Pendant l'été, chaque week-end, Laure Dautriche vous raconte l'histoire d'un chef-d'œuvre qui a été créé pendant un été. Ce dimanche, "Le Boléro" de Ravel
"Les œuvres de l'été", avec Laure Dautriche. Laure, vous nous parlez aujourd'hui d'une œuvre universellement connue… Le Boléro de Ravel, composé pendant l'été 1928. L'une des pièces les plus célèbres de tout le répertoire musical.
Oui, qui n'a pas été envoûté dès la première écoute du Boléro de Ravel ? Même si l'oeuvre est aujourd'hui souvent jouée en version de concert, A l'origine, c'est une musique de ballet ! C’est l’une des amies de Ravel, une ancienne danseuse étoile des Ballets Russes qui demande au compositeur d'écrire une musique sur laquelle elle pourrait danser. Elle aimerait un ballet dans le goût espagnol. Ravel pense à cette danse à trois temps, venue de l'Espagne : le Boléro. Pourquoi ne pas inventer une musique de ballet sur un motif simple, qui serait le ferment d’une nouvelle expérience ? Ravel cherche une idée. Alors qu’il séjourne sur la côte Basque en ce mois de juin 1928, un matin de juillet, il tapote une mélodie au piano. Et choisit surtout comme socle une cellule rythmique. C'est son point de départ pour composer, la contrainte qu'il s'est fixée. Le Boléro vient de naître.
La réussite de la pièce repose sur la répétition obsédante de 16 mesures. Reprise par les instruments successifs. Il remplit ainsi un vide initial avec tout l’orchestre progressivement. Ravel répète ces quelques notes sans cesse, sans changer la mélodie, mais en faisant monter graduellement l’orchestre. Ravel aurait dit alors à un interlocuteur : "Avec un peu de chance, ça marchera".
Ravel ici casse clairement les cadres de la musique, ça ne ressemble en rien à ce qu'on entendait avant.
Oui, complètement, et cette période de l'entre deux guerres, c'est l'occasion d'expérimenter quelque chose de radicalement nouveau. A la même époque, en Peinture, certains manifestent déjà une volonté de faire table-rase, de peindre de façon abstraite. Ravel est séduit par le concept, Cherche-t-il à le porter en musique ? Sans doute, oui. Il s'interdit donc de varier une longue mélodie. Il n'y a pas d'accélération, pas de changement de rythme. Juste une augmentation progressive de la masse instrumentale. C'est une page grandiose écrite avec le matériau le plus économe possible.
La mélodie paraît simple et pourtant, essayez de chanter le Boléro ou de siffler quelques notes ? Pas si facile... Les variations sont subtiles. Jamais la monotonie ne s’installe. Pendant 17 minutes, la caisse claire joue le même rythme : 4.000 coups de baguette. Avec le crescendo de l’orchestre. Il commence seulement avec la caisse claire et la flûte et augmente la masse instrumentale. Avec une mélodie qui a quelque chose d'hypnotique. En entendant l'oeuvre terminée, une auditrice aurait crié: "Au fou !" Ravel a alors répondu : "Celle-là, elle a compris". Le Boléro est devenu un tube qui n'a cessé d'inspirer le monde des arts depuis sa création. Cinéastes, chorégraphes ou musiciens ont utilisé le Boléro. Les humoristes Pierre Dac et Francis Blanche ont même fait une version vocale du Boléro en 1959.
Et en tout cas, le succès du Boléro est immédiat juste après l'été 1928.
Oui, l'oeuvre se voulait expérimentale et elle devient un succès ! La partition est tellement bien écrite, pour tous les instruments que les orchestres s'en emparent ! Le succès ne fait que commencer. Tous les orchestres au 20e siècle vont la jouer. Vers la fin de sa vie, Ravel expliquait : "Je n'ai écrit qu'un seul chef-d'œuvre, le Bolero, malheureusement il ne contient pas de musique". Quelques années plus tard, peu de temps avant de mourir, Ravel qui est alors au Maroc, peut toutefois mesurer l'étendue de sa gloire : au milieu du brouhaha des rues, il entend alors un télégraphiste siffler son Boléro.