Chaque matin, Nicolas Beytout analyse l'actualité politique et nous livre son opinion. Ce mercredi, il s'intéresse au rôle d'Erc Zemmour dans ce début de campagne électorale.
On est maintenant à moins de six mois du 2ème tour de la présidentielle, mais on ne sait pas encore quel sera le thème dominant de la campagne.
Pour le moment, c’est le pouvoir d’achat qui arrive en tête des préoccupations des Français dans la plupart des études d’opinion, devant l’environnement, suivi dans l’ordre par l’immigration puis la sécurité. Mais ce carré et l’ordre d’arrivée sont encore très incertains puisqu’on voit par exemple que, dans d’autres sondages, la santé (risque majeur depuis la crise Covid) demeure le sujet numéro 1. En fait, tout ça fluctue plus ou moins au gré de l’actualité : on parle prix de l’essence et le pouvoir d’achat passe en tête, on parle nucléaire versus les éoliennes et c’est l’environnement qui s’installe au milieu de la table dans les repas de famille. Et si on parle immigration ou sécurité, alors c’est le sujet Zemmour qui s’invite dans la conversation des Français.
Ça bouge, donc. Mais est-ce que ça a une conséquence sur la stratégie des différents candidats ?
Absolument. Et c’est une des caractéristiques de ce millésime 2021-22, plusieurs candidats ne savent toujours pas vers quoi va s’orienter leur campagne, ils sont un peu ballotés par une actualité changeante. Attention, une campagne électorale n’est jamais figée six mois avant son terme, et on sait très bien qu’il a chaque fois des surprises. Mais là, il ne se passe rien, sauf… la percée d’Eric Zemmour. Le non-candidat distille ses messages comme autant de provocations, il les impose dans la conversation, et il oblige la plupart des autres candidats (ceux qui sont déclarés) à lui répondre. C’est lui qui donne le tempo, c’est lui qui fixe l’agenda. Et pour l’instant, c’est une force, et ça pose beaucoup, beaucoup de problèmes à ses concurrents les plus sérieux.
A Marine Le Pen, bien sûr.
Oui, c’est elle la première cible et c’est elle qui a le plus perdu avec la montée de Zemmour. Mais elle n’est pas la seule. Les Républicains, complètement englués dans leur interminable feuilleton sur les primaires commencent seulement à se réveiller. Et à se diviser, parce que, bien sûr, le problème Zemmour provoque les mêmes fissures au sein du parti Les Républicains que la famille Le Pen en avait causé au RPR puis à l’UMP. Une partie des Républicains veut mener la charge contre l’ancien éditorialiste, l’autre est sensible à ce que ressent une partie de l’électorat LR qui avait voté Fillon il y a 5 ans.
Et à gauche ?
A part Jean-Luc Mélenchon qui a eu son moment, dans son débat face à Zemmour, les autres sont assez largement inaudibles (et assez largement immobiles dans les sondages). Dimanche, le énième lancement de la campagne d’Anne Hidalgo a par exemple fait beaucoup moins de bruit que la proposition de suppression du permis à points lancée, toujours lui, par Eric Zemmour. Ca commence d’ailleurs à poser un sérieux problème à l’Elysée. Parce que Emmanuel Macron a beau multiplier les déplacements, signer des chèques ceci ou des plans de relance cela, il ne semble pas marquer l’actualité. Bien sûr, on en parle, mais, ça passe, ça ne crante pas. Un de ses proches le reconnaît : on est dans un faux-plat. La stratégie du tapis de bombe qui est menée par l’Elysée est censée saturer l’espace médiatique (ce qui est le cas) mais aussi marquer les esprits, laisser une trace (ce qui est beaucoup moins évident). Et face au non-candidat d’extrême droite, le non-candidat Macron est embarrassé. On l’a bien vu, hier, lorsqu’il a inauguré le musée Dreyfus dans la maison de Zola : tout le monde guettait ses propos sur l’antisémitisme, sur la culpabilité de Dreyfus ; tout le monde cherchait la réponse à Zemmour. Mais, parce qu’il est Président de la République, attaquer de front le polémiste lui est impossible. Alors ce sont des allusions, des ripostes en biais. Rien qui soit efficace sur le plan politique. C’est une donnée nouvelle, qui pose en tout cas une question nouvelle : est-ce que l’entrée en campagne tardive du Président est toujours, pour lui, la meilleure solution ?