Chaque matin, Nicolas Beytout analyse l'actualité politique et nous livre son opinion. Ce jeudi, il s'intéresse au Sénat qui devrait rejeter la prolongation du pass sanitaire jusqu’au 31 juillet telle qu’elle a été proposée par le gouvernement.
Le Sénat devrait dans la journée rejeter la prolongation du pass sanitaire jusqu’au 31 juillet telle qu’elle a été proposée par le gouvernement.
Ça promet d’être un moment assez désagréable pour La République en Marche. En fait, la droite qui contrôle le Sénat, ne veut pas entendre parler d’une prolongation au-delà du 28 février, soit la date qui marquera la fin du travail parlementaire avant qu’on ne rentre dans la campagne électorale officielle. Et comme a priori, la gauche sénatoriale devrait massivement se rallier à la droite sur ce sujet, le gouvernement est bloqué. Pour dire les choses plus crument, il n’y aura pas de blanc-seing pour permettre au gouvernement d’enjamber les élections et de faire l’économie d’un dernier débat sur le pass sanitaire.
Est-ce que c’est si grave ? Après tout, l’Assemblée nationale aura comme toujours le dernier mot…
C’est vrai, mais avant d’arriver au Sénat, le texte était déjà passé ric-rac à l’Assemblée. Cette prolongation du pass sanitaire jusqu’à fin juillet n’a été votée qu’à une voix de majorité. Quelques députés de La République en Marche ont même voté contre le gouvernement, ce qui fait désordre, et qui peut faire craindre que la deuxième lecture soit encore moins une partie de plaisir. Parce que les sénateurs ne manquent pas d’arguments, pour se dresser contre la volonté du gouvernement. Et ils font mouche. D’abord, disent-ils, le Sénat a toujours eu un rôle de gardien des libertés publiques : par exemple, il s’était déjà opposé, en Août dernier, à un autre projet du gouvernement qui voulait donner aux directeurs d’établissement scolaire un accès aux données médicales des personnels des écoles. Et depuis le début de la crise du Covid, jamais il n’a accepté de valider une restriction des libertés publiques pour plus de 3 ou 4 mois. Alors vous pensez, accorder des pouvoirs exceptionnels sur une durée de plus de 8 mois, c’est totalement disproportionné, m’explique un des sénateurs de droite les plus influents.
Le ministre de la Santé, Olivier Véran, affirme pourtant "qu’on n’a pas assez de recul pour se priver d’un instrument" comme le pass sanitaire. Et Gabriel Attal, ici même il y a deux jours, soulignait le "très léger rebond" de l’épidémie.
Oui, mais en cas de xième vague, rien ne s’opposerait à une énième prolongation du pass sanitaire, si nécessaire fin Février. Non, le gouvernement a clairement cherché à enjamber l’élection pour ne pas s’encombrer avec un débat parlementaire. « Emmanuel Macron se fout du parlement », me disait hier un élu Les Républicains, qui pointait une augmentation de 150% du nombre des ordonnances (c’est-à-dire des textes de loi qui ne sont pas débattus au parlement, et qui dans la plupart des cas ne sont même pas validés ensuite). Et puis le chef de l’Etat ne rêve pas d’un débat sur le pass sanitaire et sur les libertés publiques à 5 ou 6 semaines seulement du premier tour de la présidentielle. Parce que c’est, paradoxalement, un sujet sur lequel il est fragile. Autant une immense majorité des Français considère qu’il a bien géré la crise économique, et qu’il a mieux géré la fin de la crise sanitaire et la vaccination qu’il n’avait réussi le début avec les problèmes de masque et de gel, autant ils sont nombreux ceux qui se disent préoccupés par les atteintes aux libertés fondamentales qui, de proche en proche, se sont multipliées. L’idée d’imposer à long terme, le pass sanitaire à tous, uniformément, sans distinction de lieu, sans modulation en fonction des taux de vaccination ou des taux d’incidence du virus, c’est banaliser cet instrument de contrôle, c’est nous accoutumer à une limitation de nos libertés. C’est une image qui n’est pas très raccord avec les fondamentaux d’Emmanuel Macron, alors être obligé d’en reparler juste avant la présidentielle, c’est se faire imposer une séquence négative au plus fort de la campagne électorale. De Gaulle l’avait appris avant lui, le Sénat n’est pas toujours facile à manier.