Chaque samedi et dimanche, François Clauss se penche sur une actualité de la semaine écoulée. Aujourd'hui, le Festival de Cannes.
"Clauss toujours". L'humeur de François Clauss, tous les samedis et dimanches matins à 8h55 sur Europe 1. Bonjour François.
Bonjour Wendy.
Je ne sais pas si c'est l'ombre trop embarrassante de cet anniversaire : 50 ans jour pour jour après les barricades. Je ne sais pas si c'est l'ombre trop encombrante d'un Jean-Luc Godard, 50 ans après avoir fait les 400 coups avec Truffaut sur la Croisette, interrompant le Festival et qui réapparaît ébouriffé sur un écran de smartphone. Je ne sais pas si ce sont les échos trop bruyants de cette France sans trains, sans partiels et sans avions.
Mais le constat est là, à défaut de pavés sur la plage du Carlton, ce Cannes 2018, à quelques heures de son épilogue, aura été plus drapeaux rouges que tapis rouges. Nous aurons vu des cheminots grévistes en smoking tentant vainement d'assaillir le Palais des Festivals. Nous aurons vu 82 femmes gravir les marches pour une illusoire égalité. Nous aurons vu des noirs tendre le poing. Nous aurons vu une actrice libanaise brandir une pancarte quand les enfants de Gaza tombaient sous les balles israéliennes. Nous aurons vu le sauveur des migrants de la Roya, condamnés par la justice française, gravir fièrement ces mêmes marches. Nous n'aurons vu d'un réalisateur russe et d'un réalisateur iranien embastillés dans leur pays qu'un portrait brandi.
Protégé dans sa bulle de paillettes de plus en plus fragile, ce Festival de Cannes 2018 aura été celui d'un monde qui bouge, d'un monde qui s'interroge, d'un monde qui doute, d'un monde qui se bat. Et les films eux-mêmes refléteront cette réalité. Vincent Lindon en guerre contre le capitalisme, Romain Duris, dans le film belge "Nos batailles", en syndicaliste brisé. Philippe Faucon dans "Amin", qui filme les travailleurs sénégalais de l'ombre. Enfants des rues de Beyrouth, enfants des rues de Moscou.
"Oui, c'est notre métier que de regarder la manière dont notre cité et notre monde fonctionnent", explique Stéphane Brizé, le réalisateur de "En guerre". "Et la plupart des artistes ne s'y retrouvent pas dans ce monde", ajoute-t-il. Alors oui, à quelques heures du palmarès, comme tous les ans, ça grogne du côté de la Croisette. Pénéloppe Cruz, Javier Bardem, Travolta sur le retour, Starwars et son nouvel épisode, n'auront pas apporté le lot nécessaire de paillettes. Sélection trop lourde, sans relief, nous dit-on, comme chaque année, finalement. Car n'est-ce pas la vocation première du cinéma que de nous faire rêver, parfois pleurer, que de nous interroger ou de nous mettre en colère en embrassant le réel pour mieux le sublimer ?
Ce Festival de Cannes, si malin pour enrober chaque année dans les robes de soirée et le champagne des fêtes la dure réalité du monde. Ce Festival de Cannes sans qui Ken Loach, sans qui les frères Dardennes, sans qui les glorieux néo-réalistes italiens des années 40 n'auraient jamais existé. Oui, c'est cela Cannes, depuis 71 ans, ce dosage plus ou moins réussi selon les années de tapis rouges et de drapeaux rouges. Quel que soit le palmarès tout à l'heure, vive Cannes et vice le cinéma ! Même si 50 ans après, les pavés affleurent sous la plage du Carlton !