Natacha Polony, La Revue de presse 03.03.2016 1280x640 6:50
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La presse quotidienne revient ce jeudi sur la mobilisation des jeunes contre la loi travail de Myriam El Khomri.

Ce matin en Une de vos journaux le réveil des jeunes fait trembler le gouvernement :
La Croix : Comment le travail divise la gauche.
Le Parisien : réforme du droit du travail : Hollande face au péril jeune.

Pendant ce temps, les Echos nous alertent : L’industrie française ne profite pas de la reprise.

Mais c’est le nouveau couple de l’Amérique qui occupe la plupart des Unes :
Le Monde : Trump et Clinton, la course en tête.
Libération : ce qui peut faire tomber Trump.

Primaires américaines

"Faut-il avoir peur du grand méchant Trump ?", se demande Johan Hufnagel dans Libération. On retrouve ce matin dans les éditoriaux à peu près tout le panel des adjectifs : vulgaire, opportuniste, démagogue, extrémiste… Et pourtant, il grimpe. Le Parisien ne peut que constater que si les jeunes qui boudaient Hillary Clinton pourraient être tentés de revenir vers elle pour barrer la route à Donald Trump, il est toute une part de la population chez qui il soulève un étonnant enthousiasme. Et le journal donne ce chiffre clé : la participation des Républicains lors du Super Tuesday a augmenté de 66% par rapport à 2008. Celle des démocrates s’est effondrée de 68%. Géraldine Woessner nous raconte d’ailleurs comment le parti républicain est incapable de contrer cet encombrant candidat, même en clamant qu’il n’a rien de républicain. Au contraire, pour une partie de l’électorat, ça sonne comme un argument en sa faveur. Le Figaro y ajoute une donnée également intéressante : Nombre d’électeurs de Bernie Sanders disent vouloir voter pour Donald Trump si leur candidat échoue à la primaire. Bref, un dynamitage de la vie politique américaine.

Enseignants

C’est la Une du Figaro ce matin : la grogne monte contre les absences des enseignants. Ils sont pourtant moins absents que les autres fonctionnaires, mais quand un professeur manque, ce sont potentiellement cinq ou six classes qui sont concernées, soit environ 400 parents. Des parents désormais prêts à mobiliser la justice. Pour autant, excepté dans des zones comme la Seine-St-Denis, où le manque d’enseignants constitue un véritable scandale, le principal problème de l’école est plutôt décrypté dans le magazine Causeur. En Une : Latin, Grec, Orthographe, Collège, Réforme du lycée : Profs, ne lâchez rien. L’expression qui se propage, c’est celle de résistance passive. "Dès lors qu’on affaiblit ou qu’on dilue l’enseignement du Latin ou de l’Allemand (langues à déclinaisons), explique un professeur de Lettres, on touche à la grammaire, mais aussi aux fonctions cognitives, analyse et synthèse, logique, mémoire, attention. On touche donc indirectement à la vigilance intellectuelle et à l’esprit critique". On découvrira dans le dossier un portrait de Florence Robine, directrice générale de l’enseignement scolaire, cœur de réacteur de l’Education Nationale, et capable de phrases délicieuses comme : "On n’a pas forcément besoin d’un enseignant pour apprendre. Les enfants apprennent aussi bien entre eux". Il faudrait qu’elle aille l’expliquer aux parents de Seine-St-Denis qui s’inquiètent de voir leurs enfants privés de semaines entières de cours.

Printemps des Poètes

C’est la grandeur d’un journal comme l’Humanité : pouvoir consacrer une double page à un poète. Les mots d’Olivier Barbarant sont exigeants, précis, mais ils nous parlent du sens de nos vies. "La poésie paraît dérisoire, notre amour pour elle devient quasi clandestin, mais cela ne veut pas dire qu’il n’est pas tenace, ni essentiel. Sans horrible prétention au message mais parce que le sentiment l’exige (autrement le poème ne vaudrait rien), affleure dans les cendres un rappel des braises". La poésie est tentative de rivaliser avec cette diversité qui s’appelle la vie : "Nous sommes à la fois des volcans et des allumettes", et la déploration, nous dit-il, est aussi protestation.

Eloge du travail manuel

On n’est pas si loin de la poésie. Télérama s’intéresse au travail d’un chercheur en philosophie, Matthew Crawford qui est également réparateur de motos. Son premier essai, Eloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail, fut un best-seller. Et c’est en assurant la promotion de ce livre qu’il a été frappé par ce qu’il appelle une nouvelle frontière du capitalisme : le fait que notre espace public est colonisé par des technologies qui visent à capter notre attention. Partout des écrans de publicité, des hauts-parleurs qui crachent de la musique. Dans les aéroports, le seul endroit qui en est exempt est le Salon Affaires. Il faut payer pour avoir droit au silence et à la concentration. Mais le philosophe ne se contente pas d’une critique classique de la technologie. Il y voit la conséquence de la pensée des lumières et de son projet, au départ émancipateur, de faire de l’Homme un individu totalement autonome. Le résultat de cette responsabilité radicale : l’augmentation du fardeau qui pèse sur nous, celui de devoir nous libérer seuls de ce qui nous asservit, les technologies envahissantes, la mal-bouffe et le reste. La solution ? Les mains dans le cambouis, le travail manuel, artisanal, qui nous oblige à sortir de nous et nous aide à revendiquer le droit à jouir du silence, à ne pas être interpellés.

Ados et smartphones

L’Obs est allé regarder ce qu’il y a dans le portable de nos ados. Ce qu’ils font, au saut du lit, quand ils saisissent l’objet avant même d’avoir prononcé un mot. On regarde Facebook, Instagram, on fait valider son look par les amis. Et puis en cours, ça continue. On commente les propos du prof, on invente toutes les techniques pour tricher, on drague, ou l’on essaie de ne pas se faire ruiner sa réputation. Ces jeunes, nous dit un pédopsychiatre, sont dans une impatience permanente, non pas zappeurs mais dans l’hyper attention. Mais plus rien n’est hiérarchisé. "Je suis étonné, dit-il, de voir tous les jours des parents se plaindre du portable, des jeux vidéo dont leurs enfants sont plus ou moins esclaves, et en même ne cesser de leur en offrir de plus en plus jeunes." Alors, on leur conseillera d’offrir plutôt à leurs enfants Matthew Crawford, ou pourquoi pas L’Humanité et quelques livres de poésie.

 

Certains d’entre vous ont peut-être lu la vertigineuse nouvelle de Jorge Luis Borgès, La Bibliothèque de Babel. L’écrivain argentin imaginait une bibliothèque composée de chambres hexagonales et contenant tous les livres de 410 pages possibles, toutes les combinaisons de mots et de phrases à partir des 26 lettres de l’alphabet. Un jeune homme, nous dit Paris Match, vient de créer un logiciel donnant naissance à cette bibliothèque. Résultat : 29 puissance un million 312.000 livres dans la bibliothèque. Et le vertige est là : avant même sa rédaction, l’interview existait déjà : Mur 1, étage 2, volume 11. Cette revue de presse aussi. Et celle de demain. Et le programme politique qui nous sortirait du marasme. Mais où ?