On ne sait jamais quel impact on laissera mais nous cherchons tous à laisser une trace de notre passage dans ce monde. Et le véritable impact durable se trouve dans les rapports humains.
L'un des endroits privilégiés pour sentir le monde, pour écouter son murmure, ce sont les transports en commun. Vous connaissez ma passion pour ces errances du quotidien, et pour ce qui s’y vit et parfois, ce à quoi l’on survit aussi. Mais surtout les fabuleux terrains de travail thérapeutiques que représentent certaines situations de promiscuité. Cette femme qui cherche une place dans le bus, qui s’agace et qui s’impatiente, tout comme elle cherche une place dans le monde, à créer sa propre place dans sa vie. Ce Monsieur qui brandit violemment sa carte d’invalidité à la tête d’une adolescente, sans un mot, pour qu’elle libère le siège dans la foulée. La jeune fille le prend mal d’ailleurs. Et son absence de parole, de mot à lui, est à l’image de la peine abyssale qui le ronge. C’est sa blessure qui parle à ce moment-là, ou plutôt qui crie en silence.
S'ouvrir à ses blessures pour voir celles des autres
Quand on met les lunettes du développement personnel, quand on s’ouvre à ses propres blessures, celles des autres nous sautent aux yeux. Mais parce qu’on a osé aller regarder à l’intérieur, on est ensuite capable de reconnaître ces blessures-là chez l’autre. "D'entendre chez lui, ce qui n’il ne dit pas", de nous montrer plein de compassion. Et dans la cueillette de ces leçons de développement personnel du quotidien, l’un des terrains de jeu que j’affectionne tout particulièrement, ce sont les bistrots. Là aussi, les âmes se parlent, se racontent, et se dévoilent dans leur vérité.
Ils sont là, tous les deux, à côté de moi, un jeune couple, 18 ans chacun, en pleine révision de maths et la jeune fille a l’air complètement perdue dans ses cours. Elle confie à son ami n’avoir rien compris aux probabilités et se sent vraiment à la traîne. Elle est angoissée pour la fin de l’année, pour ses concours. C’est alors que le jeune homme prend la parole et sort une tirade mémorable : "Tu sais, moi je crois que tu pourrais aller voir la prof à la fin du cours, et oser lui dire que tu n’as pas compris. Je suis sûr qu’elle prendra un peu de temps pour t’expliquer. Franchement, elle est géniale cette prof. Elle est vraiment à l’écoute, elle nous respecte. J'ai vraiment l’impression qu’avec elle, je deviens plus intelligent. En fait, c’est simple, je crois que j’ai envie de lui ressembler." Cette chronique est un petit cadeau à tous les professeurs qui ont suscité "l’envie d’aller plus loin" chez les élèves que nous étions, qui ont pris ce mot au pied de la lettre, avec l’envie de "nous élever". C’était tellement beau d’entendre ce jeune homme prononcer toutes ces paroles au sujet de sa prof, que j’ai assumé pleinement le fait que je les écoutais, de manière vaguement déguisée, le nez rivé sur mon téléphone à côté d’eux. J'ai levé la tête, et nous nous sommes souri tant son discours m’avait mis en joie !
L'impact laissé en conscience et l'impact laissé en inconscience
Oui, on ne sait jamais quel impact on laissera. Et pourtant, c’est ce qu’on cherche tous au fond, laisser une empreinte, une trace de notre passage dans ce monde. C'est d’ailleurs l’une des motivations principales pour tous ceux qui choisissent de faire des enfants ou d’en accueillir. Certains disent que l’art est durable, que les tableaux, les livres, eux, nous survivent. Il y a l’impact que l’on laisse en conscience et celui que l’on laisse en totale inconscience. Chacun, nous avons notre part de responsabilité dans ces mètres cubes de bidons, de papiers, de bouteilles ajoutés à ce "7ème continent de plastique", à cette plaque immense de déchets évoluant dans le nord de l'océan Pacifique, et qui fait, je le rappelle, six fois la taille de la France.
Je me souviens de cette prof de maths, qui m’avait retenue à la fin d’un cours, à l’adolescence, pour me dire qu’elle voyait bien que ça n’allait pas. Et elle ne me parlait pas de mes résultats dans sa matière mais de ce qu’elle percevait de l’adolescente que j’étais. Elle voulait me faire parler. Ce fut essentiel pour moi de voir que quelqu'un se souciait de ce qui m’arrivait, de ce que je traversais. Dans les rapports humains, il est là le véritable impact durable. Dans la manière dont vous vous sentez, dont ils vous font vous sentir, au contact des gens, dans ce regard qu’ils posent sur vous. Et vous, quel impact humain, souhaitez-vous laisser au monde ?