Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Un passage à la moulinette en règle raconté par le quotidien britannique le Telegraph. Celle de l’oeuvre d’Agatha Christie. Elle est en cours de republication au Royaume Uni, depuis 2020, par l’éditeur Harper Collins. Il a décidé de soumettre Miss Marple et Hercule Poirot à la lecture de“ sensitivity readers”. Qu’est ce que c’est ?
Ces “lecteurs de la sensibilité”, qu’on pourrait appeler aussi démineurs littéraires ou “biblio-hygiénistes “ sont supposés purger les livres du langage, des concepts potentiellement offensants pour lectorat contemporain. Pour ce qui est des ouvrages actuels, on est souvent dans le gommage préventif de toutes les aspérités pour que personne ne ressente le moindre inconfort en lisant. Quand un auteur créée un personnage qui souffre de discriminations que lui-même ne connaît pas, attention. Il peut pêcher par appropriation de la souffrance d’autrui. Il lui faut donc un garde chiourme sensible. Ca revient à dire que toute licence littéraire est désormais en liberté surveillée.
C’est vrai pour les livres à paraître, soit. Mais ça concerne aussi des oeuvres plus anciennes. Celle d’Agatha Christie, écrite entre 1920 et 1976 est potentiellement devenue intolérable pour une partie du lectorat, c’est du moins ce que pense l’éditeur.
Qu’est-ce qui a été réécrit dans l’oeuvre d’Agatha Christie ?
Souvenez-vous, en 2020, c’est le titre de l’ouvrage “ Dix petits Nègres” qui avait été révisé, devenu “ Il étaient dix”, pour, selon l’héritier d’Agatha Christie, “ ne blesser personne”. Là, on va bien au-delà.
Selon le Telegraph, de nombreux passages, des paragraphes entiers ont été expurgés ou plus radicalement supprimés, dans tous les livres. On a effacé les descriptions, les références ethniques. Pire, des personnages qui avaient le malheur, selon les “ sensitivity readers, d’être noires, juives ou gitanes.
Exemple, le terme “ oriental” a été biffé du texte de mort sur le Nil.
Comme toute référence au peuple Nubien, pourtant structurant dans l’histoire égyptienne. Dans cet ouvrage, qui date de 1937, il est question d’un serviteur noir décrit initialement comme souriant, quand il comprend qu’il doit taire un incident, n’est plus, dans la version “sensible”, ni noir, ni souriant, mais une personne qui acquiesce. Dans Le major parlait trop, qui date de 1964, la rdescription des “ belles dents blanches” du groom indien de l’hôtel a été purement et simplement effacées. Des exemples à la pelle, Agatha Christie ne reconnaîtrait pas ses propres enquêtes.
Pourquoi ça pose problème ?
Parce que cette vague de pudibonderie et d’intolérance littéraire qui pousse à la réécriture d’ouvrages célèbres gagne du terrain dans le monde anglo saxon. L’auteur pour enfants Roald Dahl, celui de James Bond, Sir Arthur Flemming, ont déjà pris leur petite fessée posthume par les ligues de vertu littéraires. Heureusement, la France est épargnée par sa législation sur le droit d’auteur, qui protège l’oeuvre.
Derrière le cache-sexe “ ça évite erreurs factuelles des clichés”, ou, “ ce sont de simples recommandations” ou “ c’est pour être gentil avec tout le monde”, ce qui est à l’oeuvre, c’est une réécriture de l’histoire littéraire et surtout l'affirmation que le lecteur d’aujourd’hui est dépourvu de tout recul par rapport à un texte. Il faut donc lui mâcher le travail en lui servant une purée bien lisse, sans morceaux, comme à un petit enfant.
Tous les lecteurs, tous ceux qui aiment les livres, les auteurs, devraient s’insurger. Les éditeurs pourraient facilement présenter des lectures critiques ou annotée des livres qui ont parfois mal vieilli. Quand ils réécrivent, ils font le choix de servir aux lecteurs de l’eau tiède à la place du thé. C’est en fait, pour le dire avec un langage qui ne passerait pas la réécriture, les prendre pour des cons.