Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Une des revendications des agriculteurs français est de vivre de leur travail et de défendre la souveraineté agricole. Comment se porte la ferme France ?
Pas bien. Elle a perdu 20% de ses effectifs en 10 ans, les agriculteurs sont moins de 500 000. La moitié d’entre eux partira à la retraite d’ici à 10 ans. La balance commerciale reste positive tirée par les exportations de céréales, de vins et spiritueux, de semences à l’international. Mais la France qui fut le plus grand producteur de denrées en Europe est déficitaire dans ses échanges avec ses partenaires européens.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Le constat est douloureux : Non seulement les produits français ont été remplacés par ceux d’autres pays européens dans le marché de l’UE, mais pour nombre de denrées du quotidien, la France n’est plus autosuffisante pour elle-même
On a des exemples ?
A la pelle. On importe aujourd’hui la moitié des poulets consommés en France. Plus de la moitié des fruits et des légumes. La baisse des surfaces de vergers et de maraîchage est constante depuis 20 ans. Le nombre de vaches a baissé d’un quart en trente ans. Le lait est menacé. La France était le premier producteur d’œufs en Europe il y a encore cinq ans. Elle doit désormais en importer massivement. Nous vivons une grande dépression agricole.
Comment est-ce qu’on explique ?
Nos coûts de production nous font plonger. A quoi c’est dû ? Au coût de notre bureaucratie folle. C’est bien, d’avoir des normes... Mais la France les a poussées à un tel niveau de tatillonnage qu’elle tue ses fermes. Le coût de notre travail est une punition autoinfligée. La main d'œuvre en France est 22 % plus chère par rapport à l’Allemagne. 35 % par rapport à l’Espagne et de 45 % par rapport aux Pays-Bas. On ne parle pas de pays du tiers monde. On parle de nos voisins européens. Résultat, leurs produits se vendent, nos fermes périclitent. Notre Etat obèse étouffe l’agriculture de taxes et de prélèvements sociaux.
Les agriculteurs accusent aussi les écologistes de saboter notre agriculture.
On ne peut pas leur donner tort. Les filières volaille ou porc, par exemple, ont des élevages très petits au regard de la moyenne européenne. Mais c’est encore trop pour l’activisme écolo. Dès qu’il y a un projet d’extension d’un poulailler, les normes environnementales sont si élevées, il y a tant de recours de riverains, d’ONG, que les agriculteurs renoncent. Les bâtiments des élevages de porcs ont 25 ans de moyenne d’âge, et ça, ça n’est pas normal.
Cette grande dépression va loin.
Oui, la destruction de valeur dans la filière agricole se traduit aussi par l’absence d’investissement de transformation. La France produit des pommes de terre, mais pas les chips. C’est la Belgique qui s’en charge. Le blé dur est transformé en pâtes en Italie, les elles reviennent après. La liste est interminable. La France a vécu une désindustrialisation, elle vit une désagricolisation. C’est une tragédie et un gâchis pour une grande nation agricole comme la nôtre. On ne veut plus produire ici avec nos excellents standards environnementaux, on importe ce qui détruit la nature ailleurs. Une opération perdant-perdant.