Chaque matin, Nicolas Beytout analyse l'actualité politique et nous livre son opinion. Ce mardi, il s'intéresse au discours d'Emmanuel Macron lors de l'ouverture des États généraux de la Justice. Le président s'est attaquer au droit européen.
Ce lundi, Emmanuel Macron a lancé les États généraux de la justice à Poitiers, et il en a profité pour attaquer ceux qui, dit-il, succombent à "cette vieille maladie française" en attaquant le droit européen.
Le droit européen et ses gardiens du temple, la Cour de Justice européenne, et la Cour européenne des Droits de l’homme. L’intervention du chef de l’État est une réponse à une série de déclarations d’hommes et de femmes politiques français contre l’imposition par la justice européenne de règles de droit supra-nationales. L’affaire avait commencé à agiter le landerneau politique lorsque, cet été, la Cour de justice européenne a rendu un arrêt imposant à la France de décompter le temps de travail de la plupart des militaires comme s’il s’agissait de salariés ou de fonctionnaires ordinaires. C’est sûr que faire la guerre en RTT, c’est pas du Clausewitz.
Et tout est reparti récemment avec les décisions de la Pologne, entre autres, qui défend la primauté de sa loi nationale sur les lois européennes.
Exactement, une position partagée avec quelques autres pays européens, et qui a amené plusieurs candidats français à la présidentielle à critiquer la justice européenne : Michel Barnier, pourtant ceint de son écharpe de grand européen, Valérie Pécresse, et puis Marine Le Pen, Eric Zemmour, et à gauche Jean-Luc Mélenchon et Arnaud Montebourg, tendance souverainiste. C’est évidemment loin, très loin d’être un sujet purement théorique. Michel Barnier pointe par exemple le cas de la Cour européenne des Droits de l’homme qui dans certains cas s’oppose à l’expulsion de clandestins, pourtant décidée par un État souverain. Dans ce cas, dit-il, c’est la règle de droit du pays qui devrait s’imposer.
Et c’est ce que conteste Emmanuel Macron. Il l’a dit en des termes assez durs.
Il déclare être "étonné, pour rester pudique" de voir ressurgir cette "vieille maladie française". On sent que le chef de l’État a envie de taper plus fort, de faire de la politique, de marquer ses adversaires potentiels de près et donc de rentrer dans le combat pour le respect de ces traités qui, rappelle-t-il, ont été "signés puis ratifiés souverainement". Autrement dit, ce serait une faute de revenir sur la parole donnée au nom du peuple français. C’est beau, c’est déterminé (Emmanuel Macron se voit comme l’ultime défenseur de ces textes), sauf que ce n’est pas très convaincant. Et on va en avoir la preuve dès aujourd’hui. Parce que, par un malheureux hasard de calendrier, la Commission européenne lance aujourd’hui même un énorme travail de révision du Pacte de stabilité, le fameux "Maastricht" et sa non moins célèbre règle des 3% de déficit.
Cette règle qui a justement été suspendue depuis la crise du Covid.
Depuis que tous les pays ont déversé des centaines de milliards d’euros sur leurs économies pour sauver les entreprises et les emplois, et pour lutter contre les ravages de la crise sanitaire. C’était la bonne décision, mais ce "quoi qu’il en coûte" à l’échelle européenne doit avoir une fin. L’objet du travail lancé tout à l’heure par Bruxelles (et qui va durer des mois), c’est : comment revient-on à une discipline minimum en Europe ? Comment, et à quel rythme, les pays remettent-ils de l’ordre dans leurs finances publiques ? Et bien entendu, l’enjeu pour certains (dont la France) sera d’exclure du calcul du déficit budgétaire maximum toute une série de dépenses considérées désormais comme inévitables : le financement de la transition énergétique, les dépenses militaires dans un monde de plus en plus incertain, et puis les suites de la pandémie. Ce sera un rude combat, parce que beaucoup de pays dits "frugaux" ne l’entendent pas ainsi et veulent que la France, éternelle mauvaise élève dépensière et surendettée, respecte enfin les Traités qu’elle a signés. C’est le grand paradoxe des choix européens d’Emmanuel Macron : brandir la parole donnée et la défense de notre démocratie quand il parle de justice européenne, mais oublier que la discipline budgétaire et monétaire devrait découler du même respect de textes ratifiés souverainement.