"La loi Gayssot s'applique et doit s'appliquer. Je regrette que des poursuites ne soit pas orchestrées" à l'encontre de l'humoriste selon le nouveau bâtonnier du Barreau de Paris
Pierre-Olivier Sur, avocat pénaliste, bâtonnier du Barreau de Paris
Ses principales déclarations :
Pour la première fois depuis longtemps, un pénaliste devient bâtonnier... Il faut voir un symbole ?
"L'avocat pénaliste est je pense l'expression la plus forte de la défense. On a besoin d'une défense très forte en ce moment pour défendre les libertés, la justice qui va mal, il faut l'aider à aller mieux, et pour défendre les avocats."
A propos de Dieudonné. Que risque-t-il ?
"Il risque un an de prison ferme. Ce n'est pas rien. La loi sur l'injure et la diffamation, très ancienne loi de 1881 revisitée par la loi Gayssot de juillet 1990 permet, c’est une exception, de la prison ferme pour les appels à la haine et l'antisémitisme, et c'est bien juste. La loi Gayssot s’applique et doit s'appliquer : je regrette que des poursuites ne soient pas immédiatement orchestrées contre Dieudonné et tous azimuts à raison de chacun des propos inadmissibles qu'il tient tous les jours."
"Dieudonné perdrait ses droits civiques. Il ne faut pas oublier toutes les condamnations pécuniaires : il s'agit de les faire exécuter, nous sommes dans un état de droit."
Faut-il fermer son théâtre ? Interdire ses réunions ?
"Non, je pense qu'il faut appliquer la loi Gayssot : stigmatiser sur ce qu'il dit la constitution de l'infraction pénale. Dans ces temps de sortie de crise économique, sociale, humaine, aucune incitation à la haine n'est anodine. On a des souvenirs historiques terribles ! Je pense qu'il faut être très dur, très ferme mais qu'il ne faut pas non plus prendre des lois en réaction à ce qu'il dit. Changer la loi à cause de lui, parce qu'il est lui : il faut appliquer la loi qui existe, et l'envoyer en prison ferme parce qu'on peut le faire."
Une circulaire comme celle envisagée par Manuel Valls ?
"Non, pas de loi particulière ! La loi est l'expression de la volonté générale : pas de cas particulier à régler par la loi. La loi Gayssot doit pouvoir s'appliquer, on peut l'envoyer en prison ferme."
Comment stopper son influence ? Comment traiter les entreprises qui vendent ses billets ?
"C'est à vous de le dénoncer, de l'inviter peut-être sur vos plateaux, d'envisager des duels avec lui sur le ton de la polémique pour dénoncer ces propos inadmissibles qui valent de la prison ferme."
A propos du divorce sans juge :
"J'y suis opposé, nous y sommes opposés avec le conseil national des barreaux, mais non pas pour défendre des intérêts catégoriels ! L'avocat reste dans la procédure, telle qu'elle est en projet, mais le juge en sort : c'est encore plus grave ! Dans un divorce, même en consentement mutuel, même sans enfant, même sans patrimoine, il y a toujours un fort et un faible. Le juge est là pour séparer, apaiser."
"Les greffiers sont des gens tout à fait formés, exceptionnels, dévoués, intelligents, mais qui ne sont pas fait pour juger ! Chacun son métier ! L'avocat non plus n'est pas fait pour juger : le juge juge, le greffier note."
Magistrat et avocat sont main dans la main... Vous avez l'image des corporatistes vent debout...
"Non, car dans ce divorce-là, l'avocat est présent ! Nous défendons les magistrats. Magistrats et avocats sont d'accord pour dire qu'il faut un juge quand on divorce."
A Besançon, les juges vont étudier l'énième recours de la famille Dibrani. Faut-il le retour de toute la famille ?
"C'est une affaire triste et un peu détestable aussi, et assez étonnante. L'affaire Leonarda, il y en a des centaines et des milliers en France. Ce qui est détestable, c'est qu'on aille chercher une jeune fille de 15 ans dans un autobus au sortir de l'école ; détestable aussi la position du père qui fait du chantage y compris à la mort, là-bas au Kosovo. Détestable enfin peut-être : l'organisation de la procédure ! Trois ans, vingt recours, c'est trop long !"
Il faut une procédure plus rapide pour lui dire oui ou lui dire non ?
"Exactement ! Il faut aller plus vite ! La justice doit être plus rapide, ici comme dans d'autres matières."
Christiane Taubira prépare sa réforme pénale...
"Je la supporterai, je la soutiendrai, en particulier dans la réforme du carcéral, du pénitentiaire. Nous avons besoin d'une réforme des prisons : la France a été condamnée récemment, plusieurs fois, par la Cour Européenne pour traitement inhumain !"
Christiane Taubira veut réduire la surpopulation carcérale. Les juges ont la main trop lourde ?
"Il faut sortir du tout-carcéral. Le problème n'est pas d'enfermer les gens mais de les suivre. Pas de les priver de liberté mais de les tracer, tracer une vie, un destin, le contrôler à la sortie de la prison mais aussi pendant le temps du procès pour les détentions provisoires, pour ceux qui sont présumés innocents qu'il faut laisser en liberté sauf s'il y a un problème de sûreté publique."
Vous êtes favorable à la création de délégués à la probation. A t-on les moyens de les financer ?
"Non, mais il faut trouver les moyens de les financer. Le problème de la prison, c'est ceux qui sont en état de... ceux qui ont des pathologies psychiatriques. Les fous, mais j'évite de le dire. Il y a 25% de fous en prison : il faut les faire sortir, les mettre à l'hôpital psychiatrique et sortir les détentions provisoires. On peut diviser par deux le nombre de prisonniers en France."
La Justice va mal. Qu'est-ce qu'il lui manque ?
"Pour les justiciables, elle est trop longue, trop chère. Pour les magistrats : il n'y en a pas assez, 8.000, soit autant que sous Napoléon III alors que population et infractions ont augmenté. A l'époque, il y avait 1.000 avocats ; 25.600 aujourd'hui à Paris, 50.000 dans tout le pays. Mais non, ce n'est pas trop : il y a beaucoup de métiers dans la profession d'avocat."
Dans l'intérêt des avocats et des justiciables, ne faut-il pas limiter le nombre d'avocats ?
"Non, il faut trouver de nouveaux débouchés, et en particulier à Paris, une place de droit dans le monde qui nous permet d'exporter notre savoir, notre droit romano-germanique, celui de la Chine, de l'Europe de l'Est, de l'Amérique du Sud."
Vous êtes le défenseur de Baghdadi Mahmoudi, ex Premier ministre de Kadhafi. La justice fonctionne ? Comment va-t-il ?
"J'ai mis plus d'un an à obtenir un visa. Je suis allé à Tripoli il y a deux mois, dans un pays où il n'y a plus d'Etat, de Justice, d'ordre des avocats, d'avocats. Assister à une telle déliquescence d'un pays, d'un peuple, aux portes de l'Europe, c'est extrêmement préoccupant. C'est un sujet qu'il faut traiter pour mettre notre force de percussion de Français, de droit français, pour aider ces pays à se relever."