Le camping est le premier mode d'hébergement pour les vacances en France, avec son lot d’histoires...
De l'eau qui goûte le long d'une couture à un trou quelque part dans la toile, une sardine tordue qui se défait tout le temps, un moustique qui grésille non-stop, un couple qui fornique dans la nuit, les effluves croisées du Benco et du saucisson à l'ail le matin, celles de la citronnelle et du cassoulet en boîte le soir. Celui qui n'a jamais connu ça n'a jamais mis les pieds dans un vrai camping. On laissera dans un coin les bobos des cabanes, les perchés dans les arbres, les clubbeurs sous des tipis chics et des yourtes moelleuses, les culs nus, Robinson solitaires et tous les bivouaqueurs des sommets : une poignée de marginaux à côté des millions de gens qui se mélangent chaque année dans les quelques 9000 campings répertoriés dans notre pays. La France, le deuxième plus grand camping du monde après les Etats-Unis.
Des milliers d'hectares de champs, de bois et de bords de mer aménagés se partagent trois espèces distinctes de campeurs : les tentistes, les caravaniers et les camping-caristes. Les premiers, les tentistes, les plus nombreux, les vrais mordus de la tente, version gonflage, auto-déployante ou à montage complexe, des puristes de la tente qui gardent souvent une certaine distance avec ceux d'en face, les caravaniers. Les motorisés, les pantouflards du camping avec leur petit chez eux trimbalés à l'arrière, à l'ancienne, la boule sous le pare-choc, les cubis de rosé pas chers dans le coffre, et leur zig-zag qui fiche la trouille à ceux qui roulent derrière. Près d'un million de caravanes sont toujours immatriculées en France. Et puis, la dernière catégorie : les camping-caristes avec leur vanne tout équipé, modèle intégrale ou profilé, couchettes multiples télécommandées, sanibroyeur à portée de derrière, clim dernier cri. 350 000 heureux propriétaires en France souvent considérés comme les grands bourgeois du camping. Différentes tribus avec leurs rites, leurs emplacements numérotés comme des marques de territoires, sans oublier leurs privilèges selon les prestations et le nombre d'étoiles des lieux. Au-delà des différences, un seul et même univers commun : le camping.
Le camping, une disposition quasi érotique à rechercher la compagnie des autres. Les autres qui sont, juste à côté, des gens qu'on ne connaît pas encore mais avec lesquels il va forcément se passer quelque chose. Quelques mots au début, le sourire, les premiers échanges - une lampe de poche, un tire-bouchon, du shampoing passe de main en main. L'expérience du partage, la solidarité sans prise de tête, la vie simplifiée pour tout le monde, homogénéisée au milieu des pommes de pin et des herbes folles ; les différences culturelles et sociales dépassées à la pétanque, transcendées au pastis, l'ouvrier, le commerçant et le prof autour du même barbecue ; la petite Bretonne flirtant avec le jeune immigré marocain ; le camping des amours, amours interdites ou amours tout court ; les premiers baisers, les dépucelages au clair de lune.
On oubliera les bruits et les ombres qui font peur aux enfants dans la nuit, on oubliera les piqûres de bestioles, les mycoses, les panaris, les torticolis et les brûlures de barbecue. On fermera les yeux sur les restes de savon fossilisés sur les lavabos, et les cheveux qui bouchonnent les siphons de douches. On dégagera les emmerdeurs, les vicelards, et tous les Dupont Lajoie qui rôdent derrière les caravanes. On retiendra le reste avec tous ces clichés, ces caricatures, les Patrick Chirac qui font rire tout le monde, les glacières débordantes de bière fraîche, les parties de belote qui ne finissent jamais, les mots incompréhensibles des vieilles campeuses hollandaises, le ressac de la mer au loin, le gargouillis d'un ruisseau tout près, les stridulations des grillons, les regards qui s’enlacent et sans doute le plus important : la liberté heureuse des enfants.
Texte de Marc Messier