Rama IX, le masque sévère de la Thaïlande

  • Copié

Portrait du roi de Thaïlande, un monarque vénéré comme un demi-dieu, dont le décès provoque une tristesse immense parmi la population.

Un Portrait de lui, hiératique, au milieu d’un carrefour. Un autre, trônant à l’entrée d’un monastère. Son visage tendu sur la façade d’un gratte-ciel. Scotché sur le guidon d’un Tchouk-tchouk. Ses traits tirés dans la vitrine d’un restaurant. Son air sévère accroché au mur d’un bordel ou encadré dans une école maternelle. Pendant 70 ans, l’Image de Rama Rama IX aura tapissé la Thaïlande, sa personnalité infusant profondément l’ancien Royaume du Siam.

 

Toute sa vie, Bhumipol Adulyadej, aura porté les mêmes petites lunettes cerclées de métal. Son allure raide et compassée. Sa mine sombre et fermée. Un masque de gravité dont il ne se défaisait jamais. Un Roi qui faisait la gueule au "pays du sourire". Un petit bonhomme tout frêle qui aura fait de la terre des Thaïs un pays moderne et l’un des plus prospères d’Asie. Un demi-dieu adoré par 67 millions de sujets, qui pendant trois quarts de siècle l’auront chéri et encensé comme Bouddha.

Bhumipol Adulyadej. Un petit Prince né le 5 décembre 1927, loin du Mékong et des éléphants blancs. Il ouvre les yeux aux Etats-Unis, à Cambridge, l’un des Faubourgs cossus de Boston, là où se trouve Harvard, là où son père étudie la médecine. Bhumipol, né loin de la terre de ses ancêtres. Le seul Roi de l’Histoire né en Amérique.

 

Un bébé qui n’était pas promis au Trône. Juste un petit garçon, parmi les centaines de petits enfants de son grand-père, le Roi Rama V qui régna 46 ans, mourut en 1910 après avoir eu 92 épouses, dont 36 reproductrices et 77 enfants. Les études de son père terminées aux USA, Bhumipol  et sa famille s’installeront au bord du lac Léman en Suisse.

Une enfance gâtée, une scolarité au cours de laquelle ses professeurs remarqueront son étonnant coup de crayon et de prodigieuses dispositions pour la musique, les cuivres en particulier. Saxo, trompette… Le garçon a du souffle et la passion du jazz. Un vrai mordu inspiré, qui devenu roi, plus tard se produira quelque fois sur scène, aux côtés de pointures comme B.Goodman, ou  St.Getz. Un Roi, à qui il arrivait, selon la légende, de jouer de la trompette, tout seul, la nuit au fond de son palais.

 

Le jeune Prince a 17 ans lorsqu’il rentre au Pays, à la fin de la Seconde guerre mondiale, son Frère aîné ayant été désigné pour monter sur le Trône. Bhumipol est maigrichon et timoré, il a son bac et parle l’anglais, l’allemand et un Français impeccable, qu’il lisait encore dans le texte ces dernières années. 

Le couronnement de son frère aîné n’aura jamais lieu. Son corps sera découvert sur son lit. Au cœur du Palais. Une balle de colt 45 entre les 2 yeux. Suicide ou Assassinat ? Un Mystère de l’Histoire thaïlandaise jamais élucidé. Le petit Bhumipol Adulyadej, le cadet effacé deviendra donc le 9ème souverain de la dynastie des Chakri. Entre-temps, le jeune homme, sera retourné en Suisse boucler ses études, aura perdu un œil dans une virée en voiture et épousé l’une de ses lointaines cousines devenue la Reine de sa vie. 

 

Le petit binoclard effarouché deviendra un politique habile, madré, qui, pendant ses 70 ans et quelque de règne échappera à 19 coups d’état ou tentative de putsch. Un  Roi qui aura donné à la Thaïlande sa couleur Jaune, la couleur Bouddhique du lundi, le jour de sa naissance. Un homme impénétrable, ambivalent, moitié démocrate-cool, caressant son peuple, moitié despote abusant du crime de lèse-majesté. Un Roi qui aura  préservé la pérennité de la culture Thaïe et l’unité d’un pays dont il possédait la moitié des terres et des immeubles. Il était le Roi le plus riche du Monde. Plus de 30 milliards de dollars, qu’il n’aura pas emporté dans l’Au-delà. La poussière de ses pieds s’est envolée. Un Roi cousu d’or peut-être mendiant dans sa prochaine vie. "Chat naa", comme on se dit au revoir chez les Bouddhistes.

 

  

Les chroniques des jours précédents