Le 12 avril 1861, une attaque des forces Confédérées contre une installation militaire de l'Union à Fort Sumter déclenche la guerre de Sécession. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte les origines de ce conflit fratricide entre le sud et le nord des Etats-Unis.
La guerre de Sécession a duré quatre ans. Quatre ans d'un conflit armé, au bilan humain et matériel dramatique, entre le nord et le sud des Etats-Unis. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte comment cette opposition pernicieuse a fait son nid dans le terreau fertile de l'esclavage.
Atlanta en flammes : un traumatisme pour le sud
A l’été 1863, lorsque le général sudiste Lee est vaincu à Gettysburg, en Pennsylvanie, la situation s’inverse. Alors que depuis le début de la guerre les troupes sudistes ont été à l’offensive contre celles du nord, désormais ce sont les armées nordistes qui envahissent les Etats du sud. Le général Sherman, commandant de l’armée fédérale de l’ouest, lance une offensive contre Atlanta, alors capitale de la Virginie. C’est une ville économiquement opulente et un nœud ferroviaire important.
La bataille commence le 20 juin 1864 lorsque le général sudiste John Hood attaque les troupes de Sherman à Peachtree Creek, au nord de la ville. De furieux combats se déroulent autour d'Atlanta jusqu'à ce que le général Hood s’enferme dans la ville. Il la juge imprenable et pense épuiser les forces ennemies. Mais son adversaire va s’emparer de la voie ferrée venant du sud, empêchant le ravitaillement d’Atlanta. Les nordistes, très supérieurs en nombre, encerclent la ville sur trois côtés. Hood et ses troupes doivent évacuer Atlanta.
Le 2 septembre 1864, Sherman pénètre dans la ville et ordonne de la vider de tous ses habitants. Il déclare : "Tenter d’échapper aux rigueurs de la guerre est aussi inutile que de tenter d’échapper à la foudre". Et c’est vraiment la foudre qui va s’abattre sur Atlanta. Sherman s’acharne sur la ville, déjà durement éprouvée par des mois de bataille. Il veut la détruire en raison de son importance stratégique et de son activité industrielle.
Le 16 novembre, les nordistes commencent par démolir un entrepôt de la gare et entassent sur les décombres des wagons, des tentes et de la literie qu’ils enflamment. Cet immense brasier se transforme bientôt en un orage de feu. Une fonderie, une raffinerie, l’hôtel Atlanta, les théâtres, les boutiques, les casernes de pompiers, la prison sont la proie des flammes. A la nuit tombée, elles atteignent plusieurs centaines de mètres de haut. Le feu n’épargnera qu’environ 400 maisons et quelques églises. Le lendemain, le général Sherman quitte la ville dévastée, droit sur son cheval favori, son éternel cigare aux lèvres.
Pour les habitants d'Atlanta, Sherman est un monstre. Mais ses hommes le vénèrent. C’est un brillant stratège. Il entame maintenant une avancée vers la mer, transformant les régions traversées en terre brûlée. Cet acharnement et cette dureté ont laissé une empreinte ineffaçable pour les populations du sud. Mais pourquoi, et comment, cette terrible guerre civile entre le nord et le sud a-t-elle éclaté ?
Des divergences profondes entre le nord et le sud
Depuis le traité de Paris de 1783 et la reconnaissance des treize colonies britanniques d’Amérique devenues les Etats-Unis, ceux-ci ont considérablement agrandi leur territoire. Outre la ruée vers l’Ouest, au-delà des Monts Appalaches, il y a eu l’annexion de la Louisiane en 1810, l’achat à l’Espagne de la Floride en 1819, l’annexion du Texas en 1845, et une cession, par le Mexique, en 1848, d’une énorme partie de sa superficie, allant de la Californie à l’Utah.
C’est un immense territoire dont l’unité est fragile. Les petits Etats craignent toujours que les grands n’imposent leurs vues comme ils l’ont fait lors de tracés des frontières, par exemple entre la Virginie et le Maryland en 1787. Les Etats-Unis sont une Fédération d’Etats. Or, les intérêts des Etats du nord et des Etats du sud sont extrêmement différents. Le nord est protectionniste, tourné vers le marché intérieur. Il s’urbanise et s’industrialise. Le sud, essentiellement agricole, vit surtout de ses immenses plantations de coton. Il en exporte une partie non négligeable vers l’Angleterre.
En 1832, le Congrès où le nord est prépondérant, est hostile à l’importation des produits anglais et ordonne l’instauration de droits de douane qui vont léser le commerce du sud. A ces divergences économiques, s’ajoute, évidemment, le problème qui sera essentiel dans le déclenchement de la guerre de Sécession : l’esclavage. Au moment de l’indépendance des Etats-Unis, il y avait des esclaves dans presque tous les Etats, mais beaucoup plus dans le sud à cause du coton.
Si on prend l’exemple des Pères Fondateurs, Benjamin Franklin avait eu deux esclaves noirs quand il était imprimeur avant de devenir totalement anti-esclavagiste. Thomas Jefferson, qui a exercé deux mandats consécutifs de président des Etats-Unis de 1800 à 1808, possédait des plantations de coton faisant travailler de nombreux esclaves. Il avait une maîtresse noire qui l’avait accompagné à Paris lorsqu’il était ambassadeur après la proclamation de l’indépendance.
Pour résumer, le mouvement abolitionniste s’est développé considérablement au début du XIXe siècle, défendu par des intellectuels comme Thomas Payne ou par des mouvements religieux, comme les Quakers. La littérature joue aussi son rôle : le roman "La case de l’oncle Tom", de Harriet Beecher-Stowe, publié en 1852, connaît un immense succès et fait avancer la cause anti-esclavagiste. Le sud, en revanche, considère que les esclaves sont essentiels à son économie. On va même jusqu’à dire que c’est le meilleur moyen d’avoir une cohabitation pacifique entre les Noirs et les Blancs. Au sud, on craint des révoltes comme celles qui ont éclaté aux Antilles.
L’esclavage est donc aboli dans les Etats du nord mais maintenu dans les Etats du sud. Un premier compromis est trouvé en 1820. On l’appelle la ligne Mason-Dickson, du nom des deux géomètres britanniques qui l’ont dessinée. Les Etats-Unis sont alors composés de vingt-deux Etats dont la moitié sont esclavagistes, avec une ligne de partage nord-sud.
Au Congrès, il y a des frictions et les sudistes obtiennent l’interdiction des débats sur l’esclavage entre 1836 et 1844. Mais l’arrivée de nouveaux Etats rebat les cartes. En 1850, le Congrès décide que la Californie appartient aux territoires sans esclaves. En revanche, les territoires pris au Mexique, comme l’Utah et le Nouveau Mexique, décideront eux-mêmes s’ils veulent être esclavagistes ou pas. C’est l’élection d’Abraham Lincoln à la Présidence des Etats-Unis, le 6 novembre 1860, qui va être le déclencheur de la guerre.
L’élection inattendue de Lincoln
Abraham Lincoln est né dans le Kentucky en 1809. Il est le fils d’un pionnier qui appartenait à une famille émigrée d’Angleterre vers le Massachusetts en 1637. Il est un enfant des "nouvelles frontières". C’est ainsi qu’on appelle les colons qui défrichent de nouvelles terres vers l’Ouest. Lincoln va partager la vie rude de ses parents, colons de l’Indiana encore sauvage, au nord-ouest du Kentucky, dans la direction des grands lacs. Il n’ira pas à l’école puisqu’il n’y en a pas. Pour survivre, il fait divers petits métiers : commis, épicier, employé des Postes. Il prend part comme volontaire à la guerre contre les Indiens en 1832.
Il fera lui-même son éducation. En 1837, il s’installe comme avocat à Springfield, dans l’Illinois. En 1842, il épouse Mary Todd, la belle sœur du Gouverneur de l’Illinois. Elle sera la seule femme de sa vie. Avant son mariage, il faisait déjà partie de l’Assemblée politique de l’Etat. Il en est élu député en 1847. Mais il ne sera pas réélu car au Congrès, il s’est opposé à la guerre du Mexique qui va, on le sait, rapporter de nouveaux territoires aux Etats-Unis.
Il décide alors de se retirer de la vie politique. Il est très troublé par l’esclavage. A 19 ans, il avait fait un voyage dans le Mississipi et il avait vu dans l’esclavage une injustice, un mal profond, inacceptable. Aussi, lorsqu’un nouveau compromis est voté par le Congrès en 1854, avantageant le sud esclavagiste, il est rempli d’indignation. Quatre ans plus tard, en 1858, il se présente au Sénat avec l’appui du jeune parti républicain contre l’inspirateur de ce compromis, le démocrate Douglas.
Malgré une campagne courageuse et ardente, Lincoln est battu mais il est devenu célèbre ! Deux ans plus tard, en 1860, grâce à la division du parti démocrate qui présentait contre lui deux candidats, il est élu à la présidence des Etats-Unis avec moins de 40% des voix. Une sorte de miracle ! En effet, l’enjeu de ces élections était l’extension de l’esclavage à d’autres Etats, ce qui se serait passé si un démocrate avait été élu. Pendant la campagne, les sudistes font savoir que si Lincoln, qu’ils qualifient de "Républicain Noir" était élu, les Etats du sud feraient sécession. Effectivement, le mois suivant l’élection, le 20 décembre 1860, alors que Lincoln n’est pas encore entré en fonction, la Caroline du Sud décide de faire sécession de la Fédération en déclarant : "Nous, peuple de la Caroline du sud, réuni en convention, nous déclarons et ordonnons que l’Union existant entre la Caroline du Sud et les autres États sous le nom d'Etats-Unis d’Amérique est, par le présent acte, dissoute."
Le déclenchement de la guerre
Le 4 février 1861, à Montgomery, en Alabama, six Etats rejoignent la Caroline du Sud : le Mississippi, la Floride, la Géorgie, le Texas, l'Alabama et la Louisiane. Ces sept Etats adoptent une Constitution pour leur Confédération. Le 22 février 1861, ils investissent comme président Jefferson Davis. C’est un ancien officier sorti de l'Académie de West Point, devenu un riche planteur de coton dans le Mississippi. Il a été élu Représentant puis Sénateur de cet Etat et a exercé les fonctions de secrétaire à la Guerre, de 1853 à 1857. Ce défenseur de l’esclavage ne s’est pas résigné sans inquiétude à la Sécession du sud. Il accepte néanmoins d’être le Président de la Confédération.
Le 23 février 1861, à Baltimore, Lincoln échappe à une tentative d’assassinat à quelques jours de son investiture. C’est une période dangereuse. Il va néanmoins tout tenter pour sauver l’Union. Il donne des gages au sud : il explique que son but n’est pas de détruire l’esclavage mais les émissaires qu’il y envoie pour négocier reviennent toujours bredouille. En avril, les sept premiers Etats Confédérés sont rejoints par la Virginie, suivie, en juin, par l'Arkansas, la Caroline du Nord et le Tennessee.
Entre temps, les hostilités ont commencé le 12 avril 1861 lorsque les forces Confédérées ont attaqué une installation militaire de l'Union à Fort Sumter, dans la baie de Charleston, en Caroline du Sud. Pour être bien clair : les Confédérés c’est le sud et les Unionistes, le nord.
Le 15 avril, à Washington, Lincoln décrète l’état d’insurrection et ordonne l’appel sous les drapeaux de 75 000 volontaires qui serviront pendant une période de trois mois. Il ne prononce pas le mot de guerre. Il fait appel au civisme de ses compatriotes pour qu’ils défendent loyalement l’Union. Si ce n’est pas la guerre, cela y ressemble beaucoup…
Les forces en présence semblent à peu près équilibrées bien que le sud ne compte que 9 millions d’habitants dont près de 4 millions d’esclaves noirs alors que le nord a une population de 22 millions d’âmes. En revanche le sud a une histoire militaire beaucoup plus riche que le nord. Il compte beaucoup de vétérans de la révolution texane et de la guerre américano-mexicaine. Des soldats aguerris. La Confédération dispose de nombreux officiers très bien formés et de grands talents tactiques et stratégiques comme on va le voir. En 1858, Lincoln avait affirmé : "Une maison divisée ne peut pas tenir debout indéfiniment. Je pense que ce gouvernement ne peut pas durer moitié libre, moitié esclavagiste. Il doit devenir ou tout l’un ou tout l’autre."
C’est la guerre de Sécession qui va trancher. La division se fera parfois à l’intérieur des familles, même dans celle du président Lincoln : huit des treize frères de son épouse, native du Kentucky, choisiront le camp du sud. Le Président a huit beaux-frères contre lui !
Références bibliographiques :
Chronique de l'Amérique (Editions Chronique, Paris 1989)
André Kaspi, Les Américains (Le Seuil, 2002)
Frédéric Martel, De la culture en Amérique (Gallimard, 2006)
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Karelle Villais