"L’opération Walkyrie" un complot fomenté pour assassiner Hitler, échoue le 20 juillet 1944… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars revient sur les suites tragiques du complot…
La nouvelle tombe… Le Führer ne souffre que de blessures superficielles, il a échappé à la tentative d’assassinat de "l’opération Walkyrie". Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars raconte la répression sanglante qui s’en suit.
Stauffenberg atterrit à Berlin entre 14h15 et 14h45 à l’aéroport de Tempelhof. Son chauffeur l’attendait à un autre aérodrome. Exaspéré, il doit appeler une autre voiture pour se faire conduire avec Haeften à la Bendlerstrasse, le QG des conjurés. Il n’y arrive qu’à 16h30 et la tension est à son comble. Il confirme à son arrivée que Hitler est mort, il n’a pas pu survivre à une pareille explosion. Or, l’homme-clé de l’opération, le supérieur direct de Stauffenberg, le général Fromm, commandant en chef des troupes de réserve, est sûr du contraire. Il a reçu un appel du QG d’Hitler à 16h00 : on l’assure que le Führer ne souffre que de blessures superficielles. Lorsque les conjurés demandent à Fromm de signer l’ordre du déclenchement de Walkyrie, il refuse catégoriquement. Ils le mettent alors en état d’arrestation. Divers chefs de file de la conjuration sont contactés et arrivent à la Bendlerstrasse. Le général Beck annonce qu’il prend les rênes de l’Etat. Le Feld-Maréchal von Witzleben, ancien commandant en chef en France, impliqué depuis longtemps dans le complot, devient commandant en chef de l’armée de terre. Le général Hoepner, congédié par Hitler en 1942, succède à Fromm pour commander l’armée de réserve.
Si les nominations vont bon train à la Bendlerstrasse, le désordre est croissant. Un coup d’Etat dans une dictature totalitaire n’est pas une mince affaire. On commence à mesurer le dilettantisme des conjurés. Trop de paramètres ont été négligés, le déroulé, la coordination et surtout la communication. On n’a pas détruit le centre de communication du QG de Hitler ou fait quoi que ce soit pour le mettre durablement hors-service. Rien non plus n’a été prévu pour prendre le contrôle des stations de radios de Berlin et des autres villes. Aucun communiqué n’est diffusé par les putschistes. Les chefs du parti et les SS ne sont pas arrêtés, or c’était la première nécessité des conjurés de l’Opération Walkyrie. Goebbels, le maître de la propagande, va donc pouvoir s’exprimer à la radio. Les conjurés donnent des ordres mais il y a trop d’incertitudes, trop d’hésitations. Tout était fondé sur la mort du Führer. En l’absence de confirmation réelle, beaucoup hésitent à s’engager. Cela commence à sentir le fiasco lorsque le Feld Maréchal Witzleben arrive à 20h00 à la Bendlerstrasse, il glisse à l’oreille de Stauffenberg : “Quel beau gâchis !”.
Le fiasco
Au QG de Hitler, on a vite compris que l’attentat était le signal d’une insurrection militaire et politique contre le régime. En milieu d’après-midi, le dictateur confie le commandement de l’armée de réserve à Himmler. Dès que la nouvelle de sa survie est confirmée au sein de l’armée, le nombre d’unités qui soutiennent le coup d'État se réduit comme une peau de chagrin. Dès la fin de la matinée, Goebbels s’était entretenu avec Albert Speer dans son bureau à Berlin pour discuter de la mobilisation des dernières troupes. Au milieu de la discussion, ils ont été interrompus par un coup de téléphone leur apprenant l’attentat. Peu après, ils ont appris qu’Hitler a survécu et, vers 15h00, ils reçoivent un texte rédigé par Hitler lui-même à diffuser sur les ondes pour mettre fin au désordre. Mais le texte, sec et froid, ne plaît ni à Goebbels ni à Speer. Goebbels ne semble pas réaliser la gravité de la situation. Il va tarder très longtemps à diffuser ce communiqué pourtant urgent. A ce moment-là, sa maison est entourée de troupes en armes. Le chef de bataillon, un farouche partisan d’Hitler, a obéi à un ordre des putschistes. Goebbels parle à ce commandant et lui rappelle son serment au Führer mais il lui réplique que ce dernier est mort. Goebbels le conduit dans son bureau, appelle Hitler au téléphone et le passe au commandant. Le Führer hurle au bout du fil : “Vous m’entendez ! Je suis en vie !”. Puis, il lui parle et le commandant ne cesse de dire: “Ja whol”, mein Fürher, Ja whol, mein Fürher”.
Il est convaincu et Goebbels prend la parole devant le bataillon qui est alors affecté à une autre mission : traquer les conjurés dans leur QG de la Bendlerstrasse. Leur destin est scellé. Goebbels a fait un très court communiqué à la radio expliquant qu’il y a eu un attentat contre Hitler mais que le Führer n’a que des égratignures, qu’il a reçu Mussolini dans l’après-midi et qu’il a déjà repris son travail. A l’intérieur même du Bendlerblock, le QG du putsch, les officiers supérieurs commencent à se rebeller. Ils rappellent aux conspirateurs que le serment qu’ils avaient prêté à Hitler était toujours valable puisque la radio avait annoncé qu’il était vivant. Peu après 21h00, ils prennent les armes. Des coups de feu retentissent. Stauffenberg est blessé à l’épaule. Les officiers libèrent Fromm qui était enfermé dans son bureau depuis le début de l’après-midi. A 22h00, il en sort, lance un regard méprisant aux chefs de l’insurrection, et leur dit : “Ainsi donc, Messieurs, je vais maintenant vous faire ce que vous m’avez fait cet après-midi”.
Il les met en état d’arrestation et leur demande de rendre leurs armes. L’un d’eux pointe son arme sur sa tempe, tire, il n’arrive qu’à s’égratigner. Il tentera une deuxième fois de se suicider, toujours sans succès. Il sera achevé sur place. Fromm retourne alors dans son bureau, revient au bout de cinq minutes et annonce qu’il a organisé une Cour Martiale au nom du Führer. Les quatre conjurés, dont Haeften et Stauffenberg, sont condamnés à mort. Ils sont escortés jusque dans la cour où les attend déjà un peloton d’exécution recruté dans la Garde. Pour théâtraliser la scène, les véhicules militaires stationnés dans la cour ont reçu l’ordre de braquer leurs phares sur un petit tas de sable à côté de la porte par laquelle arrivent les condamnés. Ils sont abattus au fur et à mesure de leur arrivée. Stauffenberg passe en deuxième. Juste avant de mourir il s’écrie : “Longue vie à la Sainte Allemagne !”
Les corps sont emportés et enterrés. Le lendemain, Himmler les fait exhumer pour les incinérer. Ainsi, personne ne pourra leur rendre hommage, ni a fortiori venir en “pèlerinage” sur leurs tombes. Tous les conjurés qui se trouvent encore au BendlerBlock sont arrêtés. L’Opération Walkyrie est un immense échec.
La vengeance d’Hitler
Nous l’avons dit, quelques heures plus tôt, en début d’après-midi, Hitler avait reçu Mussolini dans sa “tanière”. C’était la dix-septième et dernière entrevue entre les deux dictateurs. Le Führer salue le Duce du bras gauche car il a du mal à lever son bras droit blessé. Il raconte à Mussolini ce qui s’est passé et le conduit dans les ruines de son QG. Il s’assied sur une caisse renversée. L’interprète qui les accompagne déniche un tabouret non brûlé pour le Duce. C’est une scène saisissante. Les deux dictateurs ayant fait trembler le monde discutent ensemble pour la dernière fois dans un champ de ruines. Une image symbolique… Hitler dit alors: “Quand je repasse tout cela dans ma tête, je conclus de mon salut miraculeux, quand d’autres personnes présentes ont été grièvement blessées, qu’il ne va jamais rien m’arriver.”
Au moment où il le dit, il vient de trouver le thème du discours qu’il va faire aux Allemands. C’est la Providence qui l’a sauvé. Elle le protège, elle le conduira jusqu’à l’issue victorieuse du conflit. Il devait prononcer ce discours à 18h00 mais après la visite de Mussolini, il fallait encore l’écrire et faire parvenir le matériel de retransmission par la route depuis Koenigsberg à 75 kilomètres de là. L’équipe technique étant partie nager dans la Baltique, il a fallu du temps pour le récupérer. Ce n’est qu’à minuit passé que le discours du Führer est enfin diffusé sur les ondes…
“Mes camarades, hommes et femmes du peuple allemand ! Je ne sais combien de fois à ce jour une tentative d’assassinat a été préparée contre moi. Mais je m’adresse aujourd’hui à vous pour deux raisons :
Tout d’abord, pour que vous puissiez entendre ma voix, sachiez que je ne suis pas blessé et que je vais bien…
Mais aussi pour que vous soyez au courant des détails d’un crime qui est sans équivalent dans l’histoire de l’Allemagne. Une minuscule clique d’officiers stupides, ambitieux, sans scrupules mais aussi criminels, a comploté de m’éliminer en même temps que presque tout l'État-Major des Forces Armées allemandes. (…) C’est une minuscule bande d’éléments criminels qui vont être maintenant éradiqués sans merci… (…) Je puis vous saluer une fois de plus en particulier, vous, mes vieux camarades de combat, en ce qu’il m’a été donné d’échapper à nouveau à un destin qui n’avait rien de terrible en soi pour moi, mais qui aurait valu l’horreur au peuple allemand. J’y vois aussi un signe de la Providence qui m’appelle à continuer mon travail. Je vais le continuer.”
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En effet, il va continuer… Dans l’esprit d’Hitler, c’est la vengeance qui domine. Il va nettoyer “les écuries d'Augias” sans faire de quartier. L’action sera rapide et implacable. Pas de peloton d’exécution pour les criminels. Ils seront chassés de la Wehrmacht puis traduits en Justice en tant que civils et exécutés dans les deux heures suivant leurs condamnations. Pendus. Hitler donne l’ordre de mettre en place une “Cour d’Honneur Militaire” dans laquelle siègeront les généraux des grades les plus élevés, dont Guderian. Le dictateur est indigné que le général Fromm ait décidé tout seul d’éliminer Stauffenberg et ses trois principaux complices par un peloton d’exécution. Les arrestations vont commencer, aussi bien à Berlin que dans toute l’Allemagne, d’abord dans la Bendlerstrasse. On arrête le frère aîné de Stauffenberg. Des militaires de très hauts grades, parmi lesquels l’amiral Canaris, sont aussi emprisonnés. Certains se suicideront avant leur arrestation.
Tous ceux qui vont tomber dans les griffes de la Gestapo subiront de redoutables tortures. On veut les faire parler avant de les dégrader, de les juger et de les pendre. Bientôt, 600 personnes se retrouvent emprisonnées. Hitler reçoit tous les jours le nom des coupables impliqués. Il s’aperçoit rapidement qu’il ne s’agit pas d’une “minuscule clique d’officiers”. Ils sont nombreux et souvent très haut gradés. Himmler est chargé d’exercer sa vengeance contre les familles des conjurés, souvent d’origine aristocratique. Il veut que la famille Stauffenberg soit exterminée jusqu’au dernier de ses membres. La femme du soldat, ses deux frères, leurs enfants, ses cousins, ses oncles, ses tantes, sont tous jetés en prison. Il en sera de même pour les familles des autres conjurés. Seule la fin de la guerre empêchera Himmler de tous les exterminer.
Les procès commencent le 7 août. Ils sont filmés. Ce n’est pas une bonne idée car en les voyant, on réalise l’extrême cruauté du président du tribunal, déchaîné, le juge Roland Freisler. Après le verdict, les condamnés sont en général conduits à la prison de Plötzensee à Berlin. On leur refuse les derniers sacrements et l’assistance d’un prêtre ou d’un pasteur. Une petite salle d'exécution aux murs blanchis à la chaux a été aménagée de plain pied. Des crochets ont été suspendus à une traverse fixée sous le plafond en guise de potence. Les premières exécutions sont filmées et photographiées. On a donc installé des projecteurs comme dans un studio de cinéma… La pendaison a lieu dans les vingt secondes qui suivent l’entrée du prisonnier dans la pièce. On estime le nombre de suppliciés à deux cents. Ce fut le dernier triomphe d’Hitler.
Hitler pas aussi indemne que cela…
Certes, la Providence l’a épargné. Mais le complot de Stauffenberg va durablement marquer Hitler. D’abord physiquement. Quinze jours après l’attentat, le sang suinte encore sur les bandages recouvrant ses blessures. Son oreille droite le fait particulièrement souffrir. Ses deux tympans ont éclaté et mettent plusieurs semaines à cicatriser. Il subit non seulement une perte d’acuité auditive mais aussi des troubles de l’équilibre dus à des problèmes d’oreille interne. Cela fait tourner ses yeux vers la droite et il se penche aussi à droite en marchant. Il est sujet à des vertiges et à des malaises fréquents. Quinze jours après l’attentat, il explique que, pour l’instant, il n’est pas en mesure de prendre la parole en public. Les tremblements de sa jambe gauche et de ses mains disparaissent rapidement après l’explosion. Mais à la mi-septembre, ils reviennent ! On les a attribués, sans doute à tort, à la maladie de Parkinson. En réalité, c’était les conséquences du choc de l’attentat manqué. Le Docteur Morell, médecin personnel du Führer, lui donne quantité de cachets et lui fait des injections pour tenter de le soulager. Son état de santé est préoccupant. Mais psychologiquement aussi il est atteint.
Il était déjà d’un naturel méfiant, mais sa peur d’être trahi va désormais tourner à la paranoïa. La sécurité autour de lui est renforcée, sa nourriture testée et goûtée avant qu’il ne la prenne car il craint aussi d’être empoisonné. Il devient de plus en plus violent. La dégradation de la situation militaire tant sur le front de l’est que sur celui de l’ouest n’arrange pas son état. On sait les souffrances du peuple allemand lors de l’arrivée de l’Armée Rouge. On peut réflechir sur le complot qui a conduit à l’Opération Walkyrie. Les conséquences de son échec ont été effroyables. Stauffenberg le savait. Il était pourtant certain de faire son devoir. En juillet 1944, juste avant l’attentat, il avait écrit : “Il est désormais temps de faire quelque chose. Mais l’homme qui a le courage de faire quelque chose le fait en sachant qu’il restera dans l’histoire de l’Allemagne comme un traître. S’il ne le sait pas, cependant, c’est sa conscience qui le trahira.
Ressources bibliographiques :
Ian Kershaw, L’Opération Walkyrie, la chance du Diable, traduit de l’anglais et de l’allemand par Pierre-Emmanuel Dauzat (Flammarion, 2014)
Missie Wassiltchikoff, Journal d’une jeune fille russe à Berlin, 1940-1945, traduit de l’anglais par Anne-Marie Jarriges et Anne Gibara (Pierre Belfond, 1991)