Le rachat de SFR par Bouygues pourrait changer les règles du marché des télécoms en France. Stéphane Richard,lui, y voit une opportunité.
Stéphane Richard, Président Directeur Général d’Orange
Ses principales déclarations :
Bouygues va vendre son réseau à Free pour racheter SFR... N'avez-vous pas l'impression d'être le dindon de la farce ?
"Non, nous sommes le point stable dans ce paysage un peu incertain. Ce qui est sûr, c'est que dans les mois qui viennent, nous allons continuer notre stratégie, déployer notre réseau, bien nous occuper de nos clients."
Oui mais si Bouygues rachète SFR, vous ne serez plus numéro 1...
"Pour l'instant, c'est nous ! Voyons quand même que dans cette industrie, on a besoin de consolidation : on a des investissements très lourds à financer, pour les faire on a besoin de taille, de marges... Aujourd'hui, un peu partout en Europe, on voit des consolidations..."
Qu'entendez-vous par besoin de consolidation ? Vous encouragez ce rapprochement Bouygues-SFR ?
"On a besoin d'opérateurs puissants qui ont les ressources pour investir dans ces technologies qui sont clés pour la compétitivité du pays. Il y a des projets de consolidation partout en Europe : en Allemagne, on va prochainement probablement passer de 4 à 3 opérateurs."
Même si vous ne serez plus leader, vous encouragez ce rapprochement ? 3 opérateurs et plus 4 : ça vous rassure ?
"Pour l'industrie en elle-même et pour le pays, la consolidation est une option qui est positive et qui peut être positive. En ce qui nous concerne nous, nous allons peut-être perdre momentanément la place de numéro 1 sur le marché, mais croyez bien qu'on sera tous très motivés pour la regagner très vite."
27 millions de clients chez vous, 32 au cumulé chez SFR et Bouygues... Ils auraient 51% du marché en l'état...
"C'est le nombre de cartes SIM mais il faut regarder la valeur, le chiffre d'affaires. Beaucoup de cartes SIM ne rapportent pas beaucoup. En valeur, on sera à peu près au même niveau que l'ensemble Bouygues-SFR."
Vous allez à nouveau vous entendre sur les prix ? C'est ce que craignent les associations de consommateurs...
"J'ai entendu ça tout à l'heure, je trouve ça normal qu'ils évoquent ça mais je trouve aussi qu'ils crient avant d'avoir mal. Ce n'est pas parce qu'un marché est à 4 ou 3 qu'il y a ou pas des pratiques anti-concurrentielles..."
En Autriche, les tarifs ont augmenté...
"Je conteste ce point. Une étude récente montre que, quand on compare des choses comparables, il n'y a pas eu d'augmentation de prix. Je ne crois pas qu'il y aura des augmentations de prix : les prix ont baissé de 30% en France depuis deux ans. D'ailleurs je n'ai entendu personne remercier les opérateurs d'avoir fait cet effort gigantesque..."
C'est Free qu'il faut remercier...
"Les opérateurs ! Tout le monde a baissé ses prix ! Les entreprises ont fait des efforts énormes de productivité pour accompagner ces baisses de prix, encore une fois personne, en tout cas pas les associations de consommateurs, ne nous a remercié pour cela. Les prix n'augmenteront pas : aujourd'hui, on a une intensité de la concurrence qui est très forte, effectivement alimentée aussi par un nouvel entrant. Il y a beaucoup d'autres choses qui se passent sur ce marché : l'explosion des usages, il faut construire des réseaux, cet appétit formidable pour la technologie, ce qu'on fait dans le fixe avec la fibre, la convergence..."
Que le prix du forfait n'augmente pas, c'est une chose, mais sur ces nouvelles technologies ?
"Ce qu'il faut d'abord, c'est avoir ces nouvelles technologies ! Il faut d'abord avoir ces réseaux 4G et demain 5G, et la fibre. La fibre en France coûte 25 milliards d'euros : qui va les financer ? Il faut bien que ce soit les opérateurs ! Ils ont besoin de reconstituer leur marge, ce qui ne veut pas dire qu'ils vont le faire en augmentant les prix."
Free va s'acheter un réseau 1,8 milliard d'euros... Free vous paie 600 millions par an pour utiliser vos tuyaux : vous allez perdre cet argent et en 3 ans de loyer Free aura son propre réseau. C'est un prix normal ?
"Ça prouve qu'on n'a pas bradé notre itinérance, j'ai souvent entendu cette critique, on a souvent dit qu'on a fait entrer le loup dans la bergerie en faisant cadeau quasiment de l'itinérance. On voit au contraire que ce prix était extrêmement élevé. Combien avons-nous payé notre réseau ? Difficile à dire, on le construit depuis 10 ans. Dans 1,8 milliard, vous additionnez les fréquences et le réseau physique. 1 milliard pour les antennes, 800 millions pour les fréquences : c'est un réseau de deuxième main ! Ce n'est pas un réseau neuf !"
Mais combien a coûté, à peu près, le réseau Orange ?
"Je dirais 4 à 5 milliards, si on prend uniquement en compte l'aspect physique. Mais attention, un réseau, ce ne sont pas que des antennes, ce sont aussi des liens fixes, il faut relier les antennes entre elles avec des autoroutes de fibre optique, ce qui assure la qualité de service."
Arnaud Montebourg semble soutenir cette hypothèse : il sort de son rôle ?
"C'est à lui de définir son rôle. Il nous habitue à des discours avec des options fortes sur l'industrie, après tout il est ministre de l'Industrie..."
Mais l'Etat est actionnaire d'Orange... Il ne vous affaiblit pas quand il se mêle des affaires de SFR et Bouygues ?
"Non, car d'abord vous voyez bien qu'il n'y a pas de contradiction entre la vision d'Orange et la vision du ministre. Elle est globalement plutôt favorable à la consolidation. Je respecte sa prise de parole : je défends les intérêts d'Orange, c'est tout ce qui m'intéresse."
Quand le patron de Bouygues affirme que la fusion avec SFR ne provoquera aucun départ, vous le croyez ? La synergie a toujours détruit des emplois...
"Je laisse à M. Roussat et au groupe Bouygues la responsabilité de ce qu'ils disent et surtout de tenir les engagements qu'ils prennent. Si je me place sur le domaine de la téléphonie pure, je ne pense pas qu'on pourra additionner ces deux boutiques sans une forme de rationalisation et donc des pertes d'emplois. Mais Bouygues est un très grand groupe : il a la capacité de reclasser des salariés dans d'autres activités."
Ca vous parait difficile d'envisager ça sans casse sociale ?
"Dans la partie télécom pure, s'il y a une opération comme celle-là qui doit dégager des synergies importantes, il y a forcément un impact sur l'emploi, mais il peut être bien géré, très progressif, d'autres métiers apparaissent... Je ne crois pas que ce sera le point qui pose le plus problème."
Free est devenu un acteur respectable ? Un grand, comme vous, comme Bouygues ?
"Il peut le devenir en tout cas... Si cette opération se fait, n'allons pas trop vite, Vivendi doit prendre une décision, l'autorité de la concurrence doit approuver ce mouvement majeur. Ça va prendre beaucoup de temps."
Il n'y aura pas de recours d'Orange ?
"Nous serons extrêmement vigilants. Je ne suis pas contre l'opération en elle-même : nous serons très attentifs aux conditions de cette opération, notamment ce qui se passe sur les fréquences, un point absolument stratégique."