Dominique Anelli estime que détruire toutes les capacités de production d'armes chimiques d'ici à mi-2014 est "un objectif très ambitieux qui va être difficile à réaliser".
Dominique Anelli, chef de la section de démilitarisation chimique à l’Organisation Internationale pour l’interdiction des Armes Chimiques (OIAC)
Ses principales déclarations :
Vous rentrez de Syrie. Quels sont les premiers résultats obtenus par votre équipe ?
"Les premiers résultats, c'est la destruction de tous les éléments essentiels à la production des armes chimiques. Comme pour une voiture, on s'est assuré que le moteur des usines chimiques était détruit. Sur les 23 sites visités, on a cassé la machine. Ces 23 sites, c'est nous qui les avions prélistés mais c'est ce que le régime a déclaré à l'OIAC. Nous avons inspecté ces sites et avons, avec le support des syriens, cassé la machine."
Etes-vous sûr que ces 23 sites constituaient l'intégralité des sites de production d'armes chimiques en Syrie ?
"Excellente question. Ce genre de traité est basé sur la confiance."
Pas facile, la confiance avec le régime syrien aujourd'hui...
"Tout à fait ! On inspecte les sites déclarés par le gouvernement syrien. Cependant, je dois dire qu'en plus de cette confiance nous avons un outil un peu plus performant : c'est une décision du Conseil de sécurité de l'ONU, le fait de pouvoir faire des inspections sur des sites qui n'ont pas été déclarés, des inspections par mise en demeure. Dire "dans 48 heures, nous voulons inspecter ce site qui ne fait pas partie des 23 sites déclarés". Le régime syrien est obligé de dire oui."
Vous avez le sentiment qu'il y a eu des entraves à votre travail ?
"Pas du tout. On a eu affaire à des experts techniques, qui ont travaillé 12 à 15 heures d'affilée avec nous pour répondre à toutes nos questions, répondre à l'analyse de la déclaration. On y est arrivé : nous avions en face de nous des experts qui donnaient des réponses techniques à nos questions techniques."
Vous avez confiance en vos interlocuteurs, ils sont transparents ?
"Les interlocuteurs techniques que j'avais en face de moi, oui. J'ai confiance en eux. Cependant, ils ne disent que ce qu'on leur a autorisé de dire... Il y a peut-être une certaine incertitude qui demeure. Mais les gens que j'ai eu en face de moi étaient crédibles sur le plan techniques et m'ont semblé nous donner toutes les informations que l'on souhaitait. Par exemple, c'est très important : dans ces réunions, nous étions en tête à tête avec eux. Il n'y avait jamais le général, l'ambassadeur ou le vice-ministre des Affaires étrangères..."
Neutraliser ces capacités de production est une chose, les détruire est plus compliqué. C'est pour quand ? Mi-2014, c'est ça l'objectif ?
"Oui, c'est ça. Mi 2014. C'est un objectif très ambitieux qui va être difficile à réaliser. Cependant les armes chimiques syriennes ont une particularité : ce sont des précurseurs, pas des armes chimiques. Pour une vinaigrette, on utilise huile et vinaigre. Huile et vinaigre, c'est stable dans le temps ; pas la vinaigrette ! Ce qu'avaient les syriens, c'est l'huile et le vinaigre ! On les mélange, on fait l'arme chimique."
Mi 2014, c'est techniquement réalisable ?
"C'est techniquement réalisable. Il faut maintenant que les sponsors de la destruction des armes chimiques en Syrie que sont les Etats-Unis et la Russie mettent en œuvre les moyens de destruction."
Hors arme chimique, la répression des opposants reste sévère et brutale, Bachar El Assad affamerait une partie de sa population. Vous avez pu le voir ou on vous le cache, vous êtes préservés ?
"On est assez préservés. Nous sommes dans une zone sécurité, celle du Four Season à Damas. Aux alentours de l'hôtel, la zone est sécurisée, nous n'avons pas accès à la population, même quand on va sur les 23 sites. Nous sommes sous escorte, véhicule blindé, contraintes de temps, de lieu. C'est extrêmement contrôlé."
N'avez-vous pas le sentiment d'être l'alibi de la communauté internationale pour détourner le regard pendant que les atrocités continuent ? Plus 120.000 morts depuis un an et demi ?
"Oui, vous avez raison de la souligner... Mais même si on semble être l'alibi de la bonne conscience de Bachar El Assad, je me réjouis que dans six mois, un an, toutes ces armes chimiques atroces à utiliser sur le terrain vont être détruites. Quelque part, notre mission, je la vois comme un soutien à la population : au moins Bachar El Assad ne pourra plus utiliser ces armes terribles. Je me vois comme quelqu'un qui aide la population syrienne."
Demain, le massacre du 21 août ne sera plus possible ?
"Il n'est déjà plus possible."