Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.
C’est un chiffre au hasard d’une revue de presse qui a attiré mon attention cette semaine : 12%. 12% des voitures vendues par le plus grand constructeur français, Renault, sont aujourd’hui fabriquées à Tanger, au Maroc. Si on extrapole un peu, au terme de ce week-end dégoulinant d’offres commerciales, si vous avez acheté une Renault ou une Dacia chez un concessionnaire français, il y a de grandes chances qu’elle ait été fabriquée au Royaume Chérifien.
J’ouvre au passage une petite parenthèse : cette voiture française, fabriquée au Maroc, équipée de pièces détachées pratiquement toutes fabriquées en Espagne, vendue sur notre sol, vient plomber notre balance commerciale. C’est une importation et elle ne rapporte pas 1 centime à Bercy puisque l’argent file directement aux Pays Bas, siège du groupe. Parenthèse refermée.
Retournement de l'histoire
Mais au-delà des méandres opaques de ce commerce mondial contemporain, comment ne pas être frappé, par cet étonnant retournement de l’histoire. Souvenez-vous le temps des R4, des Renault 16, Boulogne Billancourt, mais aussi des Simca 1000 ou 1301 à Nanterre, des DS et des 2CV Citroën, fabriquées exactement là où nous nous trouvons, dans les locaux d’Europe 1 sur les quais de Seine.
Toutes ces voitures étaient alors en grande partie fabriquées par des ouvriers - on les appelait les OS - venus de Tanger, d’Oujda, d’Agadir, ou de Tizi Ouzou. A cette époque où Messieurs Renault, Peugeot et autres, avaient tant besoin de ces mains venus d’ailleurs pour construire leur richesse et notre bonheur collectif.
Comment ne pas se projeter un demi-siècle plus tard, quand un fils ou un petit-fils d’immigré achète dans une concession de Boulogne ou de Nanterre cette voiture fabriquée à Tanger dans le pays où son père et son grand-père sont nés et qu’ils ont, souvent dans la douleur, été contraints de quitter et que lui ne connait qu’à peine ?
Splendeur et misère du néo-capitalisme mondialisé
Impossible également de ne pas imaginer cet autres copié-collé. D'un côté, l’usine Renault de Tanger, bijou industriel contemporain, première usine à zéro émission de CO2, l’une des plus performantes du groupe, qui produit une voiture par minute, 7000 salariés, autant qu’à Boulogne Billancourt au milieu des années 60. De l'autre, la friche industrielle qu’a visitée cette semaine Emmanuel Macron, dans sa bonne ville d’Amiens, ces ateliers de Whirpool qu’il voulait sauver, devenus quasi déserts...
Faudrait-il un jour que les ouvriers français du Nord, désormais sans travail, souvent fils et petits-fils d’immigrés venus de l’Est reprennent la route de la Pologne, pour retrouver leur travail chez Whirlpool ? Faudrait-il aussi que les fils et petits-fils d’immigrés maghrébins soient, eux aussi, contraint demain de retraverser la méditerranée pour les mêmes raisons ?
Mais comment ne pas voir aussi dans cette étonnante inversion des routes et des flux de ce néo-capitalisme mondialisé, une image plus colorée et beaucoup plus positive. Comme, par exemple, celle que nous renvoie le Portugal exsangue hier, rayonnant aujourd’hui, qui envoya en France 700.000 travailleurs dans les années 60, qui en perdit de nouveau 300.000 au lendemain de la crise de 2011, et qui est devenu 8 ans plus tard, boosté par une politique incitative et assumée, le plus grand pays d’émigration d’Europe où retraités et étudiants venus de France et d’ailleurs s’y installent et retrouvent une énergie perdue sur leurs propre terres.
Et si notre pays empruntait un jour le même chemin ?
Bercy, mardi dernier, en toute discrétion, tant le sujet semble explosif, dans cette France crispée qui a peur de tout et même de son histoire, Bercy a décidé de relancer cette semaine la concertation avec les partenaires sociaux pour faciliter l’immigration professionnelle en France. La France délivre chaque année 33.000 titres de séjour pour immigration professionnelle et veut simplifier les procédures et établir une liste de métiers dans le besoin parce que "oui", en France aussi, des ingénieurs aux saisonniers en passant par les médecins, on a encore besoin des autres.
La seule difficulté, et le message s’adresse à ceux qui ces dernières heures voudraient transformer le Black Friday en French Friday, il est bel et bien de plus en plus difficile de s’y retrouver dans les méandres tortueux du made in France quand on découvre que nos bonnes vielles Renault n’ont plus grand-chose à voir avec la France.
A moins, à moins, et vous me pardonnerez cette facilité, que l’on s’offre une autre forme de Renaud ! Un Mistral gagnant ! Oui, c’est facile mais comment résister à celui qui a écrit cette magnifique chanson sacrée "chanson préférée des français", devant Ne me quitte pas de Jacques Brel, qui a su freiner ses démons et retrouver l’autoroute du succès qui nous revient trois ans après avec un nouveau disque. Ça c’est du 100 % made in France garanti ! On pourra même l’écouter dans sa Dacia made in Maroc sur la route de Tanger pour les prochaines vacances.