Napoléon est très souvent représenté à cheval coiffé d’un bicorne en feutre et portant une redingote grise. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", en partenariat avec le château de Fontainebleau où se tiendra l'exposition "Un palais pour l'Empereur, Napoléon Ier à Fontainebleau" à partir du 15 septembre, Jean des Cars raconte comment cette silhouette a participé au mythe napoléonien.
Bien que Napoléon aimait être représenté en empereur romain couronné de laurier, c’est pourtant dans sa tenue de bataille qu’il continue de marquer l'imaginaire collectif. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars raconte le soin que l’empereur accordait à ses apparats et explique comment certains d'entre eux ont participé à sa légende.
Dans la culture populaire, la silhouette de Napoléon à cheval avec une lorgnette ou à pied portant un bicorne de feutre noir et sa longue redingote grise, est définitivement celle d’un Empereur sur un champ de bataille. C’est ce qu’évoque une vitrine du Musée Napoléon 1er de Fontainebleau. Elle présente la fameuse redingote et le célèbre bicorne. C’est cette silhouette qui est représentée dans de multiples gravures, tableaux, caricatures et depuis le XXe siècle au cinéma. Tous les acteurs qui ont incarné l’Empereur ont revêtu ces vêtements, glissé leur main dans son gilet : Albert Dieudonné dans le "Napoléon" d’Abel Gance en 1927, Raymond Pellegrin dans le "Napoléon" de Sacha Guitry en 1955, Marlon Brando dans "Désirée" en 1954, Pierre Mondy dans "Austerlitz" d’Abel Gance en 1959, Vladislav Strzhelthik dans le "Guerre de Paix" de Sergueï Bondartchouk en 1966, jusqu’à Rod Steiger dans le "Waterloo" du même Bondartchouk en 1971. On en oublie sans doute mais ceux-là sont restés mémorables.
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Nous ne savons pas comment Napoléon aurait souhaité qu’on se souvienne de lui. Il a forgé sa légende à Sainte-Hélène en dictant ses souvenirs à Las Cases. Il n’a jamais dit qu’il préférait qu’on se souvienne de lui dans son uniforme du jeune général Bonaparte triomphant dans la campagne d’Italie ou du Premier Consul si élégant dans sa redingote de velours cramoisi, ou encore de l’Empereur triomphant et couronné de lauriers d’or le jour du sacre ou enfin du Napoléon des Cent-Jours, tentant de faire rebasculer l’Histoire à Waterloo, bataille qu’il suivit presque constamment à pied.
Napoléon et l'héritage romain
C’est peut-être cet Empereur tentant de reconquérir son trône dans ses modestes vêtements qu’il aurait préféré. Toutefois, tout au long de son règne d’Empereur, Napoléon avait veillé à promouvoir et à diffuser sa figure officielle par la sculpture en empereur romain. La Colonne Vendôme en est un parfait exemple. Afin de célébrer ses victoires italiennes et d’honorer ses soldats, Bonaparte souhaite élever un monument dans Paris. Il avait d’abord songé à ramener dans la capitale la colonne Trajane érigée en l’an 112 par l’Empereur Trajan dans le Forum romain. Les tambours de marbre blanc étaient sculptés de bas-reliefs évoquant les campagnes militaires de l’empereur romain.
Bonaparte nomme Daunou président de la Commission chargée de prélever dans les musées, les bibliothèques et les palais romains des œuvres d’art et des livres. Il lui demande d’ajouter à la liste, qui comprend déjà 500 caisses de butin, la colonne Trajane. Daunou s’y oppose car le gouvernement de la République française avait fait la promesse de ne toucher à aucun monument public de Rome. Donc, pas de Colonne Trajane, mais Bonaparte reste décidé à élever une colonne à la gloire de ses armées. Le Préfet de la Seine, Frochot, en pose la première pierre Place Vendôme en juillet 1800. Mais le Premier Consul n’est pas encore certain de l’emplacement de sa colonne. Une maquette grandeur nature est alors élevée sur l’ancienne place Louis XV, c'est-à-dire notre actuelle place de la Concorde. Mais ce lieu est inapproprié, beaucoup trop proche du lieu où Louis XVI avait été guillotiné… Le Premier Consul travaille à la réconciliation de tous les Français et négocie le Concordat avec le Pape. On envisage donc d’autres lieux : à la place de la statue d’Henri IV sur le Pont-Neuf, la place du Palais de Justice dans l'Île de la Cité, le Champ-de-Mars, les Invalides, les jardins des Tuileries. Aucun lieu ne semble convenir. On en revient donc à la Place Vendôme. Le 1er octobre 1803, Bonaparte décide :
"Il sera élevé à Paris, au centre de la Place Vendôme, une colonne à l’instar de celle érigée à Rome en l’honneur de Trajan. Cette colonne aura 2,73 m de diamètre sur 20,78 m de hauteur. Son fût sera orné dans son contour en spirale de 108 personnages allégoriques en bronze ayant chacun 0,97 mètres de proportion et représentant les départements de la République. La colonne sera surmontée d’un piédestal terminé en demi-cercle, ornée de feuilles d’olivier et supportant la statue pédestre de Charlemagne."
La statue de la colonne Vendôme
Evidemment, la proclamation de l’Empire en 1804 va tout changer. C’est le nouvel Empereur des Français qui va remplacer Charlemagne au sommet de la colonne. Les travaux commencent à la fin de l’année 1805, peu après Austerlitz. Le bronze sera fourni par les arsenaux de Vienne ou prélevés sur des canons en mauvais état. Au total, il y aura le bronze de mille deux cents canons. L’édification de la colonne est placée sous la responsabilité de Vivant Denon et des architectes Gondouin et Lepère. Les travaux, commencés en juillet 1806, sont achevés au mois d’août 1810. La hauteur initiale de la colonne est de quarante-quatre mètres, plus du double de celle qui avait été prévue à l’origine. Les fondations reprennent, en partie, celles de l’ancienne statue de Louis XIV, érigée à cet endroit par Giraudon en 1699. Le piédestal est orné de grands bas-reliefs en bronze, reproduisant des trophées pris à l’ennemi : canons, armes, casques, uniformes et drapeaux autrichiens. Aux angles, des aigles encadrent les bas-reliefs. Ils tiennent dans leurs serres des guirlandes de lauriers. A l’intérieur de la colonne, un escalier en spirale de cent soixante seize marches conduit à la plateforme. Une spirale de bronze entoure le monument.
La statue est l'œuvre du sculpteur Antoine Denis Chaudet. D’une hauteur de trois mètres cinquante, dotée d’un socle en forme de dôme décoré de feuilles de chêne et de lauriers, elle représente Napoléon en Empereur romain couronné de lauriers, s’appuyant de la main droite sur un glaive et tenant de sa main gauche un globe surmonté d’une victoire ailée. C’est bien en Empereur romain que Napoléon voulait être représenté.
Les épisodes successifs de la statue qui doit surmonter la colonne Vendôme sont un condensé de l’histoire de France au XIXe siècle. En 1814, la statue de l’Empereur est descendue de la colonne et envoyée à la fonte. La petite victoire ailée, dérobée au cours de l’enlèvement, échappe à la fonte. Louis XVIII remplace l’Empereur par un immense drapeau avec une fleur de lys géante. Pendant les Cent-Jours, un drapeau tricolore remplacera le drapeau blanc. Après les Trois Glorieuses, Louis-Philippe, devenu Roi des français, est très soucieux de la réconciliation nationale. Il n’aime pas la fleur de lys de la place Vendôme et sept ans avant le retour des cendres de l’Empereur, il décide, en 1833, de placer au sommet de la colonne une statue de Napoléon en redingote et bicorne. Il avait d’instinct senti que c’était l’image de l’Empereur que s’étaient appropriés les Français. C’est le sculpteur Charles-Marie Seurre qui réalise la statue de bronze de trois mètres cinquante. L’Empereur, coiffé de son légendaire chapeau, porte sa redingote, sur son uniforme des chasseurs de la Garde, la main droite passée dans son gilet, dans une pose très familière.
Trente ans plus tard, en 1863, Napoléon III veut placer une nouvelle statue de son oncle en empereur romain sur la colonne. La statue est due au sculpteur Augustin Alexandre Dumont. La petite victoire ailée, qui avait échappé à la fonte de la première statue, retrouve sa place. La statue voulue par Louis-Philippe a été descendue et placée au rond-point de Courbevoie. Jetée dans la Seine en 1870, elle est repêchée en 1871, reléguée dans un dépôt avant d’être installée en 1911 dans la cour d’honneur des Invalides…
On sait que lors de la Commune, au début de 1871, la colonne Vendôme a été abattue. Elle est relevée en 1874. La Troisième République replace au sommet Napoléon en empereur romain, comme à l’origine. Les Parisiens ont donc le choix pour voir Napoléon, soit en empereur romain place Vendôme, soit en bicorne et redingote dans la cour des Invalides.
Le bicorne de Napoléon : un apparat légendaire
Comment et pourquoi Napoléon a-t-il choisi de porter ce bicorne noir ? Lors de la campagne d’Italie, le général Bonaparte est coiffé d’un bicorne orné d’un galon doré, posé un peu de travers mais la pointe en avant. C’est ainsi que le peintre David le représente au col du Grand Saint-Bernard en 1801. Traditionnellement, dans l’armée française, on porte le bicorne en colonne, c'est-à-dire pointe vers l’avant. Dès les premières années du Consulat, Bonaparte choisit de se couvrir fréquemment de ce modèle de feutre, très simple, qui se distingue des chapeaux bordés de galons et complétés par des plumes portés par les militaires haut-gradés. Le premier Consul se différencie de ses hommes en portant ce chapeau "en bataille", c'est-à-dire les ailes parallèles aux épaules, contrairement aux troupes qui le portent "en colonne", perpendiculaire aux épaules. Ce chapeau est en feutre noir sur lequel se détache, à droite, une cocarde tricolore insérée dans une ganse de soie, fermée à sa base par un bouton. Ce modèle, appelé “chapeau castor français” était alors vendu soixante francs par la maison Poupard et Delaunay dans leur boutique baptisée "Au temple du goût", située dans les galeries du palais royal.
Devenu Empereur, Napoléon a gardé l’habitude de porter ce chapeau qui contribue à sa légende. On parle de cent soixante dix chapeaux livrés à la garde-robe impériale par Poupard. Une vingtaine est aujourd’hui authentifiée dont bien sûr celui du musée de Fontainebleau.
La redingote militaire grise de l'Empereur
Pour compléter l’image de la silhouette de l’Empereur, il faut maintenant parler de sa redingote. Aux dires de ses contemporains, Napoléon préférait les uniformes militaires aux habits de cour ou aux vêtements bourgeois. Par souci d’économie (il connaissait parfaitement le prix de ses bas et de ses souliers), et pour acquérir des vêtements simples et confortables, Napoléon avait édicté un règlement appliqué à sa garde-robe. La somme annuelle fixée pour la toilette de Sa Majesté était de 20.000 Francs. Napoléon est entré dans une grande colère l’année du sacre car la somme était largement dépassée. Constant, son valet de chambre, raconte :
"Quand j’étais sous-lieutenant, je ne dépensais pas cela." Ce mot revenait sans cesse dans les avertissements de l’Empereur aux personnes de sa familiarité et "quand j’avais l’honneur d’être sous-lieutenant" était souvent dans sa bouche et toujours pour faire des exhortations ou des comparaisons d’économies."
Napoléon portait souvent l’uniforme des chasseurs à cheval de la garde en drap vert ou celui des grenadiers à pieds, en drap bleu. C’est la raison qui a conduit l’Empereur à adopter la redingote grise, une couleur neutre. Ce manteau, utilisé par les officiers des troupes à pied sous l’Ancien Régime, est porté par les officiers d’infanterie sous le Consulat puis sous l’Empire. Sa forme correspond à celle de la redingote anglaise, le "riding coat" mais avec des dimensions plus amples pour être portée sur une tenue militaire. En drap de laine gris clair, à large collet, les pans se croisent et se ferment par deux rangs de boutons recouverts de passementerie de soie grise. Le manteau est fendu à l’arrière, les manches sont munies de boutons de poignets, l’intérieur est doublé de soie grise au niveau du buste, avec une poche portefeuille en drap de laine.
Le budget de la garde-robe impériale du 19 août 1811 fixe sa composition et son renouvellement. Il prévoit que deux redingotes, l’une grise et l’autre verte ou bleue , seront fournies au 1er octobre de chaque année pour un usage de trois ans, même si l’Empereur apprécie les vêtements usés dans lesquels il se sent à l’aise. La redingote est confectionnée dans un drap de laine fin tissé en Normandie, région réputée pour ses beaux draps de laine. Son fournisseur est le tailleur Lejeune. Celui-ci livrera sa dernière redingote grise en juin 1815. Emportée à Sainte Hélène par le souverain déchu, elle figure dans l’inventaire des effets personnels de l’Empereur dressé après sa mort en 1821 par Marchand, le valet de chambre qui a remplacé Constant en 1814.
A Sainte-Hélène, Napoléon est généralement vêtu de blanc, sa redingote est blanche ou ivoire en tissu léger, adapté au climat chaud et humide de l’île. Il s’abrite du soleil en portant un chapeau de paille claire. C’est pourtant dans cette tenue si différente de celle qu’il portait habituellement qu’il va forger sa légende, à travers le "Memorial de Sainte-Hélène", celle de l’Empereur au bicorne de feutre noir et la redingote grise. Une silhouette mythique.
Ressources bibliographiques :
Jean Tulard, de l’Institut (Direction), Dictionnaire Napoléon, Fayard, 1987
Jean Tulard, de l’Institut (Direction), La berline de Napoléon, Albin Michel, 2012
"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Laurent Sirguy
Diffusion et édition : Clémence Olivier et Salomé Journo
Graphisme : Karelle Villais
Cet épisode a été réalisé en partenariat avec le château de Fontainebleau. Vous pourrez y découvrir l'exposition "Un palais pour l'Empereur, Napoléon Ier à Fontainebleau" à partir du 15 septembre.