À la fin du XVIIIe siècle, le domaine de Marie-Antoinette à Versailles éblouit le monde entier. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte la création d’un vrai-faux village normand dans le prolongement du parc du Petit Trianon : le "Hameau". Achevé trois ans avant la Révolution, cet ensemble extravagant sera le dernier projet de la reine guillotinée en 1793.
En 1774, Louis XVI offre à Marie-Antoinette le Domaine du Petit Trianon à Versailles. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte comment la reine a transformé les lieux et finit par y faire construire la reconstitution idéalisée d’un village normand : le fameux “Hameau”.
De toutes les fêtes nocturnes données par la reine de France dans les jardins anglo-chinois du Petit Trianon, la plus exceptionnelle se déroule le 21 juin 1784. Elle est donnée en l’honneur du souverain de Suède, le roi Gustave III. C’est sa seconde visite en France, sous le nom de comte de Haga. Il connaît déjà les jardins du Petit Trianon mais cette-fois, Marie-Antoinette s’est surpassé pour éblouir son invité.
Bien sûr, le roi de Suède n’est pas seul. Dans sa délégation, il est accompagné du comte Axel de Fersen qui connaît, lui aussi, très bien la reine et le Trianon… Après avoir combattu aux côtés de La Fayette lors de la guerre d’indépendance des colonies anglaises d’Amérique, l’officier suédois est en effet devenu un protégé de Marie-Antoinette. Elle l’a fait nommer colonel du régiment Royal Suédois, alors en garnison à Valenciennes.
Dans une lettre à son frère, Gustave III raconte cette soirée féérique : “On a joué sur le Petit Théâtre “Le Dormeur Réveillé”, par M. de Marmontel, musique de Grétry, avec tout l’appareil des ballets de l’Opéra, réunis à la Comédie Italienne. La décoration de diamants termina le spectacle. On soupa dans les pavillons du jardin et, après souper, le Jardin Anglais fut illuminé. C’était un enchantement parfait. La Reine avait permis de se promener aux personnes honnêtes qui n’étaient pas du souper, et on avait prévenu qu’il fallait être habillé en blanc, ce qui formait vraiment le spectacle des Champs-Elysées .”
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Le roi fait évidemment allusion à la mythologie : les Champs-Elysées sont une partie des Enfers qui accueille les héros et les hommes vertueux après leur mort. C’est un lieu idyllique où ils mènent une heureuse existence posthume.
Gustave III nous fait rêver avec tous ces gens vêtus de blanc, se promenant à la lueur des flambeaux devant le Temple de l’Amour brillamment éclairé, et aussi le long du petit lac où le Belvédère, lui aussi parfaitement éclairé, se reflète dans l’eau.
La reine est charmante. Elle parle avec tous les Suédois présents. Louis XVI est là aussi, avec ses ministres ainsi que les princesses du sang, dont la princesse de Lamballe. Tous les spectateurs étrangers, émerveillés, ne peuvent se douter qu’au-delà du Temple de l’Amour, un chantier gigantesque est en cours. On est en train de creuser un étang, qu’on appellera le Grand Lac, trois ou quatre fois plus vaste que le petit lac illuminé autour duquel, ce soir-là, on se promène. Cet étang fait partie du nouveau grand projet de la reine. Il est destiné à border un véritable petit village normand qui n’est pas encore sorti de terre : “le Hameau”.
Louis XVI offre le Petit Trianon à Marie-Antoinette
Pour comprendre cette histoire, il faut remonter à 1774. C’est l’année de la mort de Louis XV qui fait, le 10 mai, de Louis XVI et Marie-Antoinette, respectivement âgés de 20 et 19 ans, le roi et la reine de France.
Ils se sont mariés quatre ans plus tôt. Le dauphin Louis, petit-fils de Louis XV, se montre assez indifférent à l’égard de l’archiduchesse Antonia, la dernière fille de l’impératrice Marie-Thérèse. Il est très grand, emprunté, un peu lourdaud. Il a plusieurs passions, surtout la chasse. Sa jeune épouse, elle, aime les fêtes, les bals, la toilette et le jeu. Peu à peu, le futur roi tombe amoureux de sa très charmante épouse, sans pour autant parvenir à être “complètement son mari”, c’est à dire qu’il ne consomme pas réellement leur union.
Leur première fille, Marie-Thérèse, ne naîtra que huit ans après leur mariage. Et encore, il a fallu l’intervention du frère de Marie-Antoinette, l’empereur Joseph II qui a expliqué, avec beaucoup de précisions, à son beau-frère comment faire un enfant à sa femme…
A la mort de Louis XV, en 1774, Louis XVI est très amoureux et ne cherche qu’à faire plaisir à son épouse. Il sait qu’elle rêve d’avoir une maison de campagne à elle. Il lui offre le domaine du Petit Trianon qui devient une propriété privée de la reine. On comprend la générosité de Louis XVI et l’enthousiasme de Marie-Antoinette. Le Petit Trianon est un ravissant château néo-classique, édifié à la demande de Louis XV par l’architecte Gabriel à partir de 1762.
L’idée était venue de Mme de Pompadour, alors sa favorite. Le roi avait créé, au-delà du Grand Trianon, un jardin botanique exceptionnel, rempli de serres chaudes et froides. C’était le plus beau jardin de ce genre en Europe. La Pompadour pensait qu’un petit château au milieu des jardins éviterait au souverain de se fatiguer en trajets inutiles entre le Grand Trianon et son jardin botanique. Elle meurt avant la fin de la construction du Petit Trianon.
C’est la nouvelle favorite de Louis XV, Mme du Barry, qui profitera de cet endroit délicieux avec son royal amant. Et c’est là où le bât blesse. Louis XVI donne à la Reine un château dont la précédente occupante était la dernière maîtresse du roi Louis XV ! Une reine succède à une favorite… Pourquoi pas ? Mais surtout, Louis XVI fait de son épouse la propriétaire du domaine, ce qui est contraire à tous les usages de la monarchie française. En effet, une reine de France n’a pas de propriété privée, le domaine royal n’appartient qu’au roi. Qu’importe ! Marie-Antoinette est heureuse. Elle va modeler le Petit Trianon à son goût et à son image. Il deviendra l’incarnation de ce qu’on appelle “le goût Marie-Antoinette”. Elle redécore les appartements mais invente surtout un nouveau jardin à la mode…
Le jardin anglo-chinois de la reine
Marie-Antoinette est une reine à la mode dans tous les domaines : on sait les sommes astronomiques qu’elle dépensera chez sa modiste Rose Bertin pour s’habiller. Pour le décor intérieur de ses appartements, elle fait appel aux plus grands ébénistes de son temps, comme Riesner et Boulard. Mais elle est aussi à la mode pour son jardin !
A la fin du XVIIIe siècle, les goûts dans ce domaine ont changé. Depuis une trentaine d’années, l’Angleterre donne le ton. Les jardins à la Française comme ceux que Le Nôtre avait dessinés pour Versailles sont jugés ennuyeux avec leur symétrie, leurs allées rectilignes et la monotonie de leurs ifs taillés. On ne rêve plus que d’une nature libre, avec des allées tortueuses et irrégulières, comme l’écrit Jean-Jacques Rousseau. On n’imagine que des collines boisées d’où descendent des cascades qui se transforment en rivières au milieu de prairies harmonieusement fleuries. Même l’impératrice de Russie, Catherine II, succombe à cette mode et l’avoue dans une lettre à Voltaire, en 1772 : “J’aime à la folie présentement les jardins à l’anglaise, les lignes courbes, les pentes douces… en un mot, l’anglomanie domine dans ma plantomanie. C’est au milieu de ces occupations que j’attends tranquillement la paix.”
Marie-Antoinette a visité les plus beaux jardins anglais qui existent déjà en Ile-de-France, celui du duc de Chartres dans la Plaine Monceau, qui, plus tard, deviendra le parc Monceau, le parc de Chantilly du prince de Condé, le jardin du duc de Biron à Paris, rue de Varenne mais surtout celui du comte de Caraman, rue Saint-Dominique. C’est le jardin qu’elle préfère et son propriétaire va l’aider en lui présentant un projet pour le Trianon.
La reine est parfaitement organisée. Elle gardera la même équipe pour tous les projets qu’elle va concrétiser jusqu’au dernier, qui sera le Hameau. Elle est fidèle au trio que constituent l’architecte Richard Mique, un Lorrain qui a travaillé pour Stanislas Leszczinski à Nancy, puis pour sa fille Marie, épouse de Louis XV, puis pour leurs filles, notamment Mme Adelaïde. Le deuxième est le jardinier Antoine Richard, fils de Claude Richard, le jardinier de Louis XV. Enfin, n’apparaissant pas toujours dans les projets écrits, le troisième est le talentueux peintre Hubert Robert qui, d’un trait de plume, peut dessiner aussi élégamment un petit Temple de l’Amour qu’un moulin de village normand.
Dès juillet 1774, le roi donne des ordres pour un accroissement du terrain destiné au jardin. Il faut qu’il soit entouré de murs car c’est bien du domaine privé de la reine qu’il s’agit. La plupart des serres du jardin botanique de Louis XV sont détruites. Quant à la collection de plantes de Louis XVI, elles sont déménagées au Jardin du roi à Paris, notre actuel Jardin des Plantes. C’est Jussieu, son directeur, qui s’en charge.
Les travaux entamés sont très importants. Le seul jardin qui reste en place est le jardin français de Louis XV, qui prolonge la terrasse de Trianon avec, au centre, son délicieux pavillon français. Là où se trouvaient les serres, Mique et Richard creusent un lac artificiel récupérant la terre pour constituer une montagne, tout aussi factice, appelée “jardin alpin”, un rocher monumental et une petite colline sur laquelle est construit un belvédère qui permet de profiter de la vue de l’ensemble.
Partant du lac, une rivière se glisse entre des prairies fleuries, élargie autour d’une île où est édifié le Temple de l’Amour. Le principal problème rencontré par l’architecte est, comme toujours à Versailles, celui de l’eau. Au début, on utilise uniquement celle du Bassin du Trèfle dans les jardins du Grand Trianon, mais il faut ensuite envisager d’autres réservoirs.
Mique et Richard achèvent en premier une belle pelouse face au boudoir de la reine sur laquelle est placé un jeu de bagues chinois. Il s’agit d’un manège dont l’axe central est soutenu par trois statues de Chinois et surmonté d’un grand parasol pourvu de girouettes dorées. Des anneaux de métal sont accrochés autour du parasol. Les joueurs, montés sur des dragons pour les hommes et des paons pour les dames, doivent, à l’aide d’une lance, récolter le plus d’anneaux possible. Ce sont des hommes, placés en sous-sol, qui font tourner le manège à bout de bras. En 1781, on ajoute une tribune pour les spectateurs : elle est composée de trois petits pavillons chinois reliés entre eux par une galerie circulaire. Ce manège ravira la reine et sa petite coterie mais sera très critiquée : on parlera de “jeux infantiles”...
Des aménagements monumentaux pour le plaisir de la reine
Le Temple de l’Amour a été inauguré en 1777. Le rocher n’est achevé qu’en 1781, ainsi que la grotte exigée par la reine. Cette grotte va faire beaucoup jaser car elle est très confortablement aménagée avec un banc de mousse surmonté d’une ouverture qui permet de surveiller les arrivants. On imaginera mille turpitudes qui nuiront beaucoup à la réputation de Marie-Antoinette.
Le dernier édifice, achevé lui aussi en 1781, est le belvédère : un pavillon octogonal extrêmement élégant doté de quatre portes fenêtres avec une vue sur les jardins. Il servira à la reine pour des petits-déjeuners ou d’autres collations. Parallèlement, dès 1778, elle avait demandé à Mique de lui construire un théâtre doté de tous les perfectionnements techniques qu’une machinerie pouvait permettre à l’époque.
Extérieurement, on peut à peine le remarquer, sa porte d’accès encadrée de colonnes ioniques est discrète. On y accède par quelques marches. La sobriété extérieure contraste avec l’extrême raffinement intérieur : la salle est bleu et or, très décorée de moulures et de sculptures. Mais pour des raisons d’économie, elles ont été réalisées en pâte de carton.
La reine s'adonne aux joies du théâtre avec sa petite troupe dite “des seigneurs”. L’impératrice Marie-Thérèse s’inquiète un peu de voir sa fille se produire sur scène mais elle ne s’inquiètera plus longtemps : elle meurt moins de 6 mois après l’inauguration de la salle. Joseph II est désormais seul à gouverner l’Empire. Il n'accablera pas sa sœur de sa correspondance comme le faisait leur mère.
De toute façon, la France est dans la joie l’année suivante lorsque Marie-Antoinette accouche enfin d’un fils, le dauphin Louis-Joseph, né le 22 octobre 1781. La reine profite alors complètement de son domaine avec sa petite société choisie comprenant sa favorite, la duchesse de Polignac, le duc de Guines, le comte de Vaudreuil et quelques autres.
Mais Trianon ne servira pas qu’aux plaisirs de Marie-Antoinette et de ses amis. Ce sera aussi le lieu de grandes fêtes nocturnes mémorables pour des invités choisis, comme celle que je vous ai racontée au début de cet épisode, organisée pour le roi de Suède.
Trianon, un paisible petit village
Les deux grossesses de la reine ont modifié son comportement. Imprégnée des idées de Jean-Jacques Rousseau, elle s’occupe beaucoup de leur éducation et voudrait qu’ils se rapprochent de la nature, qu’ils puissent se promener dans un vrai village, côtoyer des paysans et comprendre leur labeur. C’est ainsi que naît l’idée de prolonger le vaste jardin anglais d’un grand lac entouré de maisonnettes. L’ensemble de ces maisons constituant un hameau.
Bien entendu, Marie-Antoinette n’a pas innové avec ce projet. De nombreux châteaux des environs de Paris possédaient aussi leurs vrais faux villages. La reine les a tous visités. Le plus célèbre d’entre eux était celui du prince de Condé à Chantilly. Ils avaient tous en commun une caractéristique : extérieurement les maisons ou les granges présentaient un aspect délabré et offraient un contraste saisissant avec leurs intérieurs somptueux ! Ainsi, la grange de Chantilly, apparemment en très mauvais état, dissimulait un immense salon dans une riche architecture corinthienne.
Dans son domaine du Raincy, la duchesse d’Orléans possédait une ferme anglaise au bord d’un étang à laquelle s’ajoutait un surprenant village russe composé d’isbas ! La belle-sœur de la reine, la comtesse de Provence, avait elle aussi, à Montreuil, un parc à l’anglaise et un très joli hameau de douze maisons imaginées par l’architecte Chalgrin. Marie-Antoinette demande donc à Mique de dessiner un village et d’en faire des maquettes. C’est Hubert Robert qui a fourni l’idée des douze maisons d’inspiration normande. Le hameau va être construit. C’est la dernière étape de la transformation du domaine de Trianon par Marie-Antoinette.
Ressources bibliographiques :
Pierre de Nolhac, de l’Académie française, Le Trianon de Marie-Antoinette (Calmann-Lévy, 1924)
Jean des Cars, Le Hameau de la Reine, le monde rêvé de Marie-Antoinette (Flammarion, 2018)