Laïcité : les médias américains prennent position contre Emmanuel Macron

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Chaque matin, Nicolas Beytout analyse l'actualité politique et nous livre son opinion. Ce mardi, il revient sur les tribunes publiées puis dépubliées dans certains journaux américains concernant les positions d’Emmanuel Macron sur les caricatures et la lutte contre l’islamisme radical.

C’est un drôle de feuilleton qui est en train de se jouer entre la presse anglo-saxonne et Emmanuel Macron.

Un feuilleton qui tourne même à la confrontation autour d’un sujet fondamental aux yeux des Français, mais extrêmement complexe et controversé aux yeux de nombreux pays étrangers : la laïcité. Coup sur coup, plusieurs tribunes ont été publiées, puis dépubliées dans de grands médias anglo-saxons comme le Financial Times et le site Politico, entre autres. Des papiers qui mettaient en cause les positions d’Emmanuel Macron sur les caricatures et la lutte contre l’islamisme radical.

Retirer des articles d’un journal, ça doit être rarissime ?

C’est même sans précédent dans ces médias-là et l’accusation n’a pas tardé : c’est Emmanuel Macron lui-même qui est intervenu. En fait, on assure à l’Elysée que ces dépublications ont été décidées par les rédacteurs en chef de ces journaux parce que les articles contenaient trop d’erreurs. Admettons. Sauf que le New York Times s’est invité dans la partie avec un long article de leur spécialiste médias. Un vrai réquisitoire.

Est-ce que ce n’est pas une affaire un peu microcosmique, un débat classique entre médias et pouvoir ?

C’est beaucoup plus que ça. Tout est parti de la re-publication des caricatures du Prophète. Les pays arabes, les pays musulmans comme la Turquie ont vigoureusement condamné, il fallait s’y attendre. Mais le plus étonnant, c’est que le monde anglo-saxon n’a pas compris, pas admis l’exercice de cette liberté. On a malheureusement constaté le silence assourdissant des États-Unis après l’assassinat de Samuel Paty, quand ce n’était pas pire.

Pourquoi ?

Parce que le politiquement correct est devenu la norme aux États-Unis. La presse est verrouillée par ça, et les caricatures sont donc vécues comme une agression. Et puis la société anglo-saxonne n’est pas du tout construite comme la nôtre sur l’idée d’intégration, mais sur les communautés et sur la différence. Peu à peu, cette incompréhension de notre modèle est devenue une condamnation : pousser à l’intégration comme le fait la France, c’est nier les différences, ce qui conduit finalement au racisme. La voilà l’accusation implicite de ces médias. C’est évidemment un choc. En cinq ans, nous sommes passés du statut de pays des Lumières et de la liberté d’expression, un pays consolé par le monde entier après la tuerie de Charlie hebdo, au statut de pays suspect de racisme et de d’islamophobie. Un désastre.

C’est pour ça qu’Emmanuel Macron a personnellement réagi dans les médias ?

Sur Al-Jazeera pour le monde arabe et dans plusieurs publications occidentales dont le Financial Times et le New York Times. L’objectif est de ne pas laisser s’installer l’idée que l’on est en guerre contre l’islam, mais bien contre l’islamisme radical. Avec un risque évident, celui de porter le débat à un niveau d’incandescence qui ne peut qu’élever l’exaspération. Le chef de l’État se voit comme le défenseur de nos principes universels. Il a raison mais, ailleurs dans le monde, on le voit comme créateur de tension. Une contradiction dont il doit désormais absolument sortir.