Nicolas Beytout, mercredi sur Europe 1, est revenue sur la fin du règne d'Angela Merkel et sur le rapport de cette dernière à l'Union européenne.
Angela Merkel prend aujourd’hui, et pour la dernière fois de son immense carrière, la présidence de l’Union européenne. Il s'agit là d'une sorte de sacre européen pour celle qui, jusqu’à récemment, n’avait jamais montré un enthousiasme débordant vis-à-vis de l’Union européenne. L’Allemagne était régulièrement accusée d’être aussi égoïste qu’elle était puissante, d’être plus préoccupée par ses intérêts nationaux que par ceux du collectif des 28 ou 27 pays du continent. Bien sûr, Angela Merkel était la bonne élève de l’Europe, mais elle n’apparaissait pas pour autant comme le leader de l’Europe.
Angela Merkel a changé dans son jugement sur l’Europe : elle n’hésite plus à dire, désormais, que ce qui est bon pour l’Europe est bon pour l’Allemagne. Et puis, la chancelière a changé dans le regard des autres : en acceptant l’idée poussée par Emmanuel Macron d’une mobilisation d’argent massive à Bruxelles, elle a brisé l’interdit de l’endettement européen, et ouvert la voie à la création d’un fonds de relance qui pourra profiter à tous les pays du continent, bons et mauvais élèves, sans distinction.
Et ça, la France adore. L’idée qu’on puisse faire encore plus de dettes, et surtout une dette qui ne nous incombe pas directement, qu’on ne voit pas, qui est logée ailleurs, c’est le rêve. Bruno Le Maire vient justement d’en donner un nouvel exemple. Le ministre des Finances propose que l’équivalent de 150 milliards d’euros nés de la crise sanitaire soient confinés, enfermés dans une sorte de boîte à part.
La France sait très bien faire ça. Clémenceau disait qu’en France, "si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission". Il pourrait dire aujourd’hui : "Si vous voulez enterrer une dette, créez une caisse". C’est ce qu’on a fait avec les dettes magistrales de la sécurité sociale : on a créé la Cades. Pas vu, pas pris, ce n’était plus vraiment la dette de l’Etat. Cette fois l’idée est la même : les sommes mises par le gouvernement dans la lutte contre les effets de l’épidémie sont tellement gigantesques qu’il vaut mieux les mettre hors de la vue. En langage technocratique, on dit qu’elles vont être cantonnées. Le problème, c’est que, où qu’elles soient logées, ou cantonnées, ce sont toujours des dettes.
La Cour des comptes a justement publié hier son rapport annuel sur les finances publiques. Et elle met en garde, elle avertit, elle appelle l’attention, elle signale, elle prévient - je ne sais plus quel terme employer tellement la Cour des comptes est modérée dans ses critiques. Pendant ce temps, l’Allemagne évoque déjà les étapes du remboursement des sommes, également gigantesques, que Berlin aussi a jeté dans la lutte contre les suites de l’épidémie. La différence, c’est qu’avant le Coronavirus, l’Allemagne s’était largement désendettée, et que ça lui donne aujourd’hui beaucoup plus de latitude pour surmonter la crise économique. Vous verrez, il s’en trouvera toujours un pour penser que l’Allemagne est égoïste.