi contrarié : légalement, César est l’enfant de M. de Liancourt, le mari complaisant et fort discret de Gabrielle. S’il veut légitimer son fils, le roi doit faire divorcer sa favorite.
Le procès va durer trois mois. Tout Paris ne bruisse que de l’impuissance de M. de Liancourt, lequel résiste un peu. Enfin, le 24 décembre 1594, le mariage de Gabrielle est déclaré nul par l’official de la ville d’Amiens.
Quatre jours plus tard, le roi, revenant d’Amiens, rentre à Paris vers cinq heures du soir, entouré d’un groupe de cavaliers tenant des flambeaux. Il fait très froid. Henri IV est emmitouflé dans une cape. Un homme vêtu de noir demande à l’un de ses voisins lequel est le roi. On le lui montre, il se mêle au cortège et suit Henri IV jusqu’à l’hôtel du Bouchage où l’attend Gabrielle. L’inconnu entre et réussit à se glisser auprès du souverain. Il sort brusquement un couteau de sa poche et l’atteint à la mâchoire. On arrête ce jeune homme. Il dit avoir voulu tuer le roi : "J’ai frappé trop haut, j’avais visé le cou !"
Le roi a une lèvre percée et a perdu une dent dans l’attentat. Son agresseur avoue qu’ayant des goûts anormaux, interdits par l’église, il voulait le tuer pour avoir l’assistance d’un prêtre qui serait forcé de l’absoudre de ses péchés. Le garçon, sans doute un peu dérangé mentalement, se nomme Jean Chastel. Il est exaucé. Un prêtre reçoit sa confession. Il est ensuite écartelé.
Evidemment, la version officielle n’est pas révélée. Le roi et ses conseillers laissent croire à un attentat politique. Chastel ayant été élevé par les Jésuites, on accuse ces ligueurs acharnés d’être à l’origine du complot. Tous sont bannis du royaume par le Parlement de Paris.
Après ce fâcheux intermède, Henri IV peut enfin s’occuper du petit César et Gabrielle est libre. Le roi légitime son fils : par lettres patentes en janvier 1595, César est titré duc de Vendôme. Gabrielle d’Estrées est toute à la joie de cette reconnaissance, mais elle rêve toujours de devenir reine de France.
Depuis quelques temps, Henri IV envisage de répudier Margot. Il envoie un Maître des Requêtes nommé Erard à Usson pour négocier avec son épouse. Il lui propose une somme de 250 000 écus pour payer ses dettes et une rente viagère. La reine n’est pas hostile au divorce, elle n’a aucune envie de revivre avec Henri IV, mais elle veut tirer le maximum d’avantages de la situation.
Elle n’est, au fond, attachée ni à la couronne ni aux richesses. Elle envoie même une lettre extrêmement aimable à Gabrielle d’Estrées, lui disant qu’elle la considère comme sa sœur et qu’après le roi, elle est la personne qu’elle estime le plus… C’est un peu beaucoup !
Le roi assoit sa légitimité
Le 17 janvier 1595, Henri IV, poussé par Gabrielle, déclare la guerre à l’Espagne. Philippe II, qui s’est assuré le concours de ligueurs, riposte en envoyant des troupes en Picardie, en Bretagne et en Bourgogne. Hélas, la guerre n’est pas si favorable qu’on le croyait puisque le 21 avril 1596, Calais tombe aux mains du cardinal d’Autriche, c’est à dire de l’Espagne.
Malgré cette situation peu confortable, le roi continue à couvrir sa maîtresse de cadeaux. Elle a été faite duchesse de Beaufort. Il lui donne le château de Monceaux, près de Meaux et utilise l’argent de l’Etat pour gâter sa favorite. Or, l’argent manque pour la guerre contre les Espagnols. Gabrielle d’Estrées devient de plus en plus impopulaire. Henri IV demande à Elizabeth d’Angleterre de lui prêter 200 000 écus et à la Hollande de lui consentir une avance de 50 000 florins.
Malgré tous ses soucis d’argent, le monarque est très heureux car Gabrielle lui donne un deuxième enfant, une fille, Catherine Henriette. Pour l’occasion, le roi organise des fêtes somptueuses et c’est à ce moment qu’arrive une nouvelle désastreuse : Amiens a été pris par les Espagnols ! Le roi et son armée partent assiéger la ville. Gabrielle l’accompagne. Le camp d’Henri IV ressemble à une immense foire. La favorite fait aimablement visiter toutes les installations à qui lui demande. Mais le 18 septembre 1597, Amiens se rend.
Pour le roi de France, le vent a tourné favorablement . Après une campagne rapide en 1598, le dernier ligueur, le duc de Mercœur, qui tenait la Bretagne, le reconnaît à son tour. Désormais, plus personne ne conteste la légitimité d’Henri IV. Il est temps d’assurer la pacification religieuse de la France.
Gabrielle d’Estrées est attaquée de toutes parts. Pour ne pas perdre la confiance du roi, elle s’efforce de l’aider lorsqu’il décide de fixer le statut des Protestants en France.
L’Edit de Nantes est un exemple unique en Europe, à l’époque, de tolérance pour tous. Si le catholicisme reste la religion d’Etat, des privilèges considérables sont accordés aux Protestants. Ils obtiennent la liberté de culte dans les lieux où la Réforme avait été établie avant 1597, sauf à Paris. L’égalité civique avec les catholiques est reconnue. Une amnistie pleine et entière est accordée à tous ceux qui avaient participé aux guerres de religion.
L’Edit de Nantes est enregistré par le Parlement de Paris le 13 avril 1598. Gabrielle d’Estrées n’a pas ménagé sa peine pour gagner les conseillers du roi aux concessions nécessaires et obtenir l’adhésion de la magistrature. C’est la fin la plus honorable que l’on puisse donner aux guerres de religion. Deux jours après l’enregistrement de l'Edit, Gabrielle accouche d’un garçon, prénommé Alexandre. De quoi rappeler au roi qu’il serait temps de l’épouser…
L'épineuse question du divorce d'Henri IV
L’avenir de la dynastie préoccupe Henri IV. Il lui faut désormais obtenir l’annulation de son mariage et l’autorisation d’épouser au plus tôt Gabrielle. Il écrit donc au pape.
Quelques mois plus tard, Henri IV a un long entretien avec son ministre Sully. Il feint de l’interroger pour savoir, selon lui, quelle épouse lui conviendrait le mieux lorsque son mariage serait annulé. L’infante d’Espagne est laide et vieille… Peut être la princesse Arabella d’Angleterre, pourvu qu’elle soit déclarée héritière présomptive… Surtout pas de princesse allemande ! Il dit pourquoi et ce n’est guère aimable : s’il en épousait une, il "croirait toujours avoir un tonneau dans son lit" ! On dit que le duc de Florence a une nièce, Marie de Médicis, rose et blonde, que l’on trouve assez belle. Hélas, dit le roi "de la même race que la reine Catherine qui a causé tant de maux à la France et à moi-même". Il y a aussi une nièce des Guise, belle et grande ! Mais elle est trop proche de ses frères de Lorraine…
Sully répond à Henri IV qu’il est bien difficile : "On ne peut pas rajeunir la reine d’Angleterre, ni ressusciter Anne de Bretagne et Marie Stuart. Que le roi prenne une épouse qu’il puisse aimer et qui lui fasse des fils…"
Henri IV pense tout de suite à Gabrielle d’Estrées. Il finit par le lui dire, mais la réponse de Sully est terrible : "Vous rendant obéissance, Sire, je vous dirai qu’outre le blâme général que vous pourriez encourir et la honte qu’un repentir vous apportera lorsque les bouillons d’amour seront attiédis, je ne puis imaginer nul expédient plus propre à développer les intrigues, embarras et prétentions qui surviendront à cause de vos enfants, nées de si diverses manières et avec des formes tant irrégulières. Pour le premier, on ne saurait nier qu’il soit né d’un double adultère. Le second fils que vous avez à présent se croira plus avantagé à cause que ce ne sera plus que sous un simple adultère. Et ceux qui vous viendront après, lorsque vous serez marié, ne manqueront pas de prétendre qu’eux seuls doivent être estimés légitimes."
Henri IV quitte son ministre de très mauvaise humeur. Malgré l’analyse très fine de la situation par Sully, le roi n’a pas renoncé à son projet d’épouser Gabrielle. Elle est plus puissante que jamais ; Le monarque ne prend aucune décision sans lui demander son conseil et il attend, avec impatience, la réponse du pape à sa demande d’annulation.
Par son légat à Paris, Alexandre de Médicis, le Saint-Père sait parfaitement, que le roi a l’intention d’épouser sa maîtresse. Ce projet ne lui plaît pas car la réputation de Gabrielle est épouvantable.
Après une petite maladie vénérienne, qui le contraint à plusieurs jours de repos, le roi réalise que s’il lui arrivait un malheur, les ducs de Montpensier, de Joyeuse et d’Epernon formeraient un conseil de régence, bien décidés à écarter du trône le fils de Gabrielle. Dès lors, sans rien changer de son attitude envers la favorite qui croit toujours au mariage, le roi engage des pourparlers avec la famille de Marie de Médicis.
Harcelé par Gabrielle, Henri IV annonce officiellement son intention de l’épouser le 2 mars 1599, alors même qu’il vient de demander au grand-duc de Toscane un portrait de Marie de Médicis…
Une mort épouvantable
En avril, la cour est à Fontainebleau. Le roi et sa favorite filent le parfait amour mais le confesseur d’Henri IV lui dit que, à l’approche de Pâques, il serait inconvenant que Gabrielle reste auprès de lui. Il lui suggère de lui faire regagner Paris. Elle y fera une retraite pour manifester publiquement ses sentiments religieux. Le roi juge ce conseil très sage. Sa maîtresse rentre donc à Paris.
Elle dîne chez le financier Zamet. Mais un fruit au dessert, un citron, lui met le feu au gosier ! Elle dort chez son hôte. Après une mauvaise nuit, elle se confesse à l’église du Petit Saint-Antoine. Le soir, elle assiste à l’office des Ténèbres. En rentrant chez Zamet, elle est prise de convulsions. Transportée chez Mme de Sourdis, sa tante, elle est de plus en plus mal dans la nuit du jeudi au Vendredi Saint. Alerté, Henri IV galope vers Paris. A Essonne, il voit venir trois cavaliers. L’un d’entre eux, Bassompierre, lui annonce la nouvelle de la mort de Gabrielle.
Il le dissuade d’aller voir la défunte car elle est affreusement défigurée par les souffrances qu’elle a subies. Le roi rentre à Fontainebleau. En vérité, Gabrielle n’est pas encore morte. C’est un homme de confiance d’Henri IV, Fouquet La Varenne, qui n’a pas quitté le chevet de Gabrielle qui avait chargé Bassompierre d’annoncer au roi le décès de sa favorite. Pourquoi ? Craignait-il que Gabrielle ne fasse des révélations à son amant ? En fait, c’est à l’aube du Samedi Saint, le 10 avril 1599, soit 24 heures plus tard, que Gabrielle succombe, âgée de 26 ans. Les détails de l’autopsie sont épouvantables : elle était enceinte mais ses intérieurs sont très dégradés…
A-t-elle été empoisonnée ? Il est évident que les diplomates et les conseillers du duc de Toscane avaient intérêt à l’éliminer, sachant qu’il souhaitait marier sa nièce au roi de France. Mais peut-être était-elle aussi en très mauvaise santé sans le savoir… Aujourd’hui encore, on ne peut le dire. En tous cas, sa disparition arrange tout le monde : le roi, qui lui avait promis le mariage tout en demandant la main de Marie de Médicis, Sully qui avait clairement exprimé qu’il ne souhaitait pas qu’elle devienne reine et le pape, bien embarrassé de faire traîner l’annulation du premier mariage du roi de France.
Les funérailles de Gabrielle d’Estrée ont lieu le lundi de Pâques, à Saint-Germain l’Auxerrois, en grande pompe. Elle est enterrée à l’abbaye cistercienne de Maubuisson, près de Pontoise. Après les obsèques, Henri IV, en grand deuil, retourne à Fontainebleau, apparemment désespéré. Pour l’arracher à son affliction, ses amis, ceux que Sully appelait "les porte poulets et conseillers de débauche", décident de lui présenter la ravissante Henriette d’Entragues. Très rapidement, elle devient la nouvelle maîtresse du roi.
Pendant ce temps, les négociations continuent avec le duc de Toscane. Au début de mars 1600, les fiançailles d’Henri IV et de Marie de Médicis sont annoncées. Malgré son influence, Gabrielle d’Estrées a été bien vite oubliée.
Références bibliographiques :
Jean des Cars, La saga des Favorites (Perrin, 2013)
Guy Breton, Histoires d’amour de l’Histoire de France (François Beauval, 1965, réédition France-Empire 2013)
Duc de Lévis-Mirepoix, de l’Académie française, Henri IV, roi de France et de Navarre (Perrin, 1971)
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Europe 1 Studio