Marc Messier revient ce dimanche sur l'histoire du Zouave du Pont de l'Alma, le repère des crues de la Seine et bien plus.
Humilié, sali, tagué, noirci, rincé, trempé. Depuis 160 ans, le Zouave n’a jamais sourcillé. Un colosse impassible taillé dans 8 tonnes de calcaire. Un veilleur de pierre de 5 mètres vingt de haut devenu pour les parisiens, l’étalon de la pluie qui tombe et de l’eau qui monte. Rive droite, rive gauche. Le Zouave a souvent eu les guêtres dans la flotte, la culotte, parfois mouillée, une fois la Seine aux épaules. Mais. Jamais il n’a bu la tasse. Si le Zouave devait se noyer, Paris serait aussitôt submergé.
Un coup de chaud en 1910, trois mois de guerre contre la Seine, sortie de son lit. Paris inondé, Paris imbibé, Paris embourbé mais, Paris sauvé : La tête du Zouave ne fut jamais sous l’eau. Un survivant des crues. Et de La guerre de Crimée, pour l’histoire officielle. 1853 : La 1ère guerre moderne du 19ème siècle. Le télégraphe, les bateaux-vapeurs et les 1ères infirmières militaires. Une guerre loin de la Seine, au bord de la mer Noire. Une invraisemblable alliance entre les Français, les Anglais et les turcs, pour reprendre la Péninsule aux Russes, qui l’avaient confisquée aux Ottomans, 70 ans plus tôt.
La Crimée ou une toute jeune unité française, crée lors de la conquête de l’Algérie, va faire des étincelles : les Zouaves. De drôles de combattants vêtus de culottes bouffantes, de chéchia à gland et de ceintures de laine bleue. Des soldats aussi disciplinés que valeureux, qui permettront aux alliés de remporter leur première grande bataille : l’Alma, du nom du fleuve qui coule près de Sébastopol.
Il n’en fallu pas plus à Napoléon III pour faire d’une victoire un pont et pour rendre hommage aux Zouaves. Celui qui servira de modèle au sculpteur sera bien l’un de ces vaillants guerriers : André-Louis Gody, un type totalement inconnu, originaire de Gravelines, dans le Nord. Un Zouave avec une belle carrure, une belle gueule et une belle barbe. Deux semaines sans bouger. Le tac-tac du burin dans les oreilles. Un Napoléon d’or par jour de pause. Une petite fortune que Gody fusillera rapidement dans les gargotes et les bordels.
Un Zouave qui, en vérité, n’a jamais mis les pieds en Crimée. A l’époque, Gody traînait ses guêtres en Afrique. Une petite bidouille historico-artistique qui n’enlèvera rien à la valeur militaire du bonhomme : 34 ans de service. 34 ans de campagnes de Constantine à Magenta, de Blida à Solferino, de l’Alsace à la Lorraine. 1870 : Sedan, la défaite des Français face aux Prussiens. La capitulation de Napoléon III. Gody finira sergent et esquinté : trop de guerres, trop de blessures, trop de compagnons disparus. Ses 3 derniers camarades, il les perdra en 70. Pas 1800, 1970 ! La modernité. Le pont trop étroit, l’Alma élargi. Le grenadier, l’artilleur et le chasseur à pied déménagés. Des quatre statues d’origine, il ne restera que la sienne. "J’y suis, j’y reste". Une phrase de Mac Mahon devenue la devise des Zouaves. Suivez son regard, vous comprendrez.