La presse nationale est presque unanime sur le bilan de l'ancien Premier ministre, Michel Rocard. Le fond de l'air n'a jamais été aussi peu "rouge."
Ce matin en Une de vos journaux il y a du bleu, il y a de la joie.
Paris Normandie : "La France éteint le volcan islandais."
L’Équipe : "Presque parfait !
Le Parisien : "Cette fois, on y croit !"
Le Midi Libre : "Mannschaft nous voilà !"
Mais il y a aussi du noir.
En Une de La Croix, c’est cette photo noir et blanc de Michel Rocard, sourire malicieux et regard pensif. Et pas besoin de titre.
Et puis il y a la très belle Une de Libération en très grand, Michel Rocard, "une gauche d’avance." Juste en- dessous, ces visages qui se détachent sur fond noir : Elie Wiesel, conscience universelle, Michael Cimino, cinéaste maudit, et Yves Bonnefoy, poète lyrique. Encore en-dessous ce bandeau : Irak : Au moins 119 tués dans un attentat à Bagdad. Et le titre en lettres blanches : "Un week-end à Mourir."
Rocard
Tous les éditorialistes glosent ce matin sur le destin d’un homme qui a marqué bien au-delà des fonctions qu’il a exercées. Homme d’État, tête chercheuse, figure tutélaire. Mais, c’est la tonalité de tous ces éditoriaux qui nous raconte, bien plus que les mots choisis, ce que fut la véritable influence de Michel Rocard, théoricien de cette deuxième gauche dont Bruno Dive nous dit dans Sud-Ouest que les idées ont irrigué et l’ont finalement emporté.
L’adaptation au marché et l’acceptation des règles de la mondialisation libérale ne rencontrent pas la moindre critique ce matin. Ah si, dans l'Humanité. Sans surprise. Mais le Figaro, l’Opinion et Les Echos sont dithyrambiques. Dans l’Opinion, Eric Le Boucher décrit ces années durant lesquelles "la deuxième gauche reste en rade, moins habile, trop honnête avec son discours de vérité et trop réaliste pour faire rêver une nation qui se complet dans la politique et déteste l’économie."
La politique, c’est quand les gens choisissent, alors que l’économie c’est formidable, c’est une science dure, indiscutable. Son regret ? Que le rocardisme n’ait pas suffisamment vaincu, que François Hollande ait encore trop cherché à ménager les frondeurs. Juste derrière, il évoque le Brexit et appelle à punir les Anglais comme on n’a pas assez puni les Grecs. "Tous rocardiens, appelle-t-il, mais avec un rocardisme qui sort du baratin pour l’action."
Grandes consciences
La Croix, le Figaro et Libération consacrent aussi de très belles pages à Elie Wiesel. Tous racontent cette rencontre en mai 1955 entre le jeune homme de 27 ans et l’académicien François Mauriac qu’il vient interviewer. L’écrivain évoque Jésus, la souffrance. "Il y a de cela dix ans à peu près, j’ai vu des enfants, des centaines d’enfants juifs qui ont souffert plus que Jésus sur cette croix, et nous n’en parlons pas. Je suis l’un d’eux."
François Mauriac ne cessera de l’encourager à écrire. Raconter la mort de son père sous les coups d’un SS : "C’était son dernier vœu, m’avoir auprès de lui au moment de l’agonie, mais je ne l’ai pas exaucé. J’avais peur. Peur des coups. J’ai laissé mon vieux père seul agoniser. Je ne me le pardonnerai jamais. Jamais je ne pardonnerai au monde de m’y avoir acculé, d’avoir réveillé en moi le diable, l’esprit le plus bas, l’instinct le plus sauvage."
Après 1945, certains se sont interrogés. Comment écrire encore après cela. Quels mots pour dire l’indicible. Ce fut le travail de la poésie dont Yves Bonnefoy était sans doute le plus grand représentant. Il faut lire la page que lui consacre Le Monde pour comprendre la recherche inlassable de cet homme pour traduire par le langage la simplicité concrète des mots, cette expérience bouleversante de se sentir vivre ici et maintenant. "Le XXIe siècle, avait-il confié au Magazine littéraire en avril 2008, c'est bien possiblement celui qui verra la poésie périr, étouffée sous les ruines dont il couvre le monde naturel autant que la société."
Alors il reste ses mots : "On ne sait si des mains ne se tendent pas, du sein de l’inconnu accueillant pour prendre la corde que nous jetons de notre nuit."
Préparer la guerre
C’est aussi dans Le Monde qu’on trouve une double page sur le bouclier anti-missile déployé par l’OTAN en Europe. Un article essentiel pour comprendre les fractures majeures entre les différents pays européens, les uns ayant choisi, comme l’Allemagne, de déléguer leur protection aux États-Unis, tandis que d’autres, essentiellement la France, tentent de maintenir une indépendance stratégique. Pas d’Europe puissance sans Europe de la défense. Mais l’OTAN est là pour l’empêcher.
Élisabeth, doyenne des Français.
Il n’y a pas que des nécrologies dans la presse ce matin. Le Parisien a choisi de nous parler d’Élisabeth, 113 ans, nouvelle doyenne des Français. Certes, cela signifie que la précédente doyenne, Eudoxie Baboul, est décédée. Mais Élisabeth se porte comme un charme. Elle n’a jamais mis les pieds à l’hôpital, même pas pour ses 6 accouchements. Elle a passé sa vie à Échirolles, dans les Alpes a mené une vie saine, n’a jamais fumé. Le secret de sa longévité ? "J’adore le champagne, c’est peut-être ça." Et elle lance au journaliste : "A l’année prochaine monsieur, pour fêter mes 114 ans. Je vous attends."
Il y a une sorte de fascination devant le récit de l’absurdité humaine. 20 Minutes reprend un récit de la Provence et nous raconte qu’un couple de parisiens en villégiature à Carry le Rouet s’est rendu la semaine dernière à la gendarmerie. Ils voulaient déposer plainte pour nuisance sonore contre des cigales. Alors on va leur conseiller de lire quelques vers d’Yves Bonnefoy, on ne sait jamais, ça peut les aider : "Voici défait le chevalier de deuil./Comme il gardait une source, voici/Que je m'éveille et c'est par la grâce des arbres/Et dans le bruit des eaux, songe qui se poursuit."