A la mort de son père à l’automne 1740, Marie-Thérèse d’Autriche doit faire face à une guerre de succession qui s’étend à l’Europe entière. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte comment cette femme intelligente est parvenue à s’imposer grâce à son tempérament téméraire et à sa finesse politique.
Au milieu du XVIIIe siècle, Marie-Thérèse a su imposer sa légitimité et sauver son trône de souveraine d’Autriche, de Bohême et de Hongrie. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte comment cette femme pugnace a forgé son destin d’impératrice malgré un début de règne mouvementé.
Le père de l’impératrice Marie-Thérèse, l’empereur Charles VI de Habsbourg fut toute sa vie obsédé par sa succession. Lui-même, second fils de l’empereur Léopold 1er, avait été choisi par son père pour monter sur le trône d’Espagne, vacant après la mort, sans héritier, du roi Charles II en 1700. Mais Louis XIV avait, lui aussi, choisi son successeur en la personne de son petit-fils, le duc d’Anjou. Celui-ci gagna de vitesse son rival Charles et s’installa à Madrid sous le nom de Philippe V…
Charles se fixa à Barcelone et s’en suivit la guerre de Succession d’Espagne. Il ne fut jamais roi d’Espagne, mais devint empereur du Saint Empire Romain Germanique à son retour de Barcelone, à la mort de son frère Joseph 1er, décédé sans héritier.
Charles VI s’installe à Vienne en 1711. Trois ans plus tôt, il avait épousé la très belle et très intelligente Elisabeth Christine de Brunswick. Après huit ans de mariage, ils ont enfin leur premier enfant en 1716, à la jubilation de la Cour. C’est un garçon qui, hélas, ne vit que six mois. Quatre ans plus tard, naît une fille, Marie-Thérèse, suivie d’une autre fille, Marianne. Dès lors, Charles VI ne pense plus qu’à avoir un autre fils. Le couple impérial passe sa vie entre pèlerinages à Mariazell et cures à Carlsbad. Mais rien n’y fait. Seule une petite Amélie voit le jour en 1724. Pour sauver son héritage, l’empereur doit faire en sorte que son aînée, Marie-Thérèse, puisse lui succéder.
Il fait rédiger ce qu’on appelle la Pragmatique Sanction. Elle stipule qu’en l’absence d’héritier mâle, l’aînée de ses filles survivantes hériterait les domaines des Habsbourg. Il cherche à obtenir le consentement des grandes puissances à ce texte surprenant. Presque toutes l’acceptent du bout des lèvres, en faisant payer le prix de cette reconnaissance. La France de Louis XV, notamment, exige de récupérer le duché de Lorraine. Or, justement, le jeune héritier du duché de Lorraine, François, réside à la Cour des Habsbourg. Il était arrivé en 1627 au moment du couronnement comme roi de Bohême de Charles VI à Prague. François est un joli garçon de 14 ans, excellent chasseur. Immédiatement, la jeune Marie-Thérèse, de sept ans sa cadette, s’en était entichée.
Un mariage d'amour
Les années passent. L’Empereur songe à marier la jeune fille. On pense à l’héritier de Prusse, le futur Frédéric II, ou un Bourbon d’Espagne mais Marie-Thérèse, alors âgée de 15 ans, n’a pas changé d’avis : ce sera François de Lorraine. Comme tout le monde s’en était aperçu, l’ambassadeur d’Angleterre, Sir Thomas Robinson écrit :"Malgré la dignité de la contenance pendant le jour, Marie-Thérèse soupire et languit toute la nuit après le duc de Lorraine. Quand elle dort, ce n’est que pour rêver à lui, quand elle se réveille, c’est uniquement pour parler de lui à sa dame de compagnie."
Charles VI consent finalement au mariage mais il faut que François renonce à son duché de Lorraine pour que Louis XV reconnaisse "la Pragmatique sanction". En échange, on lui propose le duché de Toscane. Le jeune homme est contrarié. Et lorsque, en dernier ressort, on présente à sa signature l’acte de renonciation à son duché en faveur de la France, il prend trois fois la plume et par trois fois il la repose. Un des ministres de l’Empereur lui rappelle alors brutalement : "Point de renonciation, point d’archiduchesse" ! Et François signe !
Le jeune couple est d’une grande beauté. Il faut dire que la plupart des portraits de Marie-Thérèse ont été réalisés lorsqu’elle avait atteint un âge mûr, et après ses seize grossesses ! Mais avant d’être marquée par le poids du pouvoir et des années, elle avait été une jeune fille mince, ravissante, pleine de charme et de gaieté. Marie-Thérèse et François se marient en février 1732 à Vienne, dans l’église des Augustins. Désormais, l’archiduchesse s’appelle Marie-Thérèse de Habsbourg-Lorraine. Ce sera le nom de la dynastie régnante jusqu’à la fin de l’Empire, en 1918.
L'Autriche pratiquement ruinée
Les quatre dernières années de la vie de Charles VI sont désastreuses : une guerre inutile contre les Turcs, qui se termine par une défaite humiliante et la perte de la Serbie, mais surtout des embarras financiers pour l’Empereur : les caisses sont vides, les guerres ont pratiquement ruiné l’Autriche.
Malgré cela, le mariage de sa fille est parfaitement heureux. En quatre ans naissent trois filles. Charles VI, toujours obsédé par le problème de sa succession, se demande si, un jour, un garçon verra le jour dans la famille de Habsbourg ! Il meurt à l’automne 1740, après avoir chassé sous une pluie glacée et contracté une pneumonie. Cet hiver 1740 est l’un des plus froids qu’a connu l’Autriche. Il n’est pas seulement froid, il est aussi cruel puisque Marie-Thérèse, enceinte de son quatrième enfant, a non seulement la douleur de perdre son père mais aussi de voir que tous les Etats qui s’étaient engagés à respecter la Pragmatique sanction se rétractent.
Une nouvelle guerre commence. La guerre de Succession d’Autriche s’étend à l’Europe entière. C’est Frédéric de Prusse qui commence en envahissant, sans préavis, la Silésie en décembre. Marie-Thérèse est humiliée. La détestation que l’impératrice va vouer au roi de Prusse sera définitive et réciproque !
Marie-Thérèse révèle son tempérament dans la défaite
Pour tenter de récupérer la Silésie, Marie-Thérèse réunit péniblement une armée de 15 000 hommes. Les Autrichiens sont battus par les Prussiens à la bataille de Mollwitz, le 19 avril 1741. Pourquoi Marie-Thérèse tient-elle tellement à la Silésie ? C’est une des régions les plus peuplées de son empire. Cette contrée est déjà industrielle. Ses toiles sont exportées jusqu’en Amérique. La Silésie, à elle seule, fournit vingt pour cent des revenus de Vienne.
Frédéric II avait visé juste. La Silésie comportait énormément de protestants. Certains avaient été convertis de force au catholicisme par nécessité politique tandis que d’autres n’avaient pas abjuré leur foi. Mais presque tous voyaient dans le roi de Prusse plus un libérateur qu’un conquérant. Il faisait une bonne opération, non seulement territoriale mais aussi économique.
Au même moment, l'Électeur de Bavière, Charles Albert, réclame la Couronne impériale. Une nouvelle humiliation pour Marie-Thérèse qui voulait cette couronne pour son mari François. Quant à la France, ennemi traditionnel de l’Autriche, elle se joint à la coalition de la Bavière, de la Saxe, de l’Espagne et de la Sardaigne contre les Habsbourg. Marie-Thérèse pourrait être découragée par ces nouvelles accablantes. Mais non ! Le Ciel vient de lui offrir un cadeau que la Maison d’Autriche espérait depuis vingt-cinq ans : un fils ! Un gros garçon prénommé Joseph, le futur Joseph II.
La fierté de l’impératrice lui insuffle la force de résister aux défaites, aux infamies, aux félonies. De ses grossesses, elle tire une surprenante énergie. Six heures après sa délivrance, elle annonce, avec jubilation, qu’elle serait comblée d’être de nouveau enceinte de six mois ! Son époux a déposé dans le berceau du petit archiduc le collier de la Toison d’Or. Marie-Thérèse compte ceux qui ne l’ont pas trahie. Le calcul est rapide : seuls les Hongrois peuvent la soutenir. Elle triomphe : elle est "roi de Hongrie" puis "roi de Bohême" !
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Le 20 juin 1741, elle fait son entrée à Presbourg (alors en Hongrie, aujourd’hui Bratislava, capitale de la Slovaquie). Elle est vêtue à la hongroise, sur un cheval blanc. Des mains du Primat de Hongrie, elle reçoit la couronne de Saint-Etienne avant de gravir, à cheval, le monticule du couronnement pour défier de son épée les quatre points cardinaux d’où pourraient venir les ennemis. C’est un rite ancestral. Les dignitaires hongrois crient en latin "Rex Noster". Marie Thérèse est devenue "roi de Hongrie" ! On l’acclame. Laissons parler l’un des leurs, le comte Pálffy :"Nous nous dressâmes d’un bond, comme animés d’une seule âme, nous tirâmes le sabre et criâmes : "Notre vie et notre sang pour Votre Majesté !". Nous versions des pleurs, comme la reine, tout haut, des pleurs de loyalisme, d’affection et d’indignation."
Mieux : les Hongrois vont voter la levée de six régiments. Marie-Thérèse en aura bien besoin car les troupes franco-bavaroises s’emparent de Prague en novembre 1741. Charles-Albert de Bavière est reconnu roi de Bohême. Il sera élu Empereur à Francfort sous le nom de Charles VII le 24 janvier 1742. Furieuse, Marie-Thérèse, véritable cheffe de guerre, envoie ses troupes austro-hongroises reprendre la Bohême et Prague au cri de : "Nous mourrons pour Marie-Thérèse !" Elles réussissent, et, le 12 mai 1743, à Prague, Marie-Thérèse est couronnée "roi de Bohême" dans une ville en liesse. Entre-temps, elle s’était libérée de la menace prussienne en abandonnant la Silésie à Frédéric II par le Traité de Berlin.
Après avoir été chassées de Prague, les armées françaises sont vaincues à Göttingen, en Saxe. Les troupes austro-hongroises s’emparent alors de la Bavière et menacent l’Alsace. Ces succès de Marie-Thérèse contrarient Frédéric II qui déclenche une deuxième guerre de Silésie. Elle dure un an. Mais fort opportunément, la mort de Charles-Albert de Bavière, devenu l’empereur Charles VII, permet à Marie-Thérèse de faire proclamer par la Diète de Francfort son mari empereur, sous le nom de François 1er.
En octobre 1748, le traité d’Aix-la-Chapelle met fin à la guerre de Succession d’Autriche. Si Marie-Thérèse a définitivement perdu la Silésie, elle a su maintenir l’unité de ses Etats et fait définitivement reconnaître par les puissances européennes la Pragmatique Sanction de 1713. En vérité, si son mari a été proclamé empereur, c’est à elle que revient l’héritage Habsbourg. C’est donc elle qui va régner.
La dure vie d’impératrice
Dans cet univers masculin, Marie-Thérèse est une femme politiquement isolée, chargée d’une lourde mission. Son grand talent est d’être le personnage qu’elle doit être et que nul n’attendait. Les circonstances l’ont drapée dans le rôle d'une héroïne de tragédie antique se battant pour faire respecter la volonté de son père. Mais elle n’est pas une héroïne de tragédie ! C’est une femme joyeuse, énergique, qui réussit à tout mener de front. Elle n’a aucun répit. Elle est une épouse heureuse en amour, presque toujours enceinte ou en train de donner le sein au dernier-né, entre deux conseils de gouvernement, dans l’urgence et l’angoisse. Elle est autant la mère nourricière de ses enfants que celle de ses populations disparates. Dans son testament politique, elle résumera ainsi sa philosophie :"Quoique aimant ma famille et mes enfants, je n’aurais pas hésité à être avant tout la mère de mes États et à leur donner la préférence si cela avait été nécessaire."
Si elle a reçu une bonne éducation, elle n’est pas à proprement parler une intellectuelle. Et l’essor de ce qu’on a appelé les Lumières ne correspond absolument pas à sa vision politique. Elle juge les philosophes pernicieux et, contrairement à Catherine II de Russie, elle ne leur permettra pas de venir troubler son Empire.
Malgré sa vision conservatrice du pouvoir, Marie-Thérèse possède trois qualités essentielles chez un souverain : un cœur généreux, un jugement sain et d’inépuisables réserves de résistance physique et morale. Elle travaille sans arrêt, sans montrer de lassitude et peut danser une partie de la nuit sans montrer de signes de fatigue.
Bien que, à plusieurs reprises, son chambellan lui reproche son manque d’attention à sa toilette, elle est belle, avec un port de tête majestueux qui ne laisse aucun doute sur sa personnalité de monarque régnant. Elle sait ménager ses entrées dans la Salle du Trône, magnifiquement revêtue d’habits d’apparat, portant au front l’admirable diamant "Le Florentin", cadeau de son époux et sorti du Trésor de Lorraine. Même l’ambassadeur de son pire ennemi, Frédéric II de Prusse, est forcé d’admettre que Marie-Thérèse est une femme charmante et délicieuse.
Mais ce qui séduit le plus ses admirateurs est sa chaleur et son naturel, son immense capacité à s’amuser, tant lors des soirées de gala au palais qu’à cheval, dans les forêts autour de Vienne, son mari à ses côtés. Elle rit facilement et beaucoup. Et jusqu’à la mort de son époux en 1765, elle se masque, danse et fait mille plaisanteries et farces durant le carnaval. Lorsque son chambellan tente de la rappeler à ses devoirs de souveraine durant cette période, elle lui réplique :"Rappelez-moi quand le Carême commencera !"
Marie-Thérèse, épouse comblée et esprit politique
Il est incontestable que le mariage de Marie-Thérèse était un véritable mariage d’amour. François de Lorraine est un homme charmant et bon, cultivé et aimable. Il est bon chasseur, danse avec grâce, sait admirablement faire la cour aux femmes. Rien d’étonnant : il a fait ses classes à Versailles ! C’est certainement cela qui a séduit Marie-Thérèse... Il y avait peu d’hommes aussi charmants à la Cour de Vienne.
Naïvement, elle avait espéré qu’il se révèlerait un génie militaire ou au moins un grand esprit diplomatique. Mais il n’est ni l’un ni l’autre ! Petit à petit, l’impératrice cesse de le consulter sur les affaires de l’Etat, civiles et militaires. Son titre d’empereur, il le doit à son épouse, et il le sait. C’est elle qui a le pouvoir. C’est elle qui règne et gouverne.
Etonnamment, à 33 ans et après seulement treize ans de vie conjugale, Marie-Thérèse fait construire son tombeau et celui de son époux dans la Crypte impériale des Habsbourg à Vienne, dans les souterrains de l’église des Capucins. Ce gigantesque monument de marbre blanc est spectaculaire et insolite. La pierre tombale a la forme d’un immense lit d’apparat. Le couple y repose gracieusement, comme s’il était dans son intimité, les deux époux se regardant, face à face. Pleins de jeunesse et d’ardeur, ils sont prêts à se livrer aux ébats de l’amour ! Rien de funèbre dans ce tombeau. L’impératrice porte une robe décolletée découvrant ses épaules et sa poitrine. Et François semble très réceptif. Un ange tient une couronne au-dessus de leurs têtes. Leurs regards sont rivés l’un à l’autre pour l’éternité.
Pourquoi Marie-Thérèse a-t-elle voulu si tôt ce mausolée qui est une sorte de monument à l’amour conjugal ? Voulait-elle se persuader que leur passion était éternelle ? Ou peut-être montrer à son mari que ses infidélités restaient sans importance ? Ainsi statufié, le couple impérial et son abondante progéniture serait un défi au temps, et leur amour réciproque indiscutable !
Ressources bibliographiques :
Jean Bérenger, Histoire de l’Empire des Habsbourg 1273-1918 (Fayard, 1990).
Dorothy Gies Mcguigan, Les Habsbourg, histoire politique et galante d’une dynastie (Traduction de Hervé Laroche, Tallandier, 1968)
Elisabeth Badinter, Le pouvoir au féminin, Marie-Thérèse d’Autriche, l’impératrice-reine (Flammarion, 2016)
Jean des Cars, La saga des reines (Perrin, 2012)