La conquête de l'Ouest est un chapitre mythique de l'histoire des Etats-Unis. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars revient sur les conséquences de la colonisation de cette partie du continent sur les populations indigènes d'Amérique…
Les Indiens ont été les premières victimes de la politique expansionniste des Etats-Unis vers l'ouest du territoire. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars détaille le terrible coût humain de la conquête de l'Ouest pour les Premières Nations.
La politique de Washington à l’égard des Indiens
Lorsque les Anglais et les Français se sont affrontés pour la possession des territoires canadiens, les deux camps ont rivalisé de cadeaux et de prévenances pour obtenir l’alliance avec les tribus indiennes. Les Algonquins combattaient pour les Français, les Iroquois pour les Anglais. Cette opposition des tribus a été magnifiquement racontée par Fenimore Cooper dans son célèbre roman "Le dernier des Mohicans". En 1763, après l’éviction des Français du Canada, les autorités britanniques proclament solennellement qu’aucune terre indienne ne pourra être occupée si elle n’a été achetée ou cédée par un traité.
Juste après l’indépendance des Etats-Unis, l’Ordonnance du Nord-Ouest confirme en 1787 que les terres indiennes seraient sauvegardées et qu’aucune tribu ne pourrait être privée de ses terres ou de sa liberté, "sauf dans le cas d’une guerre autorisée par le Congrès". Mais les incidents commencent dès le franchissement du massif des Appalaches en direction de l’Ouest, par les colons.
La politique du gouvernement américain à l’égard des Indiens devient hostile dans les années 1830-1840, lorsque 100 000 indiens Cherokee et Seminole qui refusaient de vendre leurs terres à l’est du Mississippi, sont transplantés de force à l’ouest du fleuve. C’est le président Jackson qui a pris cette décision le 28 mai 1830. Le texte a provoqué de violents débats au Congrès. Certains jugeaient cette décision inhumaine, d’autres étaient convaincus que c’était le seul moyen de sauver les Indiens de l’extinction. La loi est déclarée inconstitutionnelle par la Cour Suprême. Mais le président Jackson met au défi le président de la Cour Suprême d’appliquer sa décision. Il déclare : "Il a pris sa décision. Qu’il la mette en pratique !"
Pour se justifier, le président fait une promesse aux Indiens : "Vos frères blancs ne revendiqueront jamais ce territoire à l’ouest du Mississipi et vous pourrez y vivre, vous et vos enfants, aussi longtemps que poussera l’herbe et que coulera l’eau, dans la paix et l’abondance. Il sera à vous pour toujours."
En réalité, de 1850 à 1880, les Indiens nomades des grandes plaines du Middle West verront s’effondrer toutes les bases de leur existence. La chasse traditionnelle ne va plus les nourrir en raison de la disparition des bisons. Alors que les troupeaux étaient immenses dans les années 1830, à partir de cette date, les bisons sont systématiquement chassés et alimentent le considérable marché des peaux. C’est à cette période que le célèbre Buffalo Bill crée sa légende. Il ne reste que quelques centaines de ces animaux en 1890. D’autre part, l’installation d’agriculteurs sédentaires dans des propriétés clôturées rendaient difficiles leurs migrations permanentes…
Des Indiens sur le sentier de la guerre
Avec le sentiment d’être dépossédés de leur univers traditionnel et de leur mode de vie, les Indiens ne pouvaient que se révolter. En 1838, le président Jackson envoie l’armée en Géorgie pour déporter les Cherokee en Arkansas et en Oklahoma. Ce triste épisode est connu sous le nom de "Piste des Larmes". 18 000 Cherokee prennent la route de l’exil. 4 000 vont mourir pendant ce long déplacement. A partir de 1850, les diverses tribus, les unes après les autres ou ensemble n’ont cessé d’être "sur le sentier de la guerre".
En 1862, en pleine guerre de Sécession, les Sioux de Minnesota en révolte sont battus par le général nordiste Sibley, à Wood Lake. En 1864, les Cheyenne prennent la tête d’une coalition qui comprenait les Apaches, les Comanches et les Kiowa. Elle est impitoyablement anéantie par le massacre à Sand Creek en novembre 1864. Les Apaches sont obligés d’accepter de réintégrer les territoires indiens créés en 1834, dans l’actuel Oklahoma.
Le 25 juin 1876, les Sioux et les Cheyennes, commandés par le chef Sitting Bull, massacrent les 200 hommes du général Custer au bord de la rivière de Little Big Horn. Custer est tombé dans un piège, habilement tendu par les Indiens alors qu’il menait une vaste campagne pour forcer les tribus à quitter les grandes plaines pour regagner leurs réserves. La bataille de Little Big Horn a donné lieu à des représailles de la part des USA, et a conduit, quatorze ans plus tard, au massacre de Wounded Knee. Ces deux batailles ont marqué profondément la mémoire collective américaine.
La tribu des Nez-Percés fait une dernière tentative pour échapper à la transplantation. La guerre éclate lorsque le général Howard entreprend de faire respecter un traité vieux de treize ans enjoignant aux Nez-Percés de quitter leur vallée de l’Oregon pour s’installer dans la réserve indienne de Lapwai, dans l’Idaho. Les négociations sont rompues les 13 juin 1877 après des représailles indiennes qui avaient coûté la vie à vingt colons. Le général Howard continue son offensive. Il poursuit les 200 guerriers qui avaient réussi à s’échapper. Conduits par leur chef Joseph, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, ces Indiens parcourent 1500 kilomètres à travers le Montana pour tenter de franchir la frontière canadienne. Ils sont rattrapés et assiégés par les troupes du général Howard le 30 août à 50 kilomètres de la frontière. Pour sauver les femmes et les enfants, le chef Joseph se rend le 15 octobre. Tous ces Indiens devront regagner leur réserve de l’Idaho.
La dernière grande guerre indienne est menée de 1882 à 1884 par les Apaches de l’Arizona et du Nouveau-Mexique, sous la conduite de leur chef Géronimo. Après leur défaite, tous les Indiens se retrouvent confinés dans leurs réserves ou dans le Territoire Indien d’origine, à l’est du Mississippi. Le statut officiel de ces réserves est défini par l’Allotment Act en 1887.
C’en est fini des révoltes. Les Indiens sont les grandes victimes de la Conquête de l’Ouest. Non seulement ils ont perdu leur mode de vie migratoire, mais ils ont aussi été victimes des épidémies transmises par les colons. Beaucoup vont périr de la variole, du typhus et du choléra, mais aussi des excès de consommation de whisky. En 1900, les Indiens n’étaient plus du 250 000. Ils devront attendre une loi de 1934 leur ouvrant des crédits pour acheter des terres et du bétail.
Le transcontinental unit l’Est et l’Ouest
Dès les années 1830, des trains circulaient déjà dans les Etats du Nord-Est. En 1862 et malgré la Guerre de Sécession, le président Abraham Lincoln signe le Pacific Railroad Act. Cette décision du gouvernement fédéral donne une impulsion décisive à un vieux projet remontant aux années 1845 : celui de relier l’est à l’ouest des Etats-Unis par le chemin de fer.
Le service des diligences, qui deviendra légendaire au cinéma notamment avec le classique de John Ford "La Chevauchée Fantastique" en 1939, était jugé trop irrégulier et dangereux en raison des nombreuses attaques menées par des hors-la-loi et des Indiens. De même, le service postal appelé Poney Express, assuré par des cavaliers était, certes, héroïque mais très aléatoire. La nécessité d’un réseau télégraphique s’est imposée pendant la guerre de Sécession et il s’est rapidement étendu, à l’image de ce qui existe déjà en Europe occidentale.
Le président Lincoln sait que les Etats-Unis ne pourront se développer qu’en ayant des moyens de transport à la mesure de leurs distances. L’idée d’un chemin de fer traversant le continent nord-américain est une entreprise sans précédent. Il faut franchir des plaines immenses, des canyons, des montagnes, affronter une nature et des populations parfois hostiles.
Il faudra six années pour construire et faire circuler le premier chemin de fer Transcontinental au monde reliant la côte Atlantique à la côte Pacifique. L’originalité de ce chantier gigantesque est de faire avancer deux compagnies à la rencontre l’une de l’autre : l’Union Pacific posera la voie vers l’Ouest en commençant à partir d’Omaha, dans le Nebraska, tandis que la Central Pacific ira vers l’Est, en partant de Sacramento, en Californie.
C’est le 10 mai 1869, à Promontory Point, dans l'Utah, qu’a lieu cette jonction historique. Elle est immortalisée par une photographie qui fera le tour du monde : les deux locomotives des deux chantiers se retrouvent face à face ! Un léger sifflement de vapeur s’échappe des deux machines, la Jupiter et la 119. Elles sont saluées par des hourrahs et des bravos. Les présidents des deux compagnies, Leland Stanford et Thomas Durant, vont enfoncer, avec un marteau d’argent, le clou d’or fixant la dernière traverse de la voie. Les deux hommes sont si émus qu’ils devront s’y reprendre à deux fois, et c’est l’ingénieur en chef de l’Union Pacific, nommé Grenville Dodge, qui frappe correctement la tête scintillante.
La jonction entre les deux tronçons est enfin une réalité. Chaque compagnie a employé 12 000 hommes, surtout des Irlandais pour l’Union Pacific, essentiellement des Chinois pour la Central Pacific. Des millions de dollars ont été investis. Il a fallu affronter des terrains instables, des rafales de blizzards, des tempêtes de neige, mais aussi les attaques des Cheyennes et des Sioux, furieux que les Blancs aient osé couper leurs territoires de chasse sur des centaines de kilomètres.
La ligne, longue de plus de 2 500 kilomètres, permet de relier New-York à San Francisco en huit jours, alors qu’avant il fallait entre trois et quatre mois. L’Amérique en train "coast to coast" comme on dira, est devenue une réalité qui unifie la Nation en rapprochant l’Est et l’Ouest. Une revue va même être publié, appelée simplement "Transcontinental".
C’est le 24 juillet 1870 que le premier train en provenance de San Francisco arrive à New-York. De nouvelles compagnies sont déjà à l’étude voire en chantier pour étoffer la couverture ferroviaire sur cette immense superficie. Le 8 septembre 1883, c’est avec humour que le président de la Northern Pacific, Henry Villard, inaugure la ligne reliant l’est au nord-est de la côte Pacifique : "Contrairement aux usages, le crampon d’attache n’est pas en or mais en acier. C’est plus solide et moins cher !"
Rapidement, le prestige du train américain est tel qu’en 1897, le président William Mckinley, qui vient d’être élu, demande au Congrès d’autoriser la construction d’un train présidentiel. Il était en effet devenu gênant que les présidents voyagent dans les trains privés des milliardaires Rockefeller, Vanderbilt et Gould.
Vingt-cinq constructeurs ferroviaires réunissent leurs compétences. Le premier train présidentiel américain sera composé de trois voitures appelées Free Silver, Gold Bug et Uncle Sam : l’une pour le service, les bagages et la technique, l’une avec salle à manger, chambre à coucher avec trois lits, salle de bains, douches, toilettes, bureau et la troisième pour la réception avec deux salons séparés, dont un pour un bureau privé et le secrétariat. Tous les présidents américains, jusqu’à Richard Nixon, feront leurs tournées électorales à bord de ces trains spéciaux. Une façon de repartir à la conquête de leur immense pays…
Références bibliographiques :
François Durpaire, Histoire des Etats-Unis (Que sais-je, 2018)
Chronique de l'Amérique (Editions Chronique, 1989)
Jean des Cars et Jean-Paul Caracalla, Les trains des rois et des présidents (Denoël, 1992)
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Karelle Villais