Le 28 octobre 1812, le général Malet, destitué par Napoléon, fomente un complot pour s’emparer du pouvoir. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars raconte l’obstination du militaire à renverser l'empereur.
En 1812, en pleine campagne de Russie, le général Malet pilote une sombre conspiration contre Napoléon… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars raconte comment Malet répand la rumeur de la mort de l'empereur pour prendre le pouvoir à sa place.
Décidément, à partir de l’été, l’année 1812 n’est pas une bonne année pour Napoléon. Il quitte Paris le 9 mai, en compagnie de l’impératrice Marie-Louise. Il avait donné rendez-vous à ses alliés à Dresde pour une conférence pendant que son immense armée achevait sa concentration sur la rive gauche du Niémen. Il la rejoint le 23 juin et, en une semaine, la Grande Armée franchit le fleuve en plusieurs points et commence à s’enfoncer dans l’Empire des tsars. Les communications entre Paris et l’Etat-Major de l’Empereur sont difficiles. Napoléon peut parfois attendre quinze jours avant de recevoir la correspondance que lui envoie quotidiennement l’archichancelier Cambacérès. Pendant son absence, qui va durer huit mois, le pouvoir fonctionne à Paris normalement, c'est-à-dire comme s’il était là. Il n’y a ni régence, ni délégation totale. Cambacérès a les coudées franches pour les dossiers mineurs et le gouvernement du quotidien. Le reste doit être visé par l’empereur. Les décrets sont contenus dans des portefeuilles. Au début, cela fonctionne plutôt bien. Napoléon va parapher plusieurs décrets à Vitebsk le 7 août, à Smolensk le 24. D’autres seront signés à Moscou où la Grande Armée fait son entrée le 14 septembre, une semaine après la difficile et coûteuse victoire de la Moskova. Parfois, c’est Napoléon qui rédige des décrets et les envoie pour exécution à Paris. Ce sera le cas du texte organisant le fonctionnement de la Comédie-Française. Aujourd’hui, on l’appelle toujours “le décret de Moscou". Il réglemente la rémunération des comédiens par le système dit des “feux”. Incroyable Napoléon qui a pourtant d’autres inquiétudes que le Théâtre Français ! Mais il est ainsi, organisateur impénitent au cerveau agile.
Il va rester trente-cinq jours dans l’ancienne capitale des tsars, installé dans le palais du Kremlin. Il tente de reconstituer ses forces mais il perd du temps. A Paris, on s’inquiète. On a de plus en plus de doutes sur la formidable entreprise que constitue la Campagne de Russie. La reine Hortense, fille de Joséphine, écrit : “La France semblait toute entière en Russie. Les vœux, les craintes, les espérances, tout était là. Jamais la Nation ne s’était vue si séparée de ses défenseurs et l’éloignement de la guerre en redoublait l’effroi. Que de plaintes contre celui qui l’avait transportée dans des régions si lointaines !”
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L’incendie de Moscou et une première neige le 13 octobre font comprendre à Napoléon qu’il ne pourra pas passer l’hiver dans la ville qui est devenue un champ de ruines et où l’approvisionnement de l’armée sera de plus en plus difficile. L’empereur et sa Grande Armée quittent donc Moscou le lundi 19 octobre. C’est le commencement de la fin de la plus incroyable épopée impériale. Le 28 octobre, le jour de la conspiration du général Malet, Napoléon traverse le champ de bataille de la Moskova. Le 6 novembre, les premières informations relatives à un attentat contre l'empereur parviennent au quartier général de campagne. Le comte de Ségur nous les raconte : “On vit le comte Daru accourir et un cercle se former autour de lui et de l’Empereur. Une estafette, la première qui depuis dix jours avait pu pénétrer jusqu’à nous, venait apporter la nouvelle de cette étrange conjuration, tramée dans Paris même, par un général obscur et au fond d’une prison… Dès que l’Empereur fut seul avec ses officiers les plus dévoués, toutes ses émotions éclatèrent à la fois par des exclamations d’étonnement, d’humiliation, de colère.”
D’autres explications plus longues suivent alors que la Grande Armée atteint Smolensk. C’est après qu’il ait supervisé le terrible passage de la Bérézina que Napoléon quitte son armée pour regagner Paris au plus vite. Fain, son secrétaire, nous dit pourquoi : “L’Empereur n’est frappé que d’une chose : ce n’est pas qu’une conspiration ait éclaté en son absence, c’est qu’après douze années de gouvernement, après son mariage, après la naissance de son fils, après tant de serments, sa mort puisse devenir encore un moyen de révolution.”
En effet, le général Malet avait fait croire que Napoléon était mort à Moscou pour tenter de s’emparer du pouvoir. Il était temps que l’empereur rentre à Paris pour remettre de l’ordre. Mais qui donc était le général Malet, l’auteur de cette incroyable conspiration ?
Malet : une carrière militaire contrariée
Claude François de Malet, est né à Dole dans le Jura le 24 juin 1754. A 17 ans, le jeune Malet entre dans la Compagnie des Mousquetaires de la Maison du Roi. Il y passe 4 ans mais est finalement licencié à la suite de la réforme de l’armée mise en œuvre par le Secrétaire d’Etat à la Guerre de Louis XVI. Il reçoit une importante compensation financière, rentre à Dole et épouse une fille de bonne famille d’Arbois, Denise de Balay. Il intègre la Garde Nationale de Dole dont il devient commandant. Il connaît un moment de gloire le 14 juillet 1790 lorsqu’il conduit des Gardes Nationales du Jura à la Fête de la Fédération. Plein d’enthousiasme pour la Révolution, le futur conspirateur abandonne alors sa particule et devient simplement Malet. Il obtient sa réintégration dans l’armée et est nommé aide-de-camp du prince Charles de Hesse au service de la France, commandant les subdivisions de Nancy puis de Toulouse. Ensuite, il sert dans le Hainaut puis devient aide-de-camp du nouveau chef d’Etat-Major de l’Armée du Rhin, Alexandre de Beauharnais (le mari de Joséphine). Il participe à des combats dans le Palatinat et s’affiche de plus en plus comme un fervent républicain. Néanmoins, le 21 septembre 1793, le Comité de Salut Public décide de licencier tous les militaires ayant servi dans la Maison du Roi. Il est donc à nouveau chassé de l’armée. Il s’installe à Paris. Il devra attendre trois ans avant d’être nommé, en avril 1796, chef d'État-Major de la subdivision militaire de Besançon. Sa carrière se poursuit sous le Consulat. Il devient commandant des troupes départementales d’abord en Gironde puis en Charente. Son mauvais caractère le fait prendre en grippe par le Préfet de la Gironde puis par celui de la Charente.
En 1804, Malet est nommé commandant du département de la Vendée. Il n’y reste pas longtemps. Compte tenu de ce qui s’était passé pendant la Révolution et les débuts du Consulat, la Vendée devait être traitée avec doigté dans un but de réconciliation. Evidemment, Malet fait tout le contraire ! Il prend contact avec les Jacobins les plus violents, et dénonce les ci-devant, c'est-à-dire les anciens titrés aristocrates et les prêtres, tout ce qu’il ne fallait pas faire. Il a le don d’être maladroit et provocateur. Il est de nouveau mis en disponibilité au début de l’année suivante. Cette fois, on va l’éloigner du théâtre national et on l’envoie diriger une brigade de l’armée d’Italie. D’abord cantonné à Vérone, il est muté à Rome, installé à Civita Vecchia pour surveiller le port pontifical. En même temps, il occupe un palais réquisitionné, le palais Rinuccini dans lequel s’installera plus tard la mère de Napoléon, lors de son exil. Il entre immédiatement en conflit avec l’ambassadeur de France. Comme de nombreux officiers français, Malet se livre à divers trafics : détournement de marchandises saisies, organisation de maisons de jeux illégales qui permettent de gonfler sa solde. On enquête sur ses agissements et en mai 1807, il reçoit l’ordre de se rendre à Turin pour se mettre à la disposition du gouvernement des Départements au-delà des Alpes. Camille Borghèse, vice-roi de la région, informe l’empereur : “Cet officier s’est conduit indignement… N’ayant jamais eu qu’à me plaindre du général Malet et sa réputation à l’armée étant des plus mauvaises, je l’enverrai en Piémont… Si Votre Majesté ne destitue pas le général Malet, elle fera toujours fort bien, pour son service, de ne point l’employer à l’armée.”
Napoléon destitue immédiatement le général indélicat et ordonne une enquête. Ses conclusions sont très défavorables à Malet, coupable de prévarication. L’empereur signe le décret de mise à la retraite du général Malet. On peut croire que le ministère s’est enfin débarrassé de lui. Grave erreur ! Désormais, il va employer son temps à conspirer…
Les deux premières conspirations du général Malet
S’estimant mal traité, le général Malet n’a plus qu’une obsession : se débarrasser de Napoléon ! Sitôt rentré à Paris, il commence à fréquenter l’énigmatique “Société des Philadelphes”. C’est une sorte de société secrète républicaine et anti-napoléonienne, dont on sait d’ailleurs assez peu de choses. Ce genre d’organisations n’avait rien d’extraordinaire. Il était fréquent, depuis les années 1802-1803, que les officiers républicains se réunissent au sein de loges maçonniques afin de poursuivre leurs réflexions, sans être pour autant inquiétés.
Malet entre dans un groupe plutôt hétéroclite mais c’est lui qui va permettre le passage de groupe conspirationniste à une véritable conjuration. Ses membres préparent un coup d’Etat en juin 1808 alors que Napoléon est à Bayonne. Il s’y est rendu en raison de la crise au sein de la famille royale d’Espagne : Charles IV a abdiqué en faveur de son fils Ferdinand VII. Voulant profiter de la confusion à Madrid, l’empereur convoque le père et le fils à Bayonne et leur propose une troisième voie. Le 6 mai, le roi d’Espagne renonce au trône et Charles IV confirme son abdication au profit d’un frère de Napoléon, Joseph Bonaparte, alors roi de Naples. Le règlement des détails du changement de dynastie, le début du soulèvement espagnol contre les Français et le temps mis par Joseph pour revenir de Naples et troquer son sceptre de roi de Naples pour celui de roi d’Espagne obligent l’empereur à rester plus longtemps que prévu à Bayonne.
Malet s'entoure...
Malet réunit alors un étrange groupe de conspirateurs. Il comprend des révolutionnaires comme Jean-François Ricord, ex-Conventionnel régicide, Blanchet, ancien secrétaire du Club des Jacobins, Florent–Guyot et d’autres, plus deux généraux, Joseph Guillaume destitué en 1802, également pour prévarication, et Pierre-Joseph Guillet. Ce dernier avait été suspendu en 1807 pour avoir rançonné les populations de Dalmatie et ordonné quatre exécutions illégales. Une troupe d’insatisfaits revanchards.
L’idée générale de la conjuration de Malet est très simple : profiter de l’absence de l’empereur qui se trouve à Bayonne pour faire croire au peuple que le Sénat a adopté un sénatus-consulte selon lequel l’Empire est remplacé par une dictature provisoire. En clair, il s’agit de destituer Napoléon. Les conjurés nomment les membres de la dictature parmi lesquels se trouvent plusieurs sénateurs qui auraient fait voter ce fameux sénatus-consulte. Ils compromettent ainsi une brochette de parlementaires qu’ils n’ont jamais rencontrés et qui ne sont au courant de rien ! D’autres faux textes sont préparés, dont l’un nommant Malet général de division de toutes les forces armées ! Des indiscrétions vont révéler le complot au Préfet de Police Dubois qui est ravi de surprendre en flagrant délit d’ignorance son supérieur, Fouché ! Tous les conspirateurs sont arrêtés le 16 juin 1808. Y aura t-il un procès ? Fouché n’en a aucune envie. L’empereur, informé ? Non plus. On laisse les conspirateurs en prison à La Force, cet ancien hôtel du Marais transformé en geôles. Il va classer l’affaire comme relevant de “la haute police de l’Etat”. En fait, il n’avait aucune preuve de l’implication des sénateurs et pour cause : ceux-ci n’étaient pas au courant ! Inutile de se mettre à dos le Sénat pour ce que lui-même a appelé “la conspiration des hypothèses”.
Le général Malet est donc emprisonné à La Force, d’abord mis au secret. Puis, il peut envoyer et recevoir du courier, enfin se promener librement dans la cour et même acceuillir des visiteurs, sa femme et son fils, notamment. C’est alors que se situe un épisode hallucinant. Un prisonnier, nommé Francesco Sordi, est en réalité ce qu’on appelle “un mouton”, c'est-à-dire un mouchard. Début mai 1809, il prétend détenir d’importantes informations mettant en jeu la sûreté de l’Etat. Desmarest, chef de la police secrète, le fait venir dans son bureau et Sordi lui raconte que Malet prépare un nouveau coup d’Etat avec d’impressionnants moyens. Il a prévu de s’évader pour mener une opération contre le gouvernement dirigé par Cambacérès en l’absence de l’empereur, qui fait alors la guerre en Autriche. Malet menace de neutraliser Cambacérès, les ministres, les grands dignitaires et le chef de l’armée lors du Te Deum prévu à Notre- Dame pour célébrer la prise de Vienne survenue le 10 mai. Les troupes de Malet devaient arriver sur le parvis de Notre-dame en criant : “L’empereur est mort ! A bas le tyran ! Vive la liberté !”
Ces hommes encercleraient ensuite la cathédrale, le gouvernement serait en état d’arrestation. Malet pensait que cela suffirait à soulever le peuple et l’armée et qu’ainsi le régime serait balayé. Desmarets n’est pas très convaincu, il ne croit guère à cette histoire. Il ordonne une surveillance discrète et quelques vérifications. Le Te Deum se déroule le 29 mai sans incident. Fouché informe Napoléon, alors à Vienne, de cette sombre histoire. L’empereur, comme son ministre, est perplexe. Les élucubrations que Malet avait racontées à Sordi relèvent, au fond, du même processus que l’année précédente. Il n’y avait qu’une différence : on annonçait la mort de Bonaparte, ce qui entraînerait automatiquement un changement de régime. Le général déchu préparait en fait dans sa tête son prochain attentat, qui serait beaucoup mieux organisé que le précédent. L’affaire du Te Deum n’avait été qu’un fantasme. Après ce deuxième Coup d’Etat fantasmé, le prochain mettrait fin à l’Empire…
Ressources bibliographiques :
Thierry Lentz, La conspiration du général Malet (Perrin, 2012)
André Castelot, La campagne de Russie, 1812 (Perrin, 1991)
Jean Tulard (direction), Dictionnaire Napoléon (Fayard, 1987)