Selon plusieurs grands chefs étoilés, le camembert au lait cru pourrait disparaître. Ce n'est pas vraiment le cas.
Vrai Faux : appel retentissant pour "sauver" le Camembert.
Des chefs étoilés ont sonné le tocsin hier dans le journal Libération : le Camembert au lait cru risque de disparaître, selon eux, à cause d’un accord conclu en février entre ses fabricants : d’ici 2021, l'appellation protégée (AOP) Camembert de Normandie acceptera les fromages au lait pasteurisé. Une hérésie pour les signataires de la tribune, et pour le Camembert, une mort programmée.
Le camembert au lait cru peut-il disparaître ?
Pas vraiment. Et les producteurs de camembert traditionnel auxquels noud avons parlé sont abasourdis par le ton de cette tribune, "caricaturale" pour eux, car l'accord qu’ils ont conclu, s’il est loin d’être parfait, leur paraît positif. Depuis des années, l'industrie concurrence leur appellation (le "Camembert de Normandie"), en collant une bête étiquette sur ses fromages pasteurisés, "Fabriqué en Normandie", jouant de la confusion du consommateur pour avaler le marché, et comme la répression des fraudes, la Justice n’ont rien fait, ils ont conclu cet accord pour enterrer la hache de guerre, chacun faisant un pas vers l’autre. Demain, le Camembert pasteurisé pourra recevoir l'appellation (c’est une grosse concession), mais en échange l’industrie devra se plier à un cahier des charges : au moins 30% de vaches normandes dans ses troupeaux, qui pâtureront 6 mois, à l'extérieur, dans des prés clos de haies, pas d’OGM bien sûr : donc pour le consommateur, c’est une montée en gamme, pour les producteurs de lait cru, la garantie que leurs produits sera bien distingués (avec une étiquette "Au lait cru"), et pour les producteurs de lait, c’est un gros avantage, car ils espèrent pouvoir vendre 18 fois plus localement, et plus cher : la prime pour les fromages AOP atteint 30 à 200 euros pour 1000 litres, selon les régions. Le tout sera de bien négocier.
Mais la production au lait cru risque d'être noyée ?
On ne peut pas le prédire. Sur 45 fromages AOP en France, 18 autorisent les laits pasteurisés, certains depuis très longtemps, comme le Pont d'évêque, l'Epoisse, qui aurait disparu sans cela (on n’en produisait plus), le Saint-Nectaire aussi, depuis les années 60. Or qu'est-ce qu'on observe, pour le Saint-Nectaire : la part de production au lait cru ne cesse d’augmenter, elle dépasse aujourd’hui la production pasteurisée. La cohabitation peut donc bien se passer, cela dépend de l'organisation de chacun. Et la tendance globale, pour le lait cru, est positive : 75,4% de tous les fromages AOC sont fabriqués au lait cru aujourd’hui (contre 72,7% en 2010). Tant que la demande sera solide, il n’y a pas vraiment lieu de s’inquiéter.
Maintenant, il faut rester vigilants, parce que oui, les petits producteurs peinent à se maintenir face à l'industrie. Essentiellement à cause des normes délirantes d'hygiène qu'on leur impose, et que l'industrie gère mieux. Il faut comprendre ce que cela représente de mouler à la louche dans une petite structure : c'est un travail titanesque, ingrat, et les candidats ne se bousculent pas. Donc pour sauver le Camembert au lait cru, il faut en acheter, et s'interroger peut-être, sur notre schizophrénie : Aujourd’hui, on s’inquiète pour le lait cru, mais hier, on parlait de l'interdire à cause d'enfants intoxiqués par un reblochon. Pourtant ces contaminations sont rarissimes. Et nous y reviendrons : cela mérite une chronique.