Catherine Nay brosse le portrait de François Mitterand, à l'occasion de la commémoration des vingt ans de sa mort, qui a eu lieu hier à Jarnac.
WB : Hier, cela faisait 20 ans que François Mitterand est mort... François Hollande s'est rendu sur sa tombe à Jarnac... Il ne pouvait manquer cet anniversaire symbolique... Pas de discours... Juste une phrase dans le livre d'or : "en fidélité active"... Comme s'il était venu chercher les mannes du disparu... à 17 mois de la présidentielle...
CN : Et l'on n'en a pas fini avec les commémorations mitterandiennes. En octobre, ce sera le centenaire de sa naissance, avec une fête sous la pyramide du Louvre.
Donc, on va encore beaucoup parler de lui.
Mais si François Mitterand suscite autant d'intérêt, 20 ans après, c'est aussi parce que dans notre histoire, il incarne une ambition politique hors du commun : elle a duré 50 ans.
Onze fois ministre sous la IVème république, et à des postes de plus en plus importants : intérieur, justice, sans l'arrivée du Général de Gaulle en 58, il aurait sans doute réussi au poste convoité de président du Conseil. Il aurait fait carrière et l'on n'en parlerait plus aujourd'hui. Mais en se posant dès le départ comme l'opposant irréductible au Général, il est entré dans l'histoire et il a eu un destin. D'abord en le mettant en ballottage à l'élection présidentielle de 65 - et ce, six ans après l'affaire de l'Observatoire qui aurait dû ruiner sa carrière - il s'est ensuite auto-désigné contre-président, et bientôt le chef unique de la gauche - sans De Gaulle, il n'aurait jamais fait alliance avec le Parti communiste, son ennemi sous la IVème- avant de conquérir le PS, un chef-d'oeuvre d'habileté. Puisqu'il en devient le patron incontesté en 71 au Congrès d'Epinay, le jour même de son adhésion !
WB : Et en 81, il est devenu le premier socialiste élu Président au suffrage universel... Il se présentait pour la 3ème fois...
CN : On comprendre la liesse du peuple de gauche. Il l'amenait au pouvoir après 23 ans d'opposition. L'état de grâce fût éblouissant. Avec le concours de Jack Lang en grand prêtre de la flagornerie quotidienne.
De Gaulle est resté 11 ans au pouvoir, François Mitterrand 14 ans... Un record ! Lui, qui qualifiait le régime de dictature, lui qui voulait instituer le quinquennat, ou un septennat non reconductible pour les autres, s'est coulé dans les institutions gaullistes, comme si elles avaient été fabriquées pour lui. Et les 4 premières années de son mandat, son appétit était insatiable, il s'occupait de tout, décidait de tout, seul maître après Dieu.
WB : Que peut-on retenir de ses deux septennats ?
CN : Du premier ? La générosité socialiste est sans limite. On ressort les recettes de 1936, mais puissance 10. On ouvre toutes les vannes de la dépense... SMIC, pensions, allocations diverses, retraite à 60 ans, 39 heures payées 40, nationalisations dont celui de tout le système bancaire.
Mais l'économie n'a pas de coeur. Deux ans plus tard, les chiffres sont tous mauvais : Le chômage s'envole et l'endettement avec l'endettement, les déficits se creusent, le franc est dévalué deux fois.
Alors, on change de cap et de vocabulaire, Laurent Fabius remplace Pierre Mauroy. Il n'est plus question que de modernisation, de productivité, de suppression d'emplois publics, et de rigueur... oui, de rigueur.
Le socialisme ayant échoué, François Mitterand choisit l'Europe, son nouveau credo : L'Europe, c'est l'emploi, c'est la puissance.
Mais aux législatives de 86, la droite revient au pouvoir, Première cohabitation. Grâce au changement de scrutin, François Mitterand fait entrer 35 députés du Front National à l'Assemblée... Une épine dans le flanc du gouvernement Chirac.
WB : Et en 88, il est réélu...
CN : Durant la cohabitation, il s'est métamorphosé en Président père de la Nation. Son programme pour être réélu ? : la France unie et le ni-ni, c'est à dire on ne bouge plus rien. Mais la maladie progresse : Il y a les affaires glauques, les placards, des cadavres. Et une couleur crépusculaire qui teinte l'Elysée. Cinq ans plus tard, les Français lui imposent une deuxième cohabitation. Vu son état il aurait pu démissionner, mais à Edouard Balladur, le Premier Ministre, il confie : "Je ne leur ferai pas cadeau d'une seule heure.Pplutôt mourir en scène"
WB : Que reste-t-il de François Mitterand ?
CN : Un personnage hors du commun, avec ses ombres, ses lumières, ses double-vies... Auréolé d'une ample culture, de talents d'orateur hors-pair, et puis il en imposait.Il n'était pas grand, mais l'allure était impériale. Avec un beau visage, à l'ossature délicate et aux traits pincés. Mitterand se déplaçait en majesté. C'était un buste sur roulettes, jamais vulgaire, ni familier, ni ordinaire, ça n'était pas un Président "normal". Voilà ce qui nourrit la nostalgie aujourd'hui.