Le sculpteur sénégalais Ousmane Sow disparu jeudi à 81 ans était l'un des plus grand artistes contemporains.
Des squelettes de ferraille, de la boue comme de la chair. Des viscères, des muscles faits de paille, de jutes de sable et de colle, d'autres matières imprévues, multiples et mélangées. Des compositions complexes et mystérieuse, le secret d'Ousmane Sow. Ces statues vivantes, leur humanité affolante, la mélancolie dans leur regard perdu... Des yeux parfois exorbités, des bouches souvent ouvertes, toujours silencieuses. Des corps exagérément grands, quelques fois enlacés, invariablement tendus dans la souffrance ou le questionnement, tordus dans le désir ou dans la mort. De la puissance, de la tendresse, les marques de fabrique d'un créateur qui sculptait la douleur des hommes.
Jamais besoin de modèle, la mémoire des formes. Ousmane Sow avait été kiné dans sa première vie. Les années 70, l'époque où la nuit venue, il transformait son cabinet parisien en atelier. Des bandelettes, du plâtre, de l'argile, rien encore de monumental. Seulement des figurines, des petites statues qu'il réduisait en poussière une fois terminées. Plus de traces de cette première vie, si ce n'est la remarquable connaissance de l'anatomie humaine. Capable avouait-il, de reconstituer un corps les yeux bandés. Le moindre petit os, le moindre petit nerf... 25 années de kiné qui auront permis à Ousmane Sow de se libérer du corps parfait, ses mots à lui.
Ses corps surdimensionnés, ses premiers géants, des Noubas, ces guerriers venus du Soudan. Des titans de 2m50 aux musculatures improbables. Les Noubas, les premiers hommes d'Ousmane Sow. Des malabars, ouvrant au fil des années la voie à d'autres colosses. Les Massaï, les Zoulous, les Peuls et les Indiens. Pas les mêmes terres mais toujours la même histoire. Des hommes opprimés par d'autres, des magnifiques luttant pour leur liberté. La dernière prière de Sitting Bull, une tunique bleue à terre, un corps à corps au couteau, une scène de scalp, des chevaux agonisant sans un hennissement. La bataille de Little Bighorn au bord de la Seine, 3 millions de personnes sur le pont des Arts pour assister à la dernière grande victoire des Indiens d'Amérique. Custer est mort, le dernier clairon a sonné la retraite. Un véritable saisissement collectif, un retentissement mondial. Nous sommes en 1999, Ousmane Sow a 64 ans.
Le pont des Arts comme la passerelle vers l'Académie qui le distinguera 14 ans plus tard avec l'épée et l'habit. Du sur-mesure XXL pour cet athlète de près de 2 mètres. Le grand saut sous la coupole, 30 ans après Senghor, le prince de la poésie, le premier africain à siéger à l'Académie française. Le quai Conti, loin du Sénégal, le pays d'Ousmane. Dakar, sa ville, là où il est né en 1935. Une riche famille Peul, des aristocrates. Une grand-mère qui fumait la pipe, vivait avec un boa et montait à cheval avec les hommes de la tribu. La mère du bébé a 22 ans. Ousmane est son troisième enfant et le sixième de son père, un transporteur prospère, un musulman aussi pieu qu'éclairé. Revenu des tranchées françaises avec la croix de guerre, un tirailleur sénégalais qui n'évoquera jamais sa guerre, ni ses décorations.
Ousmane aura une enfance vissée, studieuse à l'école française puis à l'école coranique. Chateaubriand et les versets du Coran, la mer sur le chemin de l'école. Les baignades pleines d'écume, de rires et ses premières sculptures, primitives et secrètes. L'expérience des formes, des chevaux, des bateaux taillés dans des blocs de calcaire ramassés sur la plage. La mort de son père sonnera le glas de sa jeunesse africaine. Ousmane a 21 ans, la fin des années 50, il partira pour la France. Un cargo pour Marseille, des semaines de mer, son premier croissant à Paris. Le temps de la bohème, des petits boulots, de ses études de kiné et de sa première femme.
Pendant 25 ans, Ousmane Sow soignera les corps le jour, en auscultera d'autres en douce, la nuit. 25 années de tâtonnements, d'expérimentations, avant de lâcher ses patients et de se lancer dans son grand oeuvre. Son musée des Grands Hommes. Celui qui réunissait ses guerriers, son père mais aussi Hugo, De Gaulle, Mandela, Ali et Luther King. Des géants qui, répétait-il, lui avaient permis de ne pas désespérer du genre humain. Ousmane Sow était un alchimiste. Un sculpteur qui savait transformer la matière en lumière pour nous éclairer un tout petit peu.