Chaque matin, Nicolas Beytout analyse l'actualité politique et nous livre son opinion. Ce vendredi, il revient sur la décision symbolique d'Emmanuel Macron de supprimer l'ENA. Selon lui, cette suppression ne règlera pas le problème car il n'est pas lié à la qualité des hauts-fonctionnaires formés dans cette école.
Nicolas Beytout revient sur la décision d’Emmanuel Macron de supprimer l’ENA, une décision dévoilée ce jeudi matin sur Europe 1.
Ah ça, c’est une réforme. La crise des Gilets jaunes a montré la détestation des élites, supprimons la machine à former les élites. Les trois vagues de Covid ont souligné l’incapacité de l’administration à gérer les crises sanitaires, supprimons l’élite de l’administration. L’ENA est deux fois coupable, l’école est donc supprimée.
Nicolas Beytout n’est pas franchement convaincu par cette décision.
Non. Mais s’il s’agit d’analyser le bénéfice politique qu’Emmanuel Macron peut en tirer, alors il est incontestable. En une seule annonce, une seule décision, il démontre que malgré la crise sanitaire, il est déterminé à continuer à gouverner, qu’il sait tenir ses engagements, et qu’il ne craint pas de s’attaquer à ce symbole, l’ENA, dont il est lui-même issu. Un symbole, voilà ce qu’est en réalité cette décision.
Mais pas plus ? Sur le fond, sur la réforme elle-même ?
Pour que ce soit une bonne réforme, il faudrait être sûr que la suppression de l’ENA permette de régler le mal français, notre État. Le problème, ce n’est pas l’ENA, c’est ce qu’est devenue sa création : l’État. Le problème, ce n’est pas la qualité des hauts-fonctionnaires formés dans cette école. Les pays étrangers nous envient souvent le niveau des élèves qui en sortent, et son prestige à l’international est inversement proportionnel à sa réputation en France. Non, le problème, c’est que toute l’administration française fonctionne au diapason de ce qu’on apprend à l’ENA : multiplication des strates de pouvoir, bouffissure des effectifs, fascination pour la paperasse, refus d’être évalué sur ses objectifs, mépris affiché pour la productivité. Le problème, ce n’est pas la qualité de ces hauts-fonctionnaires (ils sont souvent excellents), mais c’est ce qu’on attend d’eux comme travail et ce qu’on leur offre comme cadre pour l’accomplir.
Donc, la suppression de l’ENA pourrait ne rien changer ?
Au mieux ça peut ne rien changer, au pire ça peut se dégrader. Parce que c’est peut-être désagréable à entendre, mais la vérité, c’est qu’un pays a besoin d’une élite (au sens où il a besoin de gens de très haut niveau, sélectionnés puis formés pour gérer des défis de très haute intensité). Pour recruter cette future élite, il faut pouvoir promettre que le job sera passionnant, que la carrière sera attrayante, que la comparaison avec ce qui se passe dans les entreprises ou dans le reste du monde sera gagnante. Ce qu’on doit demain attendre de la future Non-ENA, ce n’est pas de réduire son niveau d’exigence, non, c’est de sélectionner plus divers, de former plus large, de permettre des carrières plus ouvertes dans une administration plus efficace. Sinon, cette suppression pourrait vite ressembler à toutes ces réformes sorties, depuis 75 ans, d’un cerveau d’énarque.