Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.
Bonjour Nicolas, cette semaine vous avez aimé la séquence qui s’est déroulée à l’Elysée pour répondre à la crise des "gilets jaunes".
Oui. Alors évidemment, tout le monde a en mémoire le discours d’Emmanuel Macron, lundi soir (il a été suivi par 24 millions de Français, record absolu d’audience pour un Président de la République). Mais ce qui s’est passé après, dans les jours suivants, est tout aussi important. On a eu, depuis mardi, une succession de réunions, autour du chef de l’Etat, de ce qu’on appelle la société civile. La première, mardi, a rassemblé les banquiers.
Quand il y a un problème d’argent, c’est les banquiers qu’on convoque
Effectivement. Et ils étaient tous là, et ils se sont engagés à ne pas augmenter les frais bancaires en 2019, et à plafonner et à geler les frais de découvert pour près de quatre millions de Français en situation de fragilité. Et puis, le lendemain, ce sont les représentants du patronat et des entreprises, plus de très nombreux dirigeants des grandes entreprises françaises qui se sont retrouvés autour d’Emmanuel Macron, lequel les a exhortés à s’engager dans la résolution de la crise, à prendre, comme on dit leur part du traitement de choc qui doit être administré.
Enfin, jeudi après-midi, les syndicats et le patronat ont été réunis par Muriel Pénicaud, la ministre du Travail. Toujours avec le même ordre du jour.
C’est ce qu’on pourrait appeler une sorte de "Grenelle", ces grandes messes sociales comme il y en a eu, en Mai 68, pour sortir de la crise ?
Oui, en apparence, en tout cas. Car sur le fond, c’est assez différent. Et c’est cette différence, je crois, qu’il faut retenir. Le chef de l’Etat a demandé aux banquiers, a demandé aux patrons, de s’engager, de faire un effort pour le pouvoir d’achat. C’est de l’incitation, pas de la coercition, pas une obligation.
Et ça a marché ?
Il semble bien, oui. Tout le monde a mis du sien. Bon, je ne suis pas naïf, les pressions ont dû être fortes, en coulisse, pour que tout se déroule comme sur du papier à musique. Mais vous voyez à quel point cet épisode constitue une rupture par rapport à la pratique précédente. D’habitude, dans ce genre de circonstance, le pouvoir réunit les forces vives de la Nation, et il tape. Il impose, il réglemente, il décrète, et à la fin, ce sont toujours les entreprises qui payent. Alors, bien sûr, il y a plusieurs députés de sa majorité qui rêvent d’en appeler aux bonnes vieilles méthodes, à la bonne vieille rengaine : "on a beaucoup donné aux entreprises, elles doivent mettre la main à la pâte". Mais globalement, la ligne de l’Élysée a tenu.
Vous voulez dire qu’il n’y a pas de tournant politique ?
Écoutez, il y a évidemment plein de signes de renoncement, plein de reculs du pouvoir sur la CSG, sur les carburants. Mais sur le choix fondamental fait par Emmanuel Macron au début de son quinquennat, pas de tournant. Ce choix, c’est celui d’alléger les entreprises, de ne pas les corseter davantage dans des règles, des normes, des lois. On l’a vu avec les ordonnances sociales, avec les engagements de modération fiscale, avec la promesse de nettoyage des normes et de seuils sociaux. Et tout ça aurait pu être annihilé cette semaine par un coup de bâton fiscal ou réglementaire.
Alors, il faut rester attentif : les entreprises, les plus grandes d’entre elles, ne sont pas à l’abri d’une contribution exceptionnelle ou d’un prélèvement temporaire. Mais au total, l’appel à la responsabilité de chacun plutôt que l’habituelle taxation pour tous est une petite lueur dans cette crise des "gilets jaunes".