Le chef-d’œuvre de l’été 1943 : l’histoire des "Enfants du paradis"

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Pendant l'été, chaque week-end, Laure Dautriche vous raconte l'histoire d'un chef-d'œuvre qui a été créé pendant un été. Ce dimanche, l'histoire du film Les Enfants du paradis.

Vous nous parlez aujourd'hui d'un film qui est un chef-d'oeuvre, Les enfants du Paradis, avec un duo de génie : Jacques Prévert au scénario et Marcel Carné à la réalisation, et qui a été tourné pendant l'été 1943.

Oui, en plein mois d'août 1943, la France est occupée et la production artistique soumise à la censure du régime de Vichy. Quatre amis se réunissent pour écrire un film dans le plus grand secret. Marcel Carné à la réalisation, Jacques Prévert au scénario, Alexandre Trauner (Traunère) pour les décors et Joseph Kosma pour la musique.

Pendant le tournage, les acteurs sont terrés dans une maison, située sur un nid d'aigle dans l'arrière-pays niçois pour pouvoir surveiller qui arrive. Avec une porte derrière qui donne sur le maquis afin de s'échapper rapidement dans le cas où il y aurait une descente d'Allemands.

C'est ce que détaille Alexandre Brasseur, le petit-fils de l'acteur Claude Brasseur, qui tient alors l'un des rôles principaux.

Au départ, le tournage devait durer quatre mois, finalement il a fallu presque deux ans. Le tournage est interrompu une quinzaine de fois. Vichy et les nazis interdisent de tourner de nuit. La pellicule est rationnée. Il y a eu aussi beaucoup d’interruptions liées à la guerre, aux pénuries d’électricité, à toutes les restrictions.

Quelques semaines après le début du tournage en août 43, on arrête tout parce que la production redoute que la Côte d'Azur devienne un champ de bataille, suite au débarquement des Anglo-Américains dans le sud de l'Italie.

Jacques Prévert et Marcel Carné se sont battus pour que le film se fasse.

Que ce film ait pu être tourné dans de telles conditions est tout simplement un miracle. Si le cinéma français continue d'exister pendant l'Occupation, c'est aussi parce qu'il y a eu une vraie réaction artistique. Face au projet de Goebbels, le ministre nazi de la Propagande, de mettre l’industrie du cinéma français au service de films allemands. Les réalisateurs français ont décidé que cela ne se passerait pas comme ça.

Pour Les Enfants du paradis, il faut tout de même braver la censure. Depuis la loi du 6 juin 1942, "les Juifs ne peuvent tenir un emploi artistique dans des représentations théâtrales, dans des films cinématographiques ou dans des spectacles quelconques". Carné ne l’entend pas de cette oreille, la musique sera de Joseph Kosma (caché chez Prévert) et les décors d’Alexandre Trauner.

Le film est rempli des dialogues ciselés de Jacques Prévert, que les cinéphiles connaissent par coeur, comme cette scène entre Pierre Brasseur qui joue dans le film le rôle d'un acteur, Frédérick Lemaître, et qui aborde dans la rue la belle Garance, jouée par Arletty.

Le film montre d'ailleurs que cela a été tourné dans des conditions particulières.

Oui, avant le premier plan, on lit au générique, "Dans la clandestinité". Et pourtant, ils vont alors tourner à Nice dans des conditions de blockbuster : 1.800 figurants, 67.000 heures de travail pour le décor.

Et puis, il y a une équipe étonnante qui travaille sur le film : des techniciens qui veulent échapper au STO (Service du travail obligaroire, mise en place par l'occupant allemand) en rejoignant et en se réfugiant dans le maquis. Des juifs menacés qui travaillent dans la clandestinité. Des résistants qui se cachent en attendant mieux.

Et quelques partisans de l'Allemagne nazie, parce qu'il y en avait aussi. En tout cas, au générique du début du film, il n'y a guère que Robert de Vigan qui affichent ses opinions pro-collaborationniste.

Le film est projeté à Paris, en mars 1945, recevant un triomphe. Il sort en salles à seulement deux mois de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un grand film romantique, une mise en abîme, un film de cinéma qui parle de théâtre, qui parle de la vie.

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