Marc Messier brosse ce dimanche le portrait de François Régis Hutin, le patron de Ouest-France, décédé le 10 décembre 2017.
Le ronflement d’une rotative, le grondement de la mer. Des mots, des vagues. L’encre et le sel d’une vie, suspendue entre le plancher d’une rédaction et le pont d’un bateau. Un marin à la barre d’un journal. Dieu pour toute Boussole. L’histoire de François Régis Hutin, le dernier des grands capitaines de la presse Française. François Régis Hutin, qui depuis près d’un demi-siècle personnifiait le 1er quotidien de France, vendu chaque jour à près de 700.000 exemplaires. Un euro le numéro en semaine, un euro dix, le dimanche, le journal le moins cher du pays et le plus grand quotidien francophone au Monde. Un régional, une singularité française, lu chaque jour par plus de deux millions et de demi de personnes sur la terre.
FRH. Ses trois initiales, le sceau d’un Seigneur de province. La Bretagne, sa terre, celle à partir de laquelle, il racontait ce qui se passait à côté de chez vous et dans le reste du Monde. De la forêt de Paimpol à la Nouvelle Calédonie, de la pointe du Raz à la Jordanie. FRH, à la fois Reporter/Chroniqueur/Editorialiste et Patron de journal, un boss d’autrefois, qui connaissait les noms de chacun de ses 1.500 salariés et presque tout de la vie des plus anciens. Paternaliste et autoritaire, parfois cassant, intraitable. Des coups de gueule, des coups de grâce. Un homme de foi. Un catholique fervent et souvent révolté. "Justice et Liberté", la devise de Ouest-France. Une vie de combats humanitaires, politiques. Pendant des années, François Régis Hutin se sera battu, à coups d'éditos contre la peine de mort et pour l’amélioration des conditions de vie dans les prisons, dans lesquelles il faisait distribuer gratuitement son journal. Défenseur de l’école libre, farouche adversaire du Front National, qui n'a jamais percé en Bretagne, FRH était aussi un européiste convaincu, depuis Maastricht, plaidant, récemment, pour une Europe ouverte au monde et accueillante pour les réfugiés.
Des valeurs humanistes, chrétiennes, "une humanité toujours plus fraternelle", sa grande phrase, l'obsession de FRH. Des convictions profondément enracinées dans l'histoire de cet héritier, petit-fils d'Emmanuel Desgrées du Loû, le fondateur avec l'abbé Trochu, de L'Ouest-Eclair, lancé en 1899, en pleine affaire Dreyfus. Devenu le premier quotidien régional au début des années 30, il devra fermer à la libération. Sa ligne éditoriale, s'étant un peu trop emmêlée, pendant la seconde guerre mondiale, avec l'occupant nazi. Un journal relancé, en 44, sous le nom de Ouest-France par le père de François Régis, Paul Hutin-Desgrées, un ancien séminariste, député démocrate-chrétien du Morbihan. Le Père de FRH, sa figure. Celui qui lui donnera des valeurs, des idéaux, et l'envie de rentrer, lui-aussi, au séminaire. Deux années à la Mission de France à Lisieux. Ce sera une autre mission qu'il choisira à la sortie. Le journalisme comme un sacerdoce. Un petit cheveu sur la langue. Le nez convexe, romain, des épaules de trapéziste. Un drôle de bonhomme, pétri de paradoxes, à la fois conservateur et progressiste, aussi attaché à la liberté et à la démocratie, qu’omnipotent et souvent tyrannique.
Un patron sentimental, qui tenait à son journal comme à la prunelle de ses yeux, selon ses propres mots. Un homme d’affaires avisé qui ne parlait jamais d’argent. Un personnage à la fois timide et irascible, chaleureux et condescendant. Un obsédé de la mer qui prenait le large, dès qu'il le pouvait. L’ultime voyage cette semaine, le très Grand Large. Avec au bout l'Eternité.