Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.
"À bientôt 60 ans, jamais je n’aurai vécu cinq, six, sept, voire huit semaines d’affilée 24h sur 24 avec pour seule compagnie celle de mes parents.
Papa depuis un peu plus de 30 ans de quatre enfants, jamais je n’avais eu l’opportunité de vivre cinq, six, sept, voire huit complètes nuit et jour auprès de l’un de mes trois fils, je le vis désormais avec ma fille, elle comme moi appartiendront à "la génération Covid".
Ce qu’il en restera… difficile à mesurer mais je reste intimement persuadé qu’à un degré ou un autre, nous en resterons profondément marqués.
À l’âge de sept ans, je fus confiné pendant presqu’un mois avec une ribambelle d’enfants, dans une ferme au milieu de la Sologne, c’était en mai 1968, l’école était fermée.
Je n’ai jamais oublié cette période "extra-ordinaire" où nous mangions quotidiennement les deux productions de la ferme, les asperges et les fraises. Pas un seul mois de mai depuis où je ne peux résister à la consommation de ces deux merveilles gustatives issues des terres sableuses solognotes.
Dans la pièce attenante, les grands écoutaient en boucle la radio, pour vivre à distance ce qui se jouait là-bas… très loin dans la capitale des barricades en feu. Jamais je n’ai oublié ces échos, ce son, je deviendrai quelques années plus tard, journaliste à la radio.
Que restera-t-il demain de cet étrange mot totalement obsolète et absent de notre vocabulaire hier que nous utilisons des centaines de fois chaque jour : confinement ?
Sur l’antenne d’Europe 1 ce matin, le grand sociologue de la famille François de Singly racontait comment ce confinement révélait de manière éclatante et parfois conflictuelle ce que furent les grandes mutations du lien familial depuis la révolution de mai 68. La coolitude assumée des parents déléguant l’autorité à l’institution scolaire, se retrouvant démunis, contraints de devenir dépositaires de l’éducation et de l’autorité, la génération des papas allongés sur le tapis à regarder un dvd de Tchoupi ou à jouer au lego, contraints de se remettre debout pour apprendre les tables de multiplications. Qu’en restera-t-il ? Trop tôt pour y répondre...
Ceux qui passèrent leur bac en juin 1968 subirent l’ironie mordante de leurs ainés ou de leurs cadets, génération du bac bradé. Ceux qui passeront leur bac en 2020 resteront à jamais la génération de l’enseignement à distance, de la douleur de l’enfermement, bouillonnant d’hormones, mais confinés. Ils en sortiront peut-être plus forts, différents c’est sûr.
De cette génération Covid, comment ne pas avoir une pensée cette pour ceux désormais qualifiés de manière si condescendante "d’ainés". Ces 790.000 résidents en Ehpad, ces deux millions de Français âgés de plus de 85 ans qui ont forcément ressenti l’abandon, au bord de la route de la communauté sociale. Certains déjà, selon des témoignages émanant des Ehpad, auraient préféré d’eux-mêmes quitter le chemin, "à quoi bon ?", pour les autres, de ces ainés ostracisés au nom du bien être sanitaire, qu’en restera-t-il, de ce confinement ?
Enfant, je me moquais de mon grand-père puis de mon père en entendant la fameuse maxime "toi tu n’as pas connu la guerre". Sans aucune volonté de ma part de faire le moindre parallèle déplacé, et toute proportion égale par ailleurs, j’imagine ma fille et mes fils demain disant à leurs propres enfants : "Toi, tu n’as pas connu le confinement". Cette étrange parenthèse, si brièvement enchantée et si douloureuse, miroir parfois de nos joies, si souvent de nos peines."