"Une guerre courte, propre et rapide, ça n'existe pas", explique le général Vincent Desportes.
Général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre, professeur associé à Sciences-Po, spécialiste des affaires militaires.
Voici ses déclarations :
Au vu de ce qui se passe depuis trois semaines, de la situation extrêmement tendue en Centrafrique, est-ce que vous pensez que la France a eu raison d'intervenir ? Est-ce qu'on n'est pas tombé dans un piège ?
"Absolument pas, ce n'est pas une piège. La France a eu raison d'intervenir pour au moins deux raisons. La première, c'est que nous étions à Bangui, il y avait des massacres, nous devions intervenir. La question ne se pose pas. Le deuxième point, c'est que cette intervention va exactement dans l'intérêt sécuritaire des Français. A quoi aurait servi de détruire l'académie du terrorisme au Mali pour la voir se réinstaller dans une zone grise qui se serait installée en Centrafrique ? Donc, nous devions y aller."
Mais face à la haine que se vouent les communautés musulmanes et catholiques - on la voit tous les jours dans les rues de Bangui -, que peut faire tactiquement l'armée française ?
"L'armée française peut parfaitement parvenir à stabiliser et à désarmer mais ne peut probablement pas y arriver avec ses effectifs actuels, 1600 hommes. La situation a changé. Nous comptions avoir une force africaine cohérente et capable de participer à la mission, on voit que c'est très difficile. On a vu les Tchadiens tirer sur les Burundais, on voit les Tchadiens partir, maintenant. Il est important et urgent que la France renforce ses effectifs avant relève, je l'espère, rapide, par une force de l'ONU."
Mais plus d'hommes, ça veut dire combien ?
"Il me semble que, dans cette ville de 800 000 habitants, qui est une ville très compliquée - c'est une ville africaine, où seul le centre est moderne, le reste, ce sont des rues de latérite avec des quartiers très pauvres, etc. - en-dessous de 5 000 hommes, il n'y a pas d'espoir de stabiliser la situation. Je vous rappelle que nous avons évidemment à tenir l'aéroport de M'Poko, qui est le cordon ombilical vers la métropole. Nous avons également à intervenir dans le nord-ouest du pays, où la situation est également très difficile. Et nous devons être à Bangui : il ne me semble pas qu'en-dessous de 5 000 hommes, ce soit possible. Je rajouterai qu'il faut envoyer ces forces très rapidement, je dirais en un coup. Une augmentation progressive des effectifs n'aurait pas d'effet. Il faut provoquer un effet de souffle, un effet Canadair si vous voulez, de manière à stabiliser brutalement et à maintenir la situation dans Bangui."
Le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a entamé hier une tournée de trois jours en Afrique, notamment pour faire le point sur cette intervention et pour voir aussi quel pays pourrait participer et aider la France dans cette opération. Quand vous dites : plus d'hommes en Afrique, je comprends que c'est plus de soldats français. Obligatoirement français ?
"Il faut agir vite et stabiliser la situation, éteindre le feu. Aujourd'hui, seul un contingent français est capable de le faire. Ensuite, qu'il faille préparer diplomatiquement et militairement la relève avec les pays voisins, c'est une évidence. Mais dans un premier temps, seule la France est capable de projeter les capacités opérationnelles qui permettront de régler la situation, au moins dans un premier temps."
Mais l'armée française est actuellement engagée au Mali. Est-ce qu'on a les moyens d'être engagés sur deux fronts ?
"Vous avez parfaitement raison, c'est la difficulté. Techniquement, il n'y a pas de difficultés à projeter quelques milliers d'hommes complémentaires. L'armée française peut le faire, mais pas dans la durée. Hélas, l'armée française manque totalement d'épaisseur stratégique. Les lois de programmation militaire ont progressivement détruit les capacités opérationnelles de l'armée française, les forces terrestres en particulier. Nous ne pourrons pas rester longtemps avec ces effectifs, il faudra donc une relève assez rapidement."
Au début de l'opération Sangaris, François Hollande disait que ce serait une opération rapide. A vous entendre ce matin, on a l'impression que la France est pour longtemps en Centrafrique.
"Bien sûr. Regardez le Mali : c'était une mission beaucoup plus facile. Il s'agissait de détruire un ennemi rapidement identifié et identifiable, avec une suite relativement claire et qui a fonctionné. Et nous sommes encore là, avec 3000 hommes, et nous sommes là pour longtemps. A Bangui, c'est une situation beaucoup plus difficile, parmi les plus difficiles qu'on puisse donner à une force armée : entrer dans une guerre civile et séparer les parties combattantes sans soi-même utiliser la force. Donc c'est très compliqué, ça prendra du temps. La guerre, c'est comme ça. Le rêve d'une guerre courte, propre et rapide, ça n'existe pas. Regardez ce que nous avons fait en Lybie. Nous sommes intervenus peu de temps, et bien nous avons créé un pays exportateur de violence, de terrorisme et d'armement. Nous devrons rester longtemps, c'est inévitable."
Mais répète ce que je disais : François Hollande, au tout début de cette opération Sangaris, a dit que ce serait rapide.
"Ecoutez, il ne pouvait pas annoncer aux Français que ce serait une opération très longue et lui-même, à juste titre, espérait qu'elle soit courte. La France espérait un effet dissuasif, qu'en envoyant 1 600 hommes brutalement à Bangui, cela calmerait immédiatement les esprits. Ça n'a pas été le cas. Donc désormais nous sommes là-bas, nous ne pouvons évidemment pas partir. Il faut renforcer les effectifs et rester, ne serait-ce que pour former l'armée centrafricaine. Regardez au Mali : il n'y a pas de ticket de sortie stratégique tant que l'armée malienne n'aura pas retrouvé une certaine structure. Ce sera la même chose en Centrafrique. Nous devons rester suffisamment de temps pour reformer l'armée centrafricaine, en espérant que les pays européens et la communauté internationale dans son ensemble vienne nous aider. Nous ne sommes pas dans un problème franco-français mais un problème international qui concerne toute l'Europe en particulier."
Vous parlez du Mali, général Desportes. 2500 soldats français sont toujours sur place. Ça va baisser rapidement, a promis le ministre de la Défense. On peut aujourd'hui retirer sans souci une partie de nos troupes ?
"Je ne peux pas l'affirmer mais je pense que c'est souhaitable. Et comme le disait fort justement François Hollande au sujet de la Centrafrique, je pense qu'il faudra rester au Mali aussi longtemps qu'il le faudra. A quoi cela servirait-il de partir maintenant et de voir le pays retomber dans l'instabilité et la violence ? Il est important de laisser progresser la situation politique et rester aussi longtemps que nécessaire."
Dernière question, général. On a l'impression, que ce soit au Mali ou au Centrafrique, que la France est seule.
"La France est hélas seule. C'est un grand pays qui a le sens des responsabilités, on doit dire également qu'elle a une capacité très particulière en Afrique francophone, qu'elle connait bien. Elle était le pompier disponible, elle a rempli la mission qu'elle devait remplir. J'espère que l'Europe se rendra compte qu'elle est concernée elle-même par cette difficulté et que la communauté internationale aidera la France dans cette mission qu'elle remplit pour elle-même mais également pour de nombreux pays dans le monde."