Pour survivre face aux chauves-souris, les papillons de nuit se sont dotés d'oreilles. Des parasites s'installent régulièrement dans leur conduit auditif tout en évitant tout risque de surdité, question de survie.
Lorsque l’on voit un prédateur chasser une proie, il est facile d’imaginer que la proie est "sans défense" et que ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne soit dévorée par le prédateur. Pourtant, la réalité est parfois bien plus complexe.
Il existe dans la nature un phénomène baptisé "coévolution", qui désigne l’interaction entre deux espèces (ou parfois plus), qui s’influencent mutuellement. Dans le cadre d’une relation proie/prédateur, la pression peut être si forte que la proie va développer des mécanismes de défense spécifiques à son prédateur, et le prédateur va évoluer de son côté pour contourner ces défenses. C’est une boucle infinie, une compétition où chacun des participants tente constamment de contourner les mécanismes de l’autre.
Si vous avez déjà lu "Alice de l’autre côté du miroir" de Lewis Carroll, vous êtes probablement familier avec un passage de l’histoire où Alice et la reine rouge se lancent dans une course effrénée. Malgré leur vitesse, Alice se rend rapidement compte que les arbres et les objets qui les entourent restent à la même place. Elle interroge alors la reine rouge qui lui répond "Ici, il faut courir de toute la vitesse de ses jambes pour simplement demeurer là où l’on est". C’est exactement le même principe entre la proie et le prédateur, les deux luttent sans cesse pour conserver la même position. C’est d’ailleurs pour cette raison que ce phénomène a été nommé "l’hypothèse de la reine rouge" par les biologistes.
Pour illustrer cette hypothèse, prenons l’exemple des papillons de nuit et des chauves-souris : Les chauve-souris insectivores produisent des ultrasons qui possèdent une fréquence comprise entre 10.000 et 150.000 hertz (pour comparaison, l’oreille humaine ne peut percevoir que les sons entre 20 et 20.000 hertz). Ces ultrasons leur permettent de se déplacer dans le noir le plus total grâce aux échos qui sont renvoyés par l’environnement immédiat, c’est ce qu’on appelle l’écholocalisation. Ce système est si précis que les chauve-souris seraient même capables de percevoir les textures : très pratique pour faire la différence entre les feuilles d’un arbres et les petits poils sur le corps des papillons de nuit dont elles se nourrissent !
On pourrait croire que ces derniers sont totalement vulnérables face à cette technique si performante, et pourtant ! Certains papillons de nuit ont évolué de manière à entendre les ultrasons que les chauves-souris produisent. Ils peuvent donc anticiper leurs attaques et éviter de se retrouver sur la trajectoire de ces redoutables prédateurs ! Ce n’est pas tout, puisqu’ils sont même capables de produire leurs propres ultrasons pour interférer avec ceux des chauve-souris ! C’est donc une course à l’armement évolutif entre la proie et le prédateur, qui les pousse constamment à devenir plus performant pour survivre.
D’autres êtres vivants ont bien compris ce principe, c’est le cas d’un petit arachnide qui pond ses œufs dans les tympans des papillons de nuit. Si les deux tympans sont colonisés, le papillon devient incapable d’entendre les ultrasons des chauve-souris et c’est la mort assurée, pour lui comme pour le parasite ! Ce dernier a donc développé une astuce : il ne pond ses œufs que dans un seul tympan, et laisse une trace chimique pour signaler à ses camarades que l’hôte est déjà occupé. Une sorte de bienveillance particulièrement égoïste, qui nous montre à quel point le vivant peut être plein de ressource !