Bélier, flamme et dragon sculptés en pierres précieuses constituent la Toison d’Or de Louis XV. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars raconte l’histoire de ce bijou royal mythique.
La célèbre toison d'or de Louis XV, tout comme l’ensemble des joyaux de la Couronne disparait en 1792… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars achève son récit sur la plus belle décoration portée par le bien aimé.
Louis XV a donc demandé, en 1749, au joaillier Pierre-André Jacquemin de lui dessiner puis de réaliser un insigne de la Toison d’Or dite “la parure de couleurs”. Jacquemin dessine un projet magnifique, réunissant toute la symbolique de la Toison d’Or : un bélier intégralement constellé de 112 diamants peints en jaune à leur revers donne à l’animal une toison dorée étincelante. Le bélier est suspendu au gros Diamant Bleu en forme de cœur, qui le protège. Il est entouré de flammes serties de 84 diamants peints en rouge ; les flammes sont séparées les une des autres par quatre diamants ronds chacun de 5 carats. Elles sortent de la gueule d’un dragon, lui-même taillé dans un rubis historique appelé "Côte de Bretagne". On en reparlera. Au-dessus de ce dragon, le grand Diamant Bleu Bazu de 32 carats brille de son eau céleste. Trois topazes, en fait des saphirs jaunes, décorent la queue et les ailes du dragon qui sont elles-mêmes recouvertes de 282 petits diamants. Une véritable féérie !
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Pour réaliser ce chef-d'œuvre, Jacquemin a utilisé les trois pierres les plus exceptionnelles des trésors de la Couronne, les deux diamants bleus de Louis XIV, le cœur bleu foncé et le “Bazu”, et le fameux rubis Côte de Bretagne. La Côte de Bretagne était alors le joyau le plus célèbre de la Couronne de France. On l’appelle le "rubis Balay". Il s’agit en fait d’une spinelle de 107,88 carats. Cette pierre était appelée Côte de Bretagne car elle ressemblait à la découpe d’une côte bretonne. Pour s’attaquer à un tel trésor et lui donner la forme d’un dragon, il fallait un artiste exceptionnel. C’est Jacques Guay qui fut désigné, un protégé de Mme de Pompadour.
L’influence de Madame de Pompadour
Madame de Pompadour aimait passionnément la glyptique, c'est-à-dire l’art de tailler les pierres dures en relief pour faire des camées ou en creux pour les intailles. Cet art avait été très à la mode pendant la Renaissance. Depuis, on ne s’y intéressait guère. Le XVIIIe siècle va le remettre à la mode et Madame de Pompadour va s’employer à lui donner un nouvel essor. Avant de devenir le protégé de la favorite, Jacques Guay, né à Marseille en 1711, devient l’élève du peintre Boucher. Celui-ci lui fait connaître Pierre Crozat dont la riche collection de glyptiques lui révèle sa vocation. On peut signaler, au passage, que l’extraordinaire collection de glyptiques de Pierre Crozat a été rachetée en 1787 par l’impératrice Catherine II de Russie et est aujourd’hui exposée au Musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg.
Pour étudier l’art de la glyptique, Jacques Guay se rend à Florence, examine les collections des Médicis riches en intailles antiques et Renaissance. Il se rend ensuite à Rome avant de rentrer à Paris et se lancer dans ce délicat travail. On imagine son appréhension ! Le graveur présente la pierre déjà taillée à la forme désirée contre un outil à pointe de métal serti d’une pointe de diamant, actionné par une roue tout en l’arrosant sans cesse d’un mélange d’huile et de poudre diamant, qui permet de creuser la pierre. Une véritable acrobatie ! Chaque intaille nécessite plusieurs jours voire plusieurs semaines d’un travail minutieux.
Son talent est reconnu et Madame de Pompadour, séduite, lui commande une intaille destinée à commémorer l’une des premières victoires du Roi, "Le triomphe de Fontenoy, 11 mai 1745", où le souverain est représenté en Empereur Romain, debout sur son char. Grâce à cette première commande, Jacques Guay est nommé Graveur du Roi la même année et admis à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en mars 1748.
Bien que disposant d’un logement au Louvre en tant que Graveur de Sa Majesté, Guay s’installe à Versailles auprès de sa protectrice. Celle-ci non seulement suit attentivement ses travaux mais elle lui demande aussi de lui enseigner l’art de la gravure sur pierre fine. La marquise de Pompadour impressionne beaucoup le graveur. Il va rendre hommage à son mécénat en réalisant une petite intaille où la favorite du roi est représentée sous les traits de "Minerve bienfaitrice et protectrice de la gravure en pierres précieuses".
Guay précise dans une note, à propos de cette intaille : "Guay a gravé cette pierre en creux pour transmettre à la Postérité la protection que Madame de Pompadour a daigné lui accorder… Si la gravure en pierre est conservée, on le doit à la Minerve du Siècle, elle a protégé cet Art en y travaillant et faisant vivre le graveur."
C'est donc à sa proximité avec la Pompadour et à son immense talent que Guay doit l’honneur, et le lourd privilège, de tailler la Côte de Bretagne pour la transformer en dragon. Personne d’autre n’était plus apte à le faire. Mais comment la marquise de Pompadour avait-elle conquis un tel pouvoir sur les Arts, la Musique et même la Littérature à la Cour de Louis XV ?
Madame de Pompadour protectrice des Arts
Jeanne Poisson est née en 1721. Son père avait travaillé pour le financier Pâris, il était préposé à l'approvisionnement de la Ville de Paris. Compromis dans une affaire de créances fictives sur des achats de blé, il prend la fuite à l’étranger en 1725. Son épouse se retrouve seule avec Jeanne qui a 4 ans et un petit garçon, Abel, âgé de quelques mois. Elle va tout faire pour réhabiliter son époux. Durant l’exil de son mari, elle est recueillie avec ses deux enfants par un Fermier Général administrateur de la Compagnie des Indes Charles Le Normant de Tournehem. Beau, célibataire, fortuné, il est l’ami des artistes. Amant de Madame Poisson, il va beaucoup s’attacher à ses deux enfants auxquels il fera donner une excellente éducation. Jeanne passe deux ans chez les Ursulines. En grandissant, elle devient irrésistible. Elle est intelligente et pleine de séduction. Elle danse et chante merveilleusement. Elle et sa mère sont reçues dans les salons de Madame Geoffrin et de Madame du Tencin. Elles y rencontrent Marivaux, Fontenelle et Crébillon. En 1741, Jeanne se marie à vingt ans avec un neveu du protecteur de sa mère Charles Le Normant d'Etiolles.
Le couple a deux enfants, un fils mort en bas-âge et une petite fille née en 1744. Le ménage vit dans une grande aisance. A Paris, ils reçoivent chez eux Marivaux, Montesquieu et Voltaire. Jeanne est introduite dans le milieu des philosophes, elle appartient à la bourgeoisie éclairée. Mais elle a d’autres ambitions. Elle avait, au début de leur mariage, dit à son époux : "Je ne vous abandonnerai jamais sauf, naturellement, pour le Roi". Elle va tenir parole !
Le château d'Etiolles où elle passe les étés est proche de la forêt de Sénart où Louis XV chasse régulièrement. Elle surgit souvent dans les allées que devait emprunter le roi, très élégamment vêtue, conduisant elle-même son phaéton. Louis XV la remarque. Grâce à Binet, le valet de chambre du roi, Madame d'Etiolles obtient une audience du souverain afin de solliciter une faveur pour son mari. Lors des noces du dauphin, Jeanne est invitée au grand bal costumé des Ifs donné à l’Hôtel de Ville de Paris, le 29 février 1745. Huit personnages sont déguisés en ifs de papier. L’un des ifs s’entretient longuement avec une dame qu’on ne voit que de profil. L’if, c’est Louis XV et la dame c’est Madame d'Etiolles…
Jeanne s'installe à la Cour
Au mois d’avril suivant, Jeanne s’installe en toute discrétion à Versailles. Elle est devenue la maîtresse du roi. Elle va bientôt se séparer de son mari et recevoir le titre de marquise de Pompadour, par la grâce de son royal amant. La Cour accueille cette riche bourgeoise avec une certaine réticence. On la surnomme "La bestiole !", jeu de mots à partir d’ Etiolles, ou la grisette. Peu importe, Jeanne aime Louis XV et Voltaire célèbre cet amour :
"Sincère et tendre Pompadour
(Car je peux vous donner d’avance
Ce nom qui rime avec l’amour
Et qui sera bientôt le plus beau nom de France)
Ce Tokai dont Votre Excellence
Dans Etiolles me régala,
N’a-t-il pas quelque ressemblance
Avec le Roi qui le donna ?
Il est comme lui sans mélange ;
Il unit comme lui la force à la douceur,
Plait aux yeux, enchante le cœur,
Fait du bien et jamais ne change."
La Reine Marie Leczinska, après s’être émue de cette nouvelle maîtresse, finit par l’accepter en disant : "Puisqu’il en faut une, mieux vaut que ce soit celle-là". En revanche, le dauphin la déteste jusqu’à l’appeler “Maman putain” ! Mais il s’y fera lui aussi...
La Pompadour est pleine d’imagination, elle veut distraire le roi. Elle imagine un théâtre démontable installé tous les lundis à Versailles sous l’escalier des Ambassadeurs. Elle y donnera des scènes de théâtre, des ballets, des opéras et elle fera de même dans tous les châteaux qu’elle achète : Montretout, Bellevue, Champs, Ménars. Elle fait aussi travailler les peintres Boucher, Van Loo, Drouais, Fantin-Latour, des sculpteurs comme Pajou, les Manufactures de Porcelaine de Sèvres et de Vincennes, les tapissiers et les joailliers et c’est ainsi qu’elle s’intéressa de très près à l’insigne de la Toison d’Or aux pierres de couleurs du Bien-Aimé.
Quand Jacquemin présente au roi son chef d'œuvre, il est ébloui, Madame de Pompadour aussi. Le souverain arbore cette magnifique décoration sur un tableau de Carl Van Loo de 1750. Elle orne son Cordon Bleu du Saint-Esprit. Louis XV est représenté en chef de guerre, très martial. Il porte une cuirasse sous un manteau de velours bleu brodé de fleurs de lys. Il pose négligemment la main droite sur un heaume surmonté de quatre plumes blanches. A la mort du souverain en 1774, l’insigne de la Toison d’Or rejoindra les joyaux de la Couronne. Il sera transféré avec eux au Garde Meubles Royal à Paris en 1791. Comme le reste de ces trésors, il sera volé et disparaîtra lors du pillage en septembre 1792…
La reconstitution de la Toison d’Or de Louis XV par Herbert Horowitz et François Farges
On sait désormais que c’est un certain Cadet Guillot Lordonner qui s’est emparé de la Toison d’Or de Louis XV la première nuit du pillage. Il s’est enfui à Londres et a desserti les pierres de l’insigne. On sait aussi que le grand Diamant Bleu a été vendu à Henry Philip Hope qui l’a fait retailler et transformé en diamant Hope. Le seul autre joyau qu’on ait retrouvé est la grande spinelle taillée en forme de dragon, récupérée par un aristocrate français émigré à Londres, Lancry de la Loyelle. Elle est désormais conservée au Louvre. On sait aussi que François Farges, grâce à la découverte d’un moulage en plomb du grand Diamant Bleu de Louis XIV qui fut donné au Muséum en 1850, a pu le scanner en 3D ainsi que le Hope, conservé désormais à la Smithsonian Institution de Washington. Il a prouvé que le Hope est effectivement le Diamant Bleu retaillé. Il a pu aussi le simuler tel qu’il était, après la retaille effectuée par le joaillier Pittan, c'est-à-dire le diamant mythique du Roi Soleil.
François Farges et le joaillier Herbert Horowitz décident de reconstituer la Toison d’Or de Louis XV. Il a fallu quatre années de travail d’archives, de conception et de réalisation, ainsi que de patientes recherches sur l’autre diamant bleu, le Bazu. Une tâche immense qui a permis de reconstituer à l’identique la fameuse Toison d’Or de Louis XV. Elle a été présentée le 30 juin 2010 à l'Hôtel de la Marine, anciennement le Garde Meubles de la Couronne, exactement là où elle avait été volée en 1792. François Farges dit que Herbert Horowitz et lui avaient voulu cette sorte de pied-de-nez à l’Histoire. Aujourd’hui, la Toison d’Or aux pierres de couleurs de Louis XV reconstituée par ces deux passionnés est présentée dans l’exposition "Pierres Précieuses" au Muséum National d’Histoire Naturelle, un chef d'œuvre chargé d’histoire au milieu de tant de merveilles.
Ressources bibliographiques :
Henri Dubois, Charles le Téméraire (Fayard, 2004)
François Farges (direction), Pierres Précieuses, catalogue de l’exposition au Muséum National d’ Histoire Naturelle (Van Cleef & Arpels/Flammarion 2020)
Pierre Gaxotte, de l’Académie française, Louis XV (Flammarion, 1980)
Xavier Salmon (direction), Madame de Pompadour et les Arts (Réunion des Musées Nationaux, 2002)
Jean des Cars, La saga des favorites (Perrin, 2013)
"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Diffusion et édition : Clémence Olivier et Salomé Journo
Graphisme : Karelle Villais
Cet épisode a été réalisé en partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle à l’occasion de l'exposition "Pierres Précieuses" que vous pourrez découvrir à Paris dès que les musées rouvriront leurs portes.