Bruxelles a décidé d'engager des poursuites contre le géant américain du commerce en ligne qu'elle accuser d'abuser illégalement de sa position dominante en Allemagne et en France, ses deux plus gros marchés en Europe. Nicolas Barré fait le point sur une question d'actualité économique.
Bruxelles s'en prend à Amazon, le grand gagnant du confinement. Après un an et demi d'enquête, la Commission a décidé d'engager des poursuites contre le géant américain du commerce en ligne.
Bruxelles considère qu'Amazon "abuse illégalement de sa position dominante en Allemagne et en France, ses deux plus gros marchés en Europe". Comment ? En exploitant à son profit les données des commerçants indépendants qui vendent leurs produits par l'intermédiaire de la place de marché d'Amazon. Par exemple : un magasin de jouets vous vend un camion de pompier et une poupée via Amazon. Amazon sait donc qui vous êtes, quels sont vos goûts, il mouline ces données dans son algorithme et ensuite, quand vous reviendrez sur Amazon, il vous proposera directement des produits correspondant à votre profil, en court-circuitant du coup le magasin qui les vend aussi. Les enquêteurs de Bruxelles ont épluché 80 millions de transactions pour arriver à cette conclusion. Il faut noter qu'une enquête sur le même sujet est en cours aux États-Unis où Amazon risque aussi d'être également poursuivi par le Département de la Justice pour abus de position dominante.
Le paradoxe c'est qu'Amazon offre en même temps une vitrine à des milliers de commerçants.
C'est ce qui rend le dossier complexe. D'un côté, Amazon récolte en effet beaucoup de données sur des millions de clients. Mais en même temps, il faut savoir que 800.000 commerçants vendent leurs produits via Amazon, ça représente même 60% des ventes qui sont conclues par la plateforme. Sans Amazon, beaucoup de commerces auraient donc moins de clients. Si vous êtes un petit producteur artisanal de confiture à Prades dans les Pyrénées Orientales, la ville du Premier ministre, vous avez à peu près zéro chance d'être référencé chez un géant de la distribution. Mais grâce à Amazon, vous pouvez espérer vendre votre confiture à un parisien ou à un lillois. Il ne faut donc pas être caricatural. Vendre sur Amazon, contrairement à ce que prétendent certains politiques mal informés comme Ségolène Royal, ça n'est pas "vendre la patrie" aux Américains.
Avec cette procédure pour abus de position dominante, Bruxelles continue sur sa lancée de tenir tête aux Gafa.
Politiquement, c'est intéressant. L'Europe montre qu'elle n'est pas devenue soudain naïve parce que Joe Biden va s'installer à la Maison-Blanche. Au contraire. Bruxelles vient de confirmer les sanctions commerciales contre les États-Unis dans le conflit Airbus-Boeing. Nous montons au front sur Amazon. Apple et Google sont toujours dans la ligne de mire. Si Biden espérait endormir l'Europe après les trompettes de Trump, c'est raté. L'Europe naïve, c'est fini !