Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.
Bonjour Hervé Gattegno. Ce matin, bien sûr, vous vous intéressez aux préparatifs du remaniement gouvernemental qui s’annonce, et particulièrement aux relations entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe. On entend beaucoup dire, ces jours-ci, que c’est la revanche du Premier ministre. Est-ce que c’est votre avis ?
Ce serait excessif de parler de revanche. Je dirais plutôt qu’Edouard Philippe sort objectivement renforcé de cette séquence – mais qu’il ne se renforce pas au détriment d’Emmanuel Macron. Ce qui est vrai, c’est que Gérard Collomb était un proche d’Emmanuel Macron et qu’il exaspérait Edouard Philippe – donc clairement, son départ est un soulagement pour le Premier ministre. En plus, on voit que c’est à Edouard Philippe que le Président a choisi de confier le ministère de l’Intérieur. C’est provisoire mais symboliquement, c’est une marque de confiance qui installe Edouard Philippe dans un rôle d’autorité. Et puis comme on voit aussi qu’il participe activement à la réflexion sur le remaniement, ça donne le sentiment que son influence compte, alors qu’on sait bien que ce remaniement, ce n’était pas le choix d’Emmanuel Macron. Disons que pour le Président c’est un remaniement subi, alors que pour Edouard Philippe, c’est un remaniement souhaité.
Est-ce que, d’après vous, ça met en lumière des tensions entre le Président et le Premier ministre ?
La rivalité non dite entre les deux hommes qui dirigent l’Etat, c’est une figure archi-classique de la 5ème République. En 60 ans, puisqu’on vient de fêter cette semaine l’anniversaire de la Constitution, on a connu des couples exécutifs qui étaient toujours au bord du divorce – c’est-à-dire des mariages de raison qui tournaient à la scène de ménage permanente. Giscard-Chirac, Mitterrand-Rocard, Sarkozy-Fillon… Et je ne parle pas, bien sûr, des périodes de cohabitation, qui installent l’antagonisme au sommet de l’Etat. Avec le duo Macron-Philippe, les commentateurs sont frustrés : tout va bien entre eux. Alors c’est vrai qu’Edouard Philippe a regretté qu’Emmanuel Macron ne l’ait pas vraiment soutenu quand il s’est opposé à plusieurs de ses ministres sur l’affaire de la limitation de vitesse à 80 km/h. Mais on est très loin de la tension entre eux. Ce sont deux hommes qui s’apprécient et qui sont d’accord sur la ligne politique. Autrement dit ils ont des intentions communes, mais il n’y a pas de vraie tension entre eux.
On a quand-même l’habitude de dire qu’un Premier ministre finit forcément par penser à l’élection présidentielle. Vous croyez que ce n’est pas le cas d’Edouard Philippe ?
J’en suis convaincu. Et c’est bien ce qui explique qu’il n’y ait pas de rivalité entre lui et Emmanuel Macron. Même le fait qu’il soit plus populaire que le Président (en ce moment, on devrait dire moins impopulaire), même ça ne change pas leur relation puisqu’il est clair qu’Edouard Philippe n’envisage pas de s’opposer à Emmanuel Macron. Observez d’ailleurs qu’il n’en a pas les moyens – et qu’il a choisi d’être dans cette situation. Il n’a pas fondé son propre parti, il n’a pas voulu adhérer à LREM, le parti des macronistes, alors qu’il aurait pu même en prendre la tête. Donc il n’a pas de poids politique propre, en tout cas pour l’instant. Ça veut dire qu’il a choisi comme destin d’aider Emmanuel Macron le mieux possible, et que s’ils échouent, c’est lui qui en paiera le prix. En attendant, dès que le remaniement sera fait, il va solliciter un vote de confiance des députés. Et comme il va évidemment l’obtenir, ça va l’installer comme le véritable chef de la majorité – ce qui n’était pas vraiment le cas jusqu’ici. Ça, pour Edouard Philippe, c’est une promotion. Et ça le renforcera pour faire la promotion d’Emmanuel Macron.