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SAISON 2020 - 2021

Sous la Restauration, tous les espoirs monarchiques des Bourbons reposent sur le duc et la duchesse de Berry. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte le parcours romanesque d​e ce couple marqué par le scandale et la tragédie. 

Louis XVIII n’a pas ​eu d’enfant, l’avenir de la monarchie repose donc sur le fils de son frère, le duc de Berry​, et son épouse Caroline. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur le destin mouvementé des époux de Berry.

En ce début de février 1820, il fait très froid à Paris. Qu’importe ! C’est la saison des bals et des carnavals. La duchesse Caroline de Berry en donne un le 28 janvier à l’Elysée Bourbon. Une fête magnifique. Mais bizarrement, elle ne danse pas : son mari, le duc Charles, vient de le lui interdire ! Il ne faut pas voir là de jalousie mal placée : Caroline vient de lui annoncer qu’elle est enceinte, il veut qu’elle ne prenne aucun risque ! Depuis qu’il a appris la nouvelle, le duc de Berry, d’habitude si fougueux et joyeux, n’est plus le même. Il est maussade, il s’emporte pour rien. Il broie du noir comme s’il pressentait un malheur. 

Le dimanche 13 février, il y a plusieurs grands bals dans Paris mais le couple a décidé de passer la soirée au coin du feu puis d’aller tranquillement, vers 10 heures, à l’opéra, alors situé près de l’actuelle rue Le Peletier. Caroline en a très envie. Charles aussi : ce soir, une de ses maîtresses, la danseuse Virginie Oreille, sera sur scène. Un rendez-vous galant après le spectacle se profile. Après l’entracte, la duchesse se sent lasse. Son mari la raccompagne galamment jusqu’à sa voiture.  Il n’a même pas mis son manteau, ravi de pouvoir retrouver Virginie dans la foulée. Après avoir fermé la portière de sa voiture, il se retourne vers son épouse en disant : "Adieu Caroline, nous nous retrouverons bientôt".

Mais au moment où il va entrer dans l’opéra, un homme surgit comme une flèche, le poignarde et repart en courant dans la rue. Le duc s’écrie : "Je suis assassiné ! Cet homme m’a tué ! Je suis mort, je tiens le poignard !" Il trouve la force d’arracher la lame de sa poitrine. Des laquais courent après l’assassin qu’il rattrapent. Berry est soutenu par son écuyer Ménard. Caroline a tout vu. Elle se précipite vers son mari qui lui dit : "Caroline… Viens, que je meure dans tes bras…"

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On remonte avec précaution le blessé jusqu’au salon qui jouxte la loge. C’est là que Virginie Oreille aurait dû le rejoindre. On l’installe tant bien que mal. Les médecins de la Cour sont appelés immédiatement. Ils commencent par le saigner alors qu’il perd déjà tout son sang ! Une catastrophe ! Pendant ce temps, le spectacle s’est terminé, mais le public, qui a appris la nouvelle, reste sur place. Le duc et la duchesse d’Orléans, cousins de la victime, qui étaient dans la salle, arrivent les premiers. Suivent les Angoulême, le frère et la belle-sœur du mourant, puis son père, le comte d’Artois. 

Caroline, qui a remplacé sa robe tachée de sang par une simple robe de tricot qu’on lui a apportée de l’Elysée, ne quitte pas son époux. Un évêque, proche de la famille royale, Mgr de Latil, confesse Charles et lui donne l’extrême-onction. Le duc se relève et a la force de dire à sa femme : "Il faut que je te dise que j’ai eu deux enfants avant de t’avoir connue". Sereine, elle lui répond : "Qu’on les fasse venir. J’en aurai soin comme de ma propre fille".

On court chercher, rue des Mathurins, Amy Brown, la maîtresse anglaise et ses deux filles, Louise et Charlotte, nées en 1808 et en 1809. Seules celles-ci sont conduites auprès de leur père. Il avoue alors avoir eu deux autres enfants et demande qu’on en prenne soin aussi. Et tout d’un coup, il se dresse avec force pour dire à haute voix, afin que tout le monde l’entende : "Caroline ! Ménage-toi pour l’enfant que tu portes !", comme s’il voulait couper court à toute possibilité de calomnie sur cette grossesse. 

L’agonie du duc est interminable. Le roi Louis XVIII, son oncle, n’arrive que vers cinq heures du matin. L’homme est énorme. On le hisse péniblement jusqu’à l’endroit où se trouve son neveu. Berry lui réclame la grâce de son assassin. Il s’éteint à six heures du matin. Il avait 42 ans. Caroline est submergée de détresse. Elle s’évanouit. On la ramène à l’Elysée où elle coupe ses longs cheveux blonds pour qu’une partie de ses mèches soit placée dans le cercueil de son époux. 

Le lendemain elle est conduite au château de Saint-Cloud,  dont les appartements sont en deuil : les  fauteuils, les murs et les tabourets sont recouverts de crêpe noir. La mort du duc de Berry est une véritable tragédie. Dans cette délicate période de la Restauration, les royalistes sont anéantis par le décès de celui qui incarnait l’avenir des Bourbons. En effet, Louis XVIII n’a pas d’enfant. Mais son frère et successeur potentiel, le comte d’Artois, a deux fils. L'aîné, Angoulême, qui a épousé Madame Royale, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, seule rescapée de la prison du Temple, n’a pas d’enfants et pas d’espoir d’en avoir. Quant au cadet, le duc de Berry, il n’a eu avec son épouse Caroline qu’une fille. Tous les espoirs de la monarchie reposent donc sur l’enfant à naître, dont on vient à peine d’apprendre l’existence… 

Le mariage du duc et de duchesse de Berry

En 1815, Louis XVIII récupère son trône après les Cent Jours. Il se considérait comme roi de France depuis la mort du petit Louis XVII au Temple. Depuis cinq ans, cet homme est veuf de Marie-Joséphine de Savoie. On a vu qu’après son frère Artois et son neveu Angoulême, l’héritier du trône sera le duc de Berry. Il est le seul à pouvoir assurer la descendance des  Bourbons.  

Or, à 37 ans, il n’est toujours pas marié. Il y a donc urgence à lui trouver une épouse digne de cette monarchie restaurée… deux fois à cause de Napoléon ! C’est d’autant plus important que le duc d’Orléans, chef de la branche cadette des Bourbons, a, lui, déjà deux fils. 

Le duc de Berry n’a que 11 ans en 1789 lorsqu’il part en émigration avec son père. Il s’est battu dès que son âge le lui a permis avant de vivre une existence d’émigré désargenté à Londres. C’est un amoureux de la vie et des femmes. Il a un tempérament fougueux, presque enfantin. Il ne manque pas de charme. Reste à lui trouver une épouse de haut rang, et  catholique ! 

On dit que c’est Talleyrand qui est allé chercher du côté de la  branche napolitaine des Bourbons. Ce n’est guère original puisque l’actuel duc d’Orléans, fils de Philippe Egalité, a déjà choisi son épouse chez les Bourbon-Siciles, le roi Ferdinand 1er des Deux Sicile ayant consenti à ce que sa fille Marie-Amélie épouse Louis-Philippe, pourtant fils de régicide (son père a voté la mort de Louis XVI). Talleyrand propose au duc de Berry Marie-Caroline de Bourbon-Sicile, une nièce de la duchesse d’Orléans.

Marie-Caroline est la fille du roi François 1er de Naples et des deux Sicile. Elle est née en 1798 à Caserte, le Versailles napolitain. Elle a eu une enfance bousculée par l’occupation de Naples par les troupes françaises. La famille en sera chassée deux fois, d’abord par les troupes révolutionnaires en 1799 puis par celles de Joseph Bonaparte en 1806. Les Bourbon Sicile ne retrouvent leur trône qu’après la chute de Napoléon. 

Pendant ces intermèdes, la famille s’est exilée en Sicile. Marie-Caroline a été élevée par la deuxième épouse de son père au milieu d’une douzaine de demi-frères et de demi-sœurs. Leurs parents privilégient le bonheur de leurs enfants plutôt que leur éducation et leur instruction. C’est juste au moment où les Bourbon Sicile récupèrent leur trône de Naples que Louis XVIII envoie son favori, Blacas, comme ambassadeur extraordinaire chargé de demander la main de la jeune fille.

Cette dernière est horrifiée par le sinistre Blacas, pompeux et solennel. Elle le trouve ridicule ! Quant à Blacas, il juge Marie-Caroline mal élevée et paresseuse. Elle dira : "Nous autres siciliennes, nous sommes ignorantes comme des carpes. Figurez-vous que j’ai passé ma première enfance en Sicile et que je n’ai même pas appris l’italien !"

Elle a de l’esprit !

Elle est petite (1,50 m), a le visage allongé et la lippe Habsbourg de sa mère. Ses beaux yeux bleus souffrent d’un léger strabisme mais son charme et sa gaieté la rendent délicieuse. Elle est vivante, pétillante. On l’appellera "la jolie laide" !

Le 24 avril 1816, dans la cathédrale de Naples, on célèbre le mariage par procuration de Marie-Caroline avec le duc de Berry, représenté par un demi-frère de la mariée. Un mois plus tard, la nouvelle duchesse de Berry s’embarque à bord de "La Christine", escortée par deux navires napolitains et trois vaisseaux français. Et là, miracle ! Les deux futurs époux échangent des lettres qui vont les familiariser l’un avec l’autre. Ils vont, véritablement, tomber amoureux par correspondance ! 

A chaque escale, Marie-Caroline reçoit une lettre de Charles et à chaque escale, part une lettre pour lui. Le ton évolue de courrier en courrier : plus de "Monseigneur" ni de "Madame", on s’appelle par son prénom et, peu à peu, Marie-Caroline devient Caroline. Charles s’effraie d’abord de leur différence d’âge : elle a 17 ans. Il craint, avec ses 38 ans, de lui paraître bien vieux… On finit par se tutoyer et Charles est de plus en plus épris. Le 12 juin, il lui déclare :"Je brûle de te voir ma Caroline… Mon coeur bat et je crois qu’il battra bien plus fort lorsque mes lèvres presseront tes jolies joues."

Une intimité réelle allant jusqu’à la complicité se crée entre eux lors de cette interminable traversée. Arrivée à Marseille, Caroline doit se plier à une quarantaine limitée à dix jours car elle vient d’un pays pestiféré. Après quoi, elle fera son entrée officielle en France par un passage de frontière matérialisée par un tapis dans la très belle Mairie de Marseille. Encore quinze jours de voyage à subir des discours, des fanfares, des chansons, des pluies de fleurs et des quantités d’arcs-de-triomphe. 

Caroline sourit. Elle est joyeuse, gracieuse et ne montre jamais le moindre signe de fatigue. Enfin, le 15 juin 1816, dans la forêt de Fontainebleau, au rond-point de Saint Hérem, elle rencontre  la famille royale. Deux tentes ont été dressées, l’une pavoisée au lys de France, l’autre aux armes du royaume de Naples. Un  tapis les relie. Les deux cortèges se font face et s’immobilisent devant leurs tentes respectives. Il est prévu qu’ils se rencontrent à mi-chemin mais pour la première fois (et pas pour la dernière !), Marie-Caroline bouscule le protocole. Après avoir demandé si le tapis était international, elle s’envole littéralement. Elle bondit avant de se jeter aux pieds de Louis XVIII qui est ébloui par cet elfe blond couronné de perles. Quant à Charles, il trouve Caroline bien mieux que sur tous ses portraits et sent combien il va l’aimer.

Le lendemain, c’est l’entrée triomphale à Paris et le jour suivant le mariage. Il est célébré à Notre-Dame dont l’intérieur est paré d’un décor bleu, blanc et or. La mariée est rayonnante dans une robe de tulle blanc brodé d’argent ornée de somptueux bijoux. Un souper fastueux a lieu ensuite au Tuileries, dans la galerie de Diane. A Minuit, les nouveaux époux gagnent leur demeure, le palais de l’Elysée, rebaptisé l’Elysée-Bourbon. Le roi Louis XVIII déclare alors : "Le duc de Berry est amoureux de sa femme mais il n’est pas le seul ! Nous sommes tous des rivaux !"

Un couple très bien assorti

Le duc et la duchesse de Berry ont eu d’illustres prédécesseurs à l’Elysée : Mme de Pompadour, Murat, Joséphine, Marie-Louise et même Napoléon pendant les Cent Jours. Charles a gardé une partie du mobilier mais tout a été retapissé et on a bien pris soin d’effacer les abeilles impériales pour les remplacer par des lys. Caroline a sa Maison avec ses dames d’honneur et d’atours. Elle a aussi un écuyer qui lui est très attaché, le comte de Mesnard. Il a 30 ans de plus qu’elle, est Pair de France et profondément royaliste. 

Le couple s’entend à ravir. leur correspondance les avait réunis, leur mariage a concrétisé cette passion complice. Caroline est heureuse et comblée par son époux. Elle découvre Paris avec délice. Charles lui montre les Champs-Elysées tout proches, l’emmène dans des restaurants élégants comme Tortoni, le Café Anglais, ou le Véfour. Il la conduit aussi à  Bagatelle. Son père, le comte d’Artois, avait fait édifier ce ravissant pavillon par l’architecte Bélanger en deux mois, en 1778, à la suite d’un pari avec Marie-Antoinette. Il en a fait cadeau à son fils. La seule règle absolue, à ne pas transgresser, est l’obligation de dîner en famille, tous les soirs aux Tuileries. On est prié de respecter l’heure,  ce qui n’est pas facile pour Caroline mais surtout… on y meurt d’ennui !

Rapidement, la duchesse tombe enceinte. Elle accouche le 13 juillet 1817 d’une petite fille qui ne vivra que deux jours. La mère a beaucoup de  chagrin. Pour la consoler, Charles achète le château de Rosny, près de Mantes, au bord de la Seine. C’est l’ancien château de Sully. Ce n’est pas un hasard. Pour effacer les mauvais souvenirs de la Révolution, la Restauration a choisi Henri IV comme modèle. 

Le jour de la Saint-Louis, le 25 août 1818, le roi inaugure sur le Pont-Neuf une statue équestre de son aïeul. Elle a été coulée dans le bronze provenant de statues impériales dont celle de la colonne Vendôme. Le sculpteur Quesnel, ardent bonapartiste, s’est d’ailleurs vengé en glissant dans le bras droit du Béarnais une petite statue de Napoléon ! Un mois plus tard, Caroline accouche prématurément d’un petit garçon qui ne survit pas non plus... Ce n’est qu’un an après, le 21 septembre 1819, qu’elle met au monde une petite fille pleine de santé. On la prénomme Louise. Caroline, aussitôt accouchée, s’écrie : "Après la fille, le garçon !"

Le couple est heureux mais l’incorrigible Charles n’a pas renoncé à ses maîtresses. Il y a Virginie Oreille, la jolie danseuse à l’opéra, mais aussi Marie-Sophie Delaroche, qui lui a donné un fils prénommé Ferdinand en 1817 et Louise Barré, fille d’un employé de la vénerie du duc, qui accouche d’une fille qu’elle ose prénommer… Caroline ! Enfin, il y a la maîtresse anglaise, Amy Brown, qui lui a donné deux filles et qu’il a installées à Paris.

Caroline est loin de tout savoir mais il y a des rumeurs. Elle est horriblement jalouse et fait des scènes épouvantables à son mari. Ils sont, l’un comme l’autre, capables de violentes colères. Excédé mais pas très fier de lui, n’ayant nullement l’intention de changer de vie, Charles demande alors à son ami le prince de Castelcicala, ambassadeur du Royaume de Naples à Paris, de calmer sa femme ! 

Le prince parle à la duchesse en italien, avec force gestes. Il l’assure que tous les hommes ont des maîtresses, que leurs épouses le savent et en sont parfaitement satisfaites ! Selon le diplomate, c’est une situation générale à laquelle ne fait exception que le duc d’Angoulême, lequel n’est clairement pas un modèle de séduction… Piquée au vif, Caroline demande si le duc d’Orléans, lui aussi, a des maîtresses.

S’ensuit un dialogue surréaliste :

- "Indubitablement, Madame ! Pour qui le prenez-vous ?

- Et ma tante le sait ?

- Assurément, Madame ! Madame la duchesse d’Orléans est trop sage pour s’en formaliser."

Caroline est convaincue par l’ambassadeur. Cela n’enlève rien à sa jalousie mais elle va désormais éviter de contrarier son mari à ce sujet… Elle a donc accouché en septembre 1819 de la petite Louise et en février 1820, elle est à nouveau enceinte au moment de l’assassinat de son mari, comme je vous l’ai raconté au début de cet épisode. 

Selon l’usage, elle n’assistera pas aux obsèques du duc de Berry, un mois après sa mort, à la Basilique de Saint-Denis. Son cœur aurait dû être déposé dans la chapelle du Val de Grâce mais Caroline obtient cependant de le conserver. Elle fera édifier dans le parc de Rosny une chapelle destinée à le recevoir. Quant à l’assassin du duc, Louvel, un jeune ouvrier cellier fervent bonapartiste, il rêvait d’éteindre la race des Bourbons. Il a agi seul et suivait le duc de Berry depuis longtemps. Jugé par la Chambre des Pairs, il sera guillotiné l’année suivante, le 6 juin 1820, contrairement au souhait de sa victime.

Après son séjour à Saint-Cloud, la duchesse ne retourne pas à l’Elysée-Bourbon. Elle s’installe aux Tuileries où l’on surveille sa grossesse avec vigilance. L’avenir de la dynastie va-t-il être assuré ?

Ressources bibliographiques :

Laure Hillerin, La Duchesse de Berry, l’oiseau rebelle des Bourbons (Flammarion, 2010)

Monique de Huertas, La Duchesse de Berry, l’aventureuse mère du dernier Roi de France (Pygmalion, 2001)

Edmond Duplan, Marie-Caroline, Duchesse de Berry (France-Empire, 1996)

Jean des Cars, Des couples tragiques de l’Histoire (Perrin, 2020)

 

"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière 
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Karelle Villais